Miroir du boom des 1 %, la bourse française est dominée par les milliardaires du luxe et les familles privées en général. Alors que leur part dans le CAC 40 a doublé en 10 ans, celle de l’État français a été divisée par 3.

Article Économie
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publié le 03/06/2024 Par Myret Zaki
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La plus grande réussite du capitalisme français, ces dernières années, ne s’est pas produite dans l’armement. Ni dans l’agroalimentaire. Ni dans la finance. Mais dans le luxe et les cosmétiques. Elle ne s’appelle pas Dassault, Thalès, ni Bouygues, Total, Vivendi, ou BNP Paribas. Elle s’appelle Luis Vuitton, Chanel, Christian Dior, Hermès, Lancôme, Gucci, Armani, Yves Saint Laurent, Ralph Lauren, Moët & Chandon, Veuve Clicquot ou Dom Pérignon.

Le CAC 40, c’est 2 100 milliards d’euros de capitalisation boursière. Ce sont 40 entreprises cotées à la bourse d’Euronext, dont tout un chacun peut acquérir des parts sur le marché. Mais ce sont les actionnaires des trois premiers groupes de luxe qui concentrent aujourd’hui 15,5 % du CAC 40, à travers l’actionnariat au sein de leurs groupes, et leurs participations dans d’autres entreprises. Le secteur du luxe profite de l’accroissement sans précédent des fortunes des ultra-riches (lire encadré plus bas). Il accapare désormais 39 % de la capitalisation boursière, si l’on additionne LVMH, Hermès, L’Oréal, EssilorLuxxotica, et Kering.

Par conséquent, c’est sans surprise que les actionnaires des trois plus grands groupes sont devenus les personnes les plus riches de France, et pour certains, du monde. La famille Arnault (LVMH) détient 7,8 % du CAC 40. Elle est suivie par la famille Puech (Hermès), avec 4,8 % du capital de l’indice, et des Bettencourt-Meyers (L’Oréal), avec 2,9 %. Ces informations se trouvent dans le dernier rapport d’Euronext, sorti le 19 mars dernier.

Si Chanel ne fait pas partie du lot, c’est uniquement parce que ce groupe familial n’est pas coté en bourse, il est aux mains privées de la famille Wertheimer. S’il était coté, il vaudrait plus de 100 milliards d’euros en bourse, ce qui le classerait devant Essilor (90 milliards) et Kering (40 milliards), et derrière LVMH (386 milliards), Hermès (241) et L’Oréal (234 milliards).

La concentration de capital entre les mains des familles du luxe s’est produite à la faveur de l’explosion de leur valorisation ces dernières années aux dépenses d’autres secteurs, moins performants. Sur 10 ans, les actions d’Hermès ont gagné +830 %, celles de LVMH +450 % et celles de L’Oréal +250 %. Signe des temps, la famille Dassault, active dans l’armement, ne fait plus partie des 5 premiers groupes familiaux du CAC 40, en raison de la performance négative de Dassault Systèmes (-30 %) en 2022. C’est la famille Del Vecchio, fondatrice d’EssilorLuxottica, autre groupe de luxe, qui la remplace. Sa capitalisation boursière vaut le double de celle de Dassault.

Derrière les géants de luxe, les plus gros actionnaires au sein du CAC 40 sont les gestionnaires d’actifs américains : BlackRock (qui possède 2,3 % du CAC 40) et Vanguard (2,3 %). Dix ans auparavant, leurs parts n’étaient que de 1,5 % et de 1 % respectivement. Désormais, elles totalisent à elles deux 4,6 % du capital de l’indice. Si on leur ajoute un autre gros fonds américain, Capital Group (1,9 %), ces mastodontes d’outre-Atlantique contrôlent à eux trois 6,5 % du CAC 40.

Transfert de richesses

Avec seulement 2,2 %, l’État français pâlit en comparaison des groupes précités. Effet des privatisations, des cessions d’activités et réductions de capital par l’État, on assiste à un déclin de la dimension de « l’État actionnaire ». Avec pour corollaire un transfert de propriété (et de richesses), qui s’est opéré ces 10 dernières années du public en direction du privé.

