Écho lointain au déclin et à la chute de Rome, l’effondrement de Jakarta tient d’une interminable agonie sans cesse prolongée à grand renfort d’aménagements aussi dantesques qu’illusoires. La capitale indonésienne a le triste privilège d’être la cité qui s’affaisse le plus rapidement au monde, 10 cm par an en moyenne, jusqu’à 28 cm dans les quartiers les plus exposés. Or, Jakarta abrite aujourd’hui 11,6 millions d’âmes et plus de 32 millions en incluant ses villes satellites de Bogor, Depok, Tangerang et Bekasi, qui forment « Jabodetabek », la seconde conurbation planétaire après Tokyo.

Érigée sur les ruines de Jayakarta conquise en 1619, la ville de Batavia est structurée en tant que centre névralgique de la « Compagnie des Indes hollandaises » (Vereenigde Oostindische Compagnie, fondée en 1602). Jan Pieterszoon Coen, son premier gouverneur, rêve d’y créer une cité idéale sur le modèle des villes hollandaises aux plans en damiers divisés par des canaux, soit autant d’outils de drainage, d’assainissement et de transport. De plus, les canaux séparent les quartiers hollandais de ceux des Javanais, des Chinois, etc., facilitant le contrôle de cette colonie du bout du monde.
D’entrée de jeu, le site d’implantation est tout sauf idéal. Ciliwung, sa rivière centrale, n’est que l’un des treize cours d’eau parcourant une plaine alluviale très plate parsemée de marais infestés de pythons, de tigres, de crocodiles de mer et de myriades de moustiques. Qu’à cela ne tienne, « Dieu a créé le monde, mais les Hollandais ont créé les Pays-Bas », assure l’adage populaire : la Compagnie des Indes hollandaises (VOC) conçoit Batavia comme une cité portuaire internationale avec ses docks et entrepôts, ses murs et sa forteresse.
Dès 1621, les Hollandais réalisent que leur nouveau quartier général est en proie aux inondations ; ils redoublent d’efforts pour creuser des canaux de drainage. La tâche se révèle bien plus complexe qu’aux Provinces-Unies. La faible déclivité du sol s’avère problématique, les canaux s’envasent à un rythme soutenu et doivent être curés fréquemment. Vers le milieu du XVIIe siècle, les Hollandais privilégient le sud de Batavia, où le sol légèrement surélevé est plus accueillant ; ils s’éloignent autant que possible d’un bord de mer par trop malsain. Johan Nieuhof, qui a résidé à Batavia dans les années 1660, dressait un portrait peu flatteur de la cité :
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