Élucid est un média 100% indépendant et ne vit que de ses abonnements - Soutenez-nous en vous abonnant

Disparition de la glace de mer arctique : vers des étés sans glace dès 2030 ?

Une équipe de chercheurs a déterminé que l’Arctique pourrait connaître des étés sans glace de mer dès 2030, soit dix ans plus tôt que les prévisions du GIEC.

publié le 09/08/2023 Par Claire Pilidjian

Essentiellement causée par les activités humaines, la disparition de la glace de mer serait irréversible, même dans le scénario d’une réduction effective des émissions de gaz à effet de serre. Si, depuis la France, cette manifestation très concrète du réchauffement climatique nous semble lointaine, elle aura – et a déjà – des répercussions dans l’ensemble du globe. Les inquiétudes qu’elle suscite sont en outre renforcées par l’opportunisme économique de certains acteurs, qui y voient de nouveaux itinéraires pour le commerce maritime.

Effet albédo

En analysant les données satellitaires de 1979 à 2019, une équipe de chercheurs a estimé dans une étude parue dans la revue Nature Communications que la glace de mer en Arctique atteindrait une surface inférieure à 1 million de kilomètres carrés à l’été dès la décennie 2030 – c’est-à-dire qu’il ne restera plus que de la glace résiduelle le long des côtes. Cette superficie est mesurée au mois de septembre, lorsqu’elle atteint son plus bas niveau.

Cette étude a également déterminé que les causes de la fonte de la glace de mer étaient essentiellement liées aux émissions de gaz à effet de serre, l’activité volcanique et les aérosols formant un facteur secondaire.

La glace de mer, qui se forme à la surface de l’océan sous l’effet du froid, est à l’origine de la formation des banquises. Si sa disparition progressive n’a pas d’effet direct sur l’élévation du niveau de la mer – contrairement à la fonte de la calotte glaciaire –, elle en est indirectement responsable, et entraînera par ailleurs une hausse du réchauffement climatique, suivant un cercle vicieux décrit par la glaciologue Heidi Sevestre, auteure de Sentinelle du climat.

En effet, par sa couleur blanche, la glace de mer joue le rôle d’un miroir réfléchissant qui renvoie les rayons du soleil et permet de rafraîchir l’Arctique : c’est l’effet albédo. Au contraire, l’océan, de couleur sombre, emmagasine la chaleur des rayons du soleil.

Notre survie dépend des glaciers

Ainsi, la disparition de la glace de mer contribuera à l’accélération du réchauffement global et de la fonte de la calotte glaciaire du Groenland, qui perd aujourd’hui six fois plus de glace qu’il y a vingt-cinq ans. En effet, le réchauffement climatique est amplifié dans les pôles, où il intervient à un rythme trois à quatre fois plus rapide en Arctique que sur le reste de la planète.

La fonte de la calotte glaciaire a longtemps été l’emblème du réchauffement climatique ; aujourd’hui, sa médiatisation passe avant tout par les images saisissantes des feux de forêt dévastateurs, à l’instar de ceux en cours au Canada. Et pourtant, notre survie dépend des glaciers. Les événements climatiques extrêmes dont nous constatons ces dernières années la répétition sont directement liés au réchauffement climatique, amplifié par la fonte de la calotte glaciaire, tandis que l’élévation du niveau de la mer aura des conséquences dramatiques.

En effet, ce sont actuellement 700 millions de personnes qui vivent sur un littoral dans le monde, soit entre zéro et dix mètres au-dessus du niveau de la mer. Selon un rapport du GIEC de 2019, le niveau de la mer pourrait augmenter de 0,40 mètre à 1 mètre d’ici 2100 ; mais il faut avoir en tête que la calotte glaciaire du Groenland « contient assez de glace pour augmenter le niveau des océans de six à sept mètres » à elle seule, précise Heidi Sevestre.

« Derrière chacun de ces icebergs, ce sont des vies humaines », ajoute la glaciologue, qui précise, dans son dernier ouvrage, Demain, c’est nous : « L’Arctique se meurt, et sans sa banquise, ses glaciers, sa faune et sa flore uniques, ses populations et leurs traditions, l’avenir de notre civilisation est en jeu ». En effet, chaque fraction de degré de réchauffement climatique a une importance cruciale.

À cet égard, le collectif Climate Central publie sur son site des outils édifiants qui concrétisent l’élévation du niveau de la mer selon le niveau de réchauffement climatique – on y visualise ainsi la cathédrale Saint Paul, à Londres, le musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg, ou la cathédrale de Bordeaux les pieds dans l’eau, d’ici quelques centaines d’années, si le réchauffement climatique poursuit son rythme actuel.

Opportunités malvenues

L’étude publiée dans Nature Communications au début du mois de juin a certes été abondamment relayée par la presse. En réalité, elle a peu été commentée, la plupart des médias mainstream se contentant d’un copier-coller de la dépêche AFP, sous un titre alarmiste : « il est trop tard pour l’Arctique », titre ainsi BFTVM, avant de souligner les opportunités que la fonte de la glace de mer représente pour l’ouverture de nouvelles routes commerciales – et allant jusqu’à s’enthousiasmer « d’une réduction des temps de transport avec des effets décisifs sur l’empreinte carbone » ! Le développement du trafic maritime aurait pourtant des conséquences dramatiques sur la biodiversité et les écosystèmes de la région.

Qualifié de fantasme au début du siècle, le développement des routes maritimes arctiques semble de plus en plus près de devenir une réalité au vu du rythme de la fonte de la glace dans la région. Pour l’heure, ce trafic – dont la gouvernance soulève, par ailleurs, d’intenses questions géopolitiques – est partiellement régulé par différents codes, tels que le Code Polaire, entré en vigueur en 2017, ou par des dispositions des conventions de l’Organisation maritime internationale. Cependant, ces régulations n’encadrent pas l’intégralité des activités des navires, qui fait peser, par conséquent, d’importants risques environnementaux à la région.

On imagine facilement les conséquences dramatiques qu’entraînerait une marée noire en Arctique – le pétrole risquant alors de s’infiltrer sous la glace et d’être absorbé. Laurent Mayet, président de l’association le Cercle polaire et ancien représentant spécial pour les pôles au Quai d’Orsay, précise ainsi :

« L’écosystème marin arctique est très sensible, et la moindre collision serait une catastrophe. Les techniques de dégradation bactérienne du fuel ne fonctionnent pas dans les eaux froides, et personne n’a envie d’être responsable d’une marée noire sur la banquise. »

Si l’ambition de certaines compagnies maritimes semble pour l’heure freinée par ces considérations, il est difficile d’imaginer que de telles raisons s’imposeront à l’ensemble des acteurs du secteur.

Soulignons, enfin, que la date de la disparition de la glace de mer estivale avancée par l’étude de Nature Communications est, surtout, un seuil symbolique : les conséquences de la réduction continue de sa superficie sont déjà opérantes, et dévastatrices ; elles ne devraient qu’appeler les décideurs publics à prendre d’urgence des mesures de réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, à rebours des constats fatalistes diffusés ici et là.

Photo d'ouverture : Kaspars Grinvalds - @Shutterstock

Cet article est gratuit grâce aux contributions des abonnés !
Pour nous soutenir et avoir accès à tous les contenus, c'est par ici :

S’abonner
Accès illimité au site à partir de 1€
Des analyses graphiques pour prendre du recul sur les grands sujets de l’actualité
Des chroniques et des interviews de personnalités publiques trop peu entendues
Des synthèses d’ouvrages dans notre bibliothèque d’autodéfense intellectuelle
Et bien plus encore....

Déjà abonné ? Connectez-vous