Si l’on en croit les statistiques d’Euronext, l’État français est en effet passé de 6 % des parts du CAC 40 en 2012 à 2,2 % en 2022, alors que les familles et fondateurs sont passés de 10 % à 21 % de la cote sur la même période. La tendance au rétrécissement de l’État dans le CAC 40 s’est accentuée en juin 2023, quand l’État a sorti EDF de la bourse, pour en redevenir l’actionnaire unique.

En outre, il faut relever la nette sous-performance boursière des autres participations de l’État français ces dernières années, dont Orange, Airfrance-KLM, Renault ou les Aéroports de Paris. Enfin, l’État a cédé ou réduit des parts dans les Aéroports de Paris, ainsi que ceux de Nice et de Lyon et ouvert le capital de la Française des Jeux aux actionnaires privés.

Pas de politique des petits actionnaires

Quant aux investisseurs particuliers, ils totalisent 5,3 % du CAC 40. Il est intéressant que dans un pays aux traditions historiquement sociales, il n’y ait pas eu de politique d’encouragement à la détention directe d’actions par les particuliers. La très libérale Margaret Thatcher l’avait mise en place dans le Royaume-Uni des années 1980. Elle avait lancé un programme d’encouragement de la classe moyenne à augmenter ses revenus grâce à la bourse. Une politique qu’on appellera ultérieurement « capitalisme populaire ». Elle avait ainsi fait passer le nombre de détenteurs d'actions de 3 à 11 millions en 10 ans.

Une stratégie similaire aujourd’hui en France aurait permis, ces 15 dernières années, d’améliorer le pouvoir d’achat de la population, sachant que la bourse est l’un des seuls actifs (avec l’immobilier) à avoir plus que compensé l’inflation et permis d’accroître l’épargne.

Certes, aujourd’hui au sein du CAC 40, la catégorie des gestionnaires d'actifs détient 26 % du capital. Ces prestataires représentent à la fois les riches et les pauvres : ils servent une clientèle haut de gamme, généralement supérieure au million d’euros, mais aussi le marché institutionnel de l’épargne retraite, en bonne partie, dont l’encours atteint 280 milliards d’euros, ainsi qu’une partie des retraites via les portefeuilles d’assurances vie, dont l’encours total pèse plus de 1900 milliards d’euros.

Reste que ces prochaines années, à mesure que les inégalités continueront de se creuser, et que les 1 % concentreront plus de pouvoir d’achat, ce sont les entreprises servant ce segment supérieur de fortunes qui verront leur capitalisation boursière grandir le plus.


Comment le CAC 40 a profité de la demande des 1 %

Parce qu’il inclut les géants du luxe mondiaux, le CAC 40 a démesurément profité de l’explosion des fortunes des ultra-riches. Cet enrichissement a en effet propulsé la demande mondiale pour les biens de luxe. Rien qu’aux États-Unis, les 1 % les plus fortunés ont vu leur richesse passer de 30 000 milliards à 44 000 milliards de dollars uniquement entre 2020 et 2023. La période du Covid a disproportionnellement profité aux plus grandes fortunes en raison des injections de liquidités massives des banques centrales, qui ont d’abord favorisé les portefeuilles d’actions.

Cette politique des banques centrales (Fed et BCE), qui s’était déjà déployée à maintes reprises au cours ces 15 dernières années, a largement favorisé le boom historique des dépenses somptuaires, tirées par les 1 %, et hissant les ventes du secteur à 353 milliards d’euros en 2022, selon un rapport du consultant Bain & Company.

Ceci explique aussi la forte résilience de la demande pour le luxe en périodes de crise : non seulement la demande ne se tarit pas, mais elle poursuit sa croissance. Un phénomène résumé par le manager du département de luxe du magasin Harrods à Londres : « Les riches deviennent plus riches durant les récessions ».

Marché global des biens personnels de luxe, 2010-2022Marché global des biens personnels de luxe, 2010-2022

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