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Depuis le début des années 2000, le montant des réserves de change mondiales a explosé sous l’effet des banques centrales asiatiques. Les réserves de la Chine sont ainsi devenues les premières du monde, avec près du tiers du total. Les choses sont cependant en train de changer, avec un net rééquilibrage de l’économie chinoise, et un début de dédollarisation du monde, dont l’ampleur va jouer un rôle colossal dans les prochaines décennies.

publié le 11/05/2023 Par Olivier Berruyer
L’inquiétante chute des réserves de change des banques centrales

Les réserves de change d’une banque centrale sont constituées par ses avoirs en devises étrangères et en or (ces derniers sont devenus marginaux, environ 1 500 Md$, soit 12 % du total des réserves). Afin qu’elles rapportent un intérêt, ces réserves sont généralement placées en obligations du Trésor d'États étrangers. Elles sont généralement issues des excédents commerciaux ( 1 ) du pays envers une zone monétaire, et elles fluctuent avec le taux de change. Elles servent à la banque centrale à rassurer les marchés financiers et à réguler le taux de change de la monnaie nationale en cas de besoin. C’est en quelque sorte l’épargne de la banque centrale, dont le niveau reflète l’état de son commerce extérieur.

Si l’on regarde sur longue période, on remarque une explosion des réserves de change à partir des années 2000, passées de 1 800 Md$ en 1999 à près de 13 000 Md$ en 2021 : les réserves ont donc été multipliées par 7. Cette forte hausse est principalement due au fort développement de la mondialisation.

Cependant, l’année 2022 constitue un véritable tournant avec une forte baisse des réserves, de 1 000 Md$ sur l’année (- 8 %). Jamais une telle baisse n’avait eu lieu. Ceci est dû à la forte hausse du dollar survenue cette année-là, qui a obligé certaines banques centrales à intervenir fortement pour limiter la chute de leur monnaie, comme celles du Japon ou de l’Inde, généralement avec peu de succès.

Tous les grands pays ont connu une baisse de leurs réserves de change en 2022, preuve de la déstabilisation occasionnée par la guerre en Ukraine.

La Chine en voie de rééquilibrage

Rappelons qu’en 1997, les pays d’Asie du Sud-Est connaissent une énorme crise de balance des paiements et de change, à la suite de la brutale fuite des capitaux spéculatifs qui y avaient été attirés quelques années auparavant par des perspectives de profits spectaculaires. À titre d’exemple, le baht thaïlandais perd rapidement 45 % de sa valeur par rapport au dollar, ce qui déstabilise fortement l’économie.

Insatisfaits des politiques du FMI, les dix pays membres de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), la Chine, la Corée du Sud et le Japon (« ASEAN+3 ») s’entendent alors pour se coordonner dans le domaine monétaire et financier, afin d’établir une certaine stabilité. Ils décident ainsi d’amasser des réserves de change pour se prémunir contre ce type de crises. Le résultat, bien aidé par la mondialisation, a été spectaculaire : ces pays possèdent désormais la moitié des réserves de change mondiales.

Avec 29 % du total mondial, la Chine est devenue le poids lourd des réserves de change. Il faut toutefois noter que si la hausse de ses réserves a longtemps été spectaculaire, celle-ci s’est arrêtée au pic de 2014. Elles ont fortement décru jusqu’en 2016, se sont stabilisées durant 5 ans, ont nettement baissé en 2022 et repartent fortement à la hausse en 2023. Dans un récent article, nous avons d’ailleurs montré que la Chine se débarrasse continuellement de la dette américaine qu’elle détient au titre de ces réserves.

Il peut sembler étrange que la Chine n’accumule plus de réserves depuis bientôt 10 ans, alors que son solde commercial (échange de biens) reste florissant. Le paradoxe n’est qu’apparent, car les réserves ne dépendent pas que du solde commercial (c’est-à-dire les exportations moins les importations de biens), mais de l’ensemble des flux financiers. Il faut donc s’intéresser plutôt à la partie principale de la balance des paiements de la Chine, soit la balance des transactions courantes, qui ajoute le solde commercial, le solde des services et celui des transferts de revenus.

Le commerce des biens se porte très bien pour la Chine, la crise du Covid lui ayant permis de retrouver les niveaux très élevés de 2014-2016. Les soldes des échanges de services et des transferts de revenus restent assez faibles, à l’exception de deux postes. Le premier est le solde du tourisme (classé dans les services) dont le déficit n’a cessé de croître en Chine entre 2010 et 2019, à tel point qu’il a fini par rapprocher de plus en plus la Chine de l’équilibre des transactions.

Ceci a été causé par la croissance du tourisme, les Chinois se rendant de plus en plus à l’étranger grâce à la croissance des revenus générés par le développement du pays. Le mouvement s’est brutalement retourné depuis la crise du Covid, le déficit ayant diminué de 70 %. Le dernier poste est celui des dividendes versés (classé dans les transferts de revenus), dont le déficit atteint désormais le record historique de 1 % du PIB.

En conséquence, le solde de la balance des transactions courantes, après avoir diminué entre 2015 et 2019, a retrouvé des niveaux élevés. Mais la Chine a profité de ces fortes rentrées d’argent pour investir énormément à l’étranger ces 3 dernières années, d’où la baisse, au final, de ses réserves de change en 2020-2022.

Le dollar, une hégémonie en déclin

L’évolution générale des réserves en devises est logiquement très proche de celle des réserves totales, avec un pic en 2021, suivi d’une baisse en 2022.

Si on observe la part de chaque monnaie dans les réserves connues, on constate que le dollar reste de loin la première monnaie de réserve mondiale. On constate cependant que sa part a baissé quasiment continûment depuis 2000, passant de 70 % à 60 % des réserves de change mondiales.

Au niveau des mouvements récents, on observe clairement une nette érosion de la part du dollar dans les réserves :

L’échec lamentable de l’euro comme devise internationale

Depuis sa création en 1999, la part de l’euro n’a que très légèrement augmenté dans les réserves de change mondiales, passant en un quart de siècle de 18 % à 21 % des réserves. Cependant, en 1995, les seuls mark, franc et écu (ancêtre lointain de l’euro) représentaient 27 % des réserves mondiales, sans la quinzaine d’autres monnaies constituant aujourd’hui la monnaie européenne.

La part actuelle de l’euro dans les réserves de change mondiales est donc nettement inférieure à celle de l’écu, du franc et du mark en 1995, et cette part ne cesse de décliner depuis 2010. Là encore, les promesses de 1992 vantant l’euro comme « la monnaie du XXIe siècle qui va éclipser le dollar » n’étaient que des chimères d’une propagande malhonnête.

La dédollarisation a commencé

Plus largement, si on s’intéresse non plus aux réserves, mais à l’ensemble des transactions de change, on observe une érosion continue de la part de l’euro, passé de 20 % à 15 % des transactions mondiales. Surtout, la part du dollar est restée relativement stable depuis une trentaine d’années. La hausse du poids du yuan s’est faite au détriment d’autres monnaies, dont le yen.

Les années 2022/2023 marquent cependant un tournant : les choses sont en train de changer avec un net mouvement de dédollarisation entamé par les BRICS. La Chine ambitionne ainsi de renforcer le statut de devise internationale du yuan dans les prochaines décennies. Elle encourage pour cela l'utilisation du yuan pour régler les transactions transfrontalières. Ainsi, en mars 2023, pour la première fois, le yuan a été plus utilisé que le dollar dans les transactions transfrontalières de la Chine.

L’observation des années à venir indiquera s’il s’agit d’un mouvement massif symbole d’un nouvel ordre monétaire international ou s’il restera modeste.

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