Le totalitarisme est caractéristique d’une époque qui semble révolue depuis la fin de la Guerre froide. Pourtant, pour Marc Weinstein, professeur d’anthropologie philosophique et littéraire et auteur de L’évolution totalitaire de l’Occident (2015), nous connaissons encore aujourd’hui une tendance totalitaire sous la forme du néolibéralisme. Le néolibéralisme est le moment actuel d’une évolution totalitaire qui est en réalité propre à la société industrielle mondiale, laquelle, par un processus d’uniformisation sociale et psychique, tend à réaliser le rêve mégalomane du début du XXe siècle : changer les hommes et les âmes, voire les rendre superflus.
Louise Bosq (Élucid) : Qu’est-ce qui vous a amené à caractériser notre époque comme « totalitaire » ?
Marc Weinstein : J’ai travaillé comme professeur à l’université de Kiev et de Moscou pendant les quatre dernières années de l’URSS, entre la catastrophe de Tchernobyl (1986) et la chute du soviétisme (1991). J’ai donc une certaine expérience sensible du totalitaire. À mon retour en France, j’ai été frappé par les ressemblances qui rapprochaient le soviétisme totalitaire et le néolibéralisme occidental. Après la disparition de l’URSS, le néolibéralisme est resté seul vainqueur et ses traits totalitaires se sont encore accentués, de sorte qu’aujourd’hui, quand on parle de certaines tendances à l’œuvre en France, en Hongrie, en Israël ou aux États-Unis, il ne me paraît plus suffisant de parler de libéralisme autoritaire (1).
Il n’y a ici aucune surenchère conceptuelle ou polémique – simplement, l’expérience de vie me permet de dire que les tendances totalitaires du modernisme, que ce soit en URSS ou dans l’Occident mondialisé après la fin de l’URSS, se ressemblent sur un point essentiel : l’asphyxie de la société sensible-sensée sous la pression de la grande industrie et de l’action de ses représentants étatiques.
Élucid : Pouvez-vous nous en dire plus sur ces ressemblances ?
Marc Weinstein : Pour penser ces ressemblances, il faut poser deux préalables. Dans un premier temps, il faut distinguer la structure totalitaire et la conjoncture autoritaire (terreur, mesures dictatoriales), même si elles peuvent être parfois liées. La terreur d’État nazie, par exemple, est à la fois conjoncturelle et structurelle (dans les camps, l’extermination se déroule de façon industrielle). Mais on peut aussi avoir de la dictature sans structure totalitaire (l’autoritarisme de Salazar dans le Portugal rural des années 1930-1960). Inversement, on peut avoir du totalitaire sans camps de concentration (l’URSS post-stalinienne qui démantèle progressivement le Goulag est encore de structure totalitaire jusqu’en 1991).
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