Jimmy Carter, alors qu'il n'était plus en fonction, a certes eu le courage de dénoncer « l'épouvantable oppression et la persécution » ainsi que la « rigoureuse ségrégation » subies par les Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, dans son livre de 2006 intitulé Palestine : La paix, pas l'apartheid. Il a consacré toute son énergie à la surveillance des élections, notamment en prenant fait et cause pour l'élection d'Hugo Chavez au Venezuela en 2006 (ce qui a suscité une vive controverse), et a défendu les droits humains dans le monde entier. Il a fustigé le système politique américain, le qualifiant d'« oligarchie » au sein de laquelle « la corruption politique sans limite » a engendré « une totale perversion de notre système politique pour récompenser les principaux contributeurs ». Cependant, les années de Carter en tant qu'ex-président ne doivent pas masquer son service acharné à l'empire américain, sa propension à fomenter des guerres désastreuses par procuration, sa trahison envers les Palestiniens, son adhésion à des politiques néolibérales punitives et sa soumission aux grandes entreprises alors qu'il était en fonction.

Article Démocratie
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publié le 28/01/2025 Par Chris Hedges
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Jimmy Carter est décédé le 29 décembre 2024 à l'âge de 100 ans. En tant que président des États-Unis, il a joué un rôle important dans le démantèlement de la législation du New Deal en déréglementant des secteurs majeurs tels que les compagnies aériennes, les banques, les transports routiers, les télécommunications, le gaz naturel et les chemins de fer. Il a nommé Paul Volcker à la Réserve fédérale qui, pour lutter contre l'inflation, a fait grimper les taux d'intérêt et a plongé les États-Unis dans la récession la plus profonde depuis la Grande Dépression, une décision qui a marqué le début des mesures d'austérité punitives. Carter a été le parangon du pillage connu sous le nom de néolibéralisme, un pillage que son compatriote démocrate Bill Clinton allait amplifier.

Carter a subi l'influence désastreuse de son conseiller à la sécurité nationale, Zbigniew Brzezinski, un exilé polonais qui récusait le principe de confiance accordé par Nixon et Kissinger à l'Union soviétique. La mission que Brzezinski s'était donnée, et qui lui faisait voir le monde en noir et blanc, était d'affronter et de détruire l'Union soviétique ainsi que tout gouvernement ou mouvement qu'il considérait comme étant sous influence communiste ou proche de celle-ci.

Sous l'influence de Brzezinski, Jimmy Carter s'est retiré du traité SALT II (Strategic Arms Limitation Talks) conclu avec l'Union soviétique, qui visait à limiter le déploiement d'armes nucléaires. Il a augmenté les dépenses militaires. Il a envoyé une aide militaire au gouvernement indonésien du Nouvel Ordre lors de l'invasion et de l'occupation indonésiennes du Timor oriental, qualifiée par beaucoup de génocide. Il a soutenu, avec l'État d'apartheid d'Afrique du Sud, le groupe contre-révolutionnaire meurtrier, l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (UNITA), dirigé par Jonas Savimbi. Il a aidé le cruel dictateur zaïrois Mobutu Sese Seko. Il a soutenu les Khmers rouges.

Il a chargé la Central Intelligence Agency (CIA) de soutenir les groupes d'opposition et les partis politiques afin de renverser le gouvernement sandiniste du Nicaragua après sa prise de pouvoir en 1979, ce qui a conduit, sous l'administration Reagan, à la formation des Contras et à une insurrection sanglante et insensée soutenue par les États-Unis. Il a fourni une aide militaire à la dictature du Salvador, ignorant l'appel de l'archevêque Oscar Romero – assassiné par la suite – à cesser les livraisons d'armes américaines.

Il a envenimé les relations des États-Unis avec l'Iran en soutenant jusqu'à la dernière minute le régime répressif du Shah Mohammad Reza Pahlavi, puis en permettant au Shah déchu de se faire soigner à New York, ce qui a provoqué l'occupation de l'ambassade américaine à Téhéran et une crise des otages qui a duré 444 jours. La belligérance de Jimmy Carter – il a gelé les avoirs iraniens, cessé d'importer du pétrole d'Iran et expulsé 183 diplomates iraniens des États-Unis – a fait le jeu de l'ayatollah Khomeini qui a diabolisé les États-Unis et appelé à l'instauration d'un régime islamique. Il a également réduit à néant la crédibilité de l'opposition laïque iranienne.

This, That or the Other Carter – par Mr. Fish

Bien que le président philippin Ferdinand Marcos ait gouverné sous un régime de loi martiale, Carter lui a donné des milliards de dollars d'aide militaire. Il a armé les moudjahidines en Afghanistan après l'intervention soviétique de 1979, une décision qui a coûté 3 milliards de dollars aux États-Unis, a entraîné la mort de 1,5 million d'Afghans et a conduit à la création des talibans et d'Al-Qaïda. À elle seule, cette politique de Carter a eu des répercussions catastrophiques.

Il a soutenu l'armée sud-coréenne en 1980 au moment où elle assiégeait la ville de Gwangju, occupée par des manifestants qui avaient formé une milice, ce qui a conduit au massacre de quelque 2 000 personnes.

Enfin, il a trahi les Palestiniens lorsqu'il a négocié un accord de paix distinct, connu sous le nom d'accords de Camp David, en 1979 entre le président égyptien Anouar el-Sadate et le premier ministre israélien Menachem Begin. Cet accord excluait l'Organisation de libération de la Palestine des pourparlers.

Contrairement à ce qui avait été promis à Carter, Israël n'a jamais tenté de résoudre la question palestinienne avec le concours de la Jordanie et de l'Égypte. Israël n'a jamais autorisé l'autonomie palestinienne en Cisjordanie et à Gaza dans le délai de cinq ans prévu. Israël n'a pas mis fin aux colonies israéliennes – un refus qui a conduit Carter à affirmer plus tard que Begin lui avait menti. Mais comme l'accord ne prévoyait aucun mécanisme d'application et que Carter n'était pas disposé à défier le lobby israélien pour imposer des sanctions à Israël, les Palestiniens se sont retrouvés, une fois de plus, impuissants et abandonnés.

Jimmy Carter, et c'est tout à son honneur, a nommé Patricia Derian, militante des droits civiques, au poste de secrétaire d'État adjointe aux droits humains et aux affaires humanitaires, ce qui a permis de bloquer les prêts et de réduire l'aide militaire à la junte militaire argentine pendant la Sale Guerre (Dirty War), restrictions que l'administration Reagan a supprimées. L'engagement de Patricia Derian en faveur des droits humains était sincère. Elle a soutenu le dirigeant philippin Benigno S. Aquino Jr. et le dissident sud-coréen et ancien président Kim Dae-jung. Carter l'a laissée irriter quelques-uns de nos alliés les plus répressifs. Mais sa politique en matière de droits humains visait avant tout à soutenir les dissidents démocratiques et les mouvements ouvriers en Europe centrale et orientale, notamment en Pologne, dans le but d'affaiblir l'Union soviétique.

Jimmy Carter avait un sens de la décence qui fait défaut à la plupart des hommes politiques, mais ses croisades morales, qui ont eu lieu une fois qu'il n'était plus au pouvoir, ressemblent à une forme de pénitence. Son bilan en tant que président des États-Unis est sanglant et lamentable, bien que moins sanglant et lamentable que celui des présidents qui lui ont succédé. C'est le mieux que l'on puisse dire de lui.

Texte traduit et reproduit avec l'autorisation de Chris Hedges.
Source : Scheerpost — 30/12/2024

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