La classe des services partage une expérience commune du travail et de la famille tout en étant fortement divisée. Denis Maillard, philosophe de formation, co-fondateur du cabinet de conseil en relations sociales Temps commun, auteur notamment d’Une colère française, métamorphose des relations sociales (L’Observatoire, 2019) et d’Indispensables mais invisibles, reconnaître les travailleurs en première ligne (Aube, 2021), analyse ce qu’il appelle le « back-office », ces invisibles qui sont les piliers de la société d’aujourd’hui, et trace les contours d’une politique qui leur accorderait une reconnaissance et une visibilité.
Laurent Ottavi (Élucid) : Que recouvre ce que vous appelez le « back-office de la société de services » ? Quelle fonction occupe-t-il au sein de la société et de quels processus est-il issu ?
Denis Maillard : J’appelle « back-office de la société de service » la structure permanente, économiquement indispensable, mais socialement invisible, qui permet à notre société orientée-client de se maintenir dans le temps. Il est le produit de quarante ans de globalisation, de numérisation, d’individualisation et de délocalisation. La globalisation a imposé une division de travail. L’individualisation a pesé sur l’ensemble de la société avec des conséquences sur les modes de consommation, le back-office n’étant pas moins individualiste que le reste de la population. La délocalisation a troqué la société industrielle pour la société de service.
La numérisation, enfin, a généré l’économie Amazon marquée par l’explosion du nombre de livreurs. L’existence du back-office a crevé l’écran au moment des Gilets jaunes et encore plus du Covid. Il s’agit d’une classe des services qui travaille pour une partie de la population.
Élucid : Qu’est-ce que le « paradoxe du back-office » ?
Denis Maillard : Je parle d’un paradoxe du back-office pour souligner le fait que plus on se libère des temps et des lieux du travail, en pouvant travailler comme bon nous semble et où l’on souhaite, plus on a besoin d’une somme accrue de travailleurs du back-office pour nous servir. Une institutrice, c’est-à-dire un métier du back-office aujourd’hui, car souffrant d’invisibilité sociale, m’expliquait qu’elle était de plus en plus confrontée à des parents au comportement de consommateurs.
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