Pour qu’un travail soit exploité, il faut qu’il soit invisibilisé. Le sociologue Denis Colombi, professeur de sciences économiques et sociales au lycée, est l’auteur de Qui travaille vraiment (Payot, 2024), un ouvrage dans lequel il interroge nos représentations du travail des autres et leurs conséquences. Chacun, explique-t-il, a tendance à penser qu’il travaille « vraiment » contrairement à d’autres (« les assistés », « les parasites »), mais les choses s’avèrent plus complexes lorsqu’on explore les conditions dans lesquelles les métiers sont exercés et quand on interroge ce qu’est le travail. Entretien.

publié le 14/09/2025 Par Laurent Ottavi

Laurent Ottavi (Élucid) : Le travail est un mot qui semble aller de soi. Vous démontrez pourtant que ce n’est pas le cas. Pouvez-vous dire en quoi beaucoup de gens sont exclus aujourd’hui de la définition du travail ?

Denis Colombi : Le travail semble simple et évident. Dès qu’on prend la peine d’y réfléchir, cependant, on se rend compte que la notion nous échappe, qu'elle est plus floue, plus malléable. On peut se mettre d’accord sur un certain nombre de traits qui définissent le travail. Il demande un certain effort, il constitue une certaine action qui va dans un sens de production, de création de quelque chose. Mais, une fois entré dans le détail, on se rend compte que ces critères valent pour tout un tas d’activités qui ne sont pas considérées généralement comme du travail.

Ce qu’on appelle aujourd’hui le travail domestique (faire la vaisselle, le ménage, élever ses enfants) n’a pas toujours été considéré comme tel. De même, tout un discours aujourd’hui considère que les gens qui travaillent dans les administrations publiques ne travaillent pas vraiment, et que ceux qui produisent vraiment sont ceux qui travaillent dans les entreprises privées. Une frontière est tracée arbitrairement entre ceux qui « travaillent vraiment », catégorie dans laquelle chacun de nous se range immédiatement, et les autres.

Déjà au XIXe siècle, le mouvement ouvrier s’était construit sur l’idée que ce sont les ouvriers qui créent de la valeur, qui produisent et que les capitalistes ne font que détenir les moyens de production et qu'ils ne travaillent pas vraiment. Ces conflits sont encore plus forts aujourd’hui parce qu’une grande partie du travail contemporain est invisibilisé. C’est l’idée qui est au cœur de mon livre.

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