L'un des effets les plus délétères de l’époque néolibérale-fascistoïde est la perte du monde commun, donc la disparition des repères. La désorientation. Et les médiocrates déplorent l’avènement de la « post-vérité ». Fanatiquement modérés, centristes, c’est-à-dire pas-encore-fascistes, ils propagent l’esprit de guerre civile, mais voudraient le respect des vérités communes (la Terre est ronde). Guerre civile intérieure et mondiale : opposer les salariés du public et du privé, les « honnêtes gens » et les malhonnêtes, les submergés et les submergeants, les retraités et les actifs, les travailleurs et les chômeurs, les experts et les ignares, les sains et les malades, les « nationaux » et les étrangers, les « boomers » et les autres. Il faudra qu’un jour les « modérés » nous expliquent comment on peut avoir des vérités communes sans repères communs, comment on peut avoir des repères communs sans faire activement un monde commun (ce qui veut dire : éveiller notre sens de l’obligation socio-morale dans l’activité commune consistant à cultiver un champ, à faire marcher un atelier, à organiser une fête, à faire vivre un village ou un quartier).
La désorientation ambiante touche aujourd’hui la notion de nature. Elle suscite deux dangers apparemment opposés, souvent imbriqués.
Complicité du naturalisme et de l’artificialisme
Le premier danger est fascistoïde : c’est celui du naturalisme qui fige une pseudo-essence. C’est donc aussi un fixisme et un essentialisme. Exemple : la nature « destine » la femme à faire des enfants et la cuisine. Selon cette logique, il faudrait interdire l’avortement, encourager la femme à rester à la maison, et à libérer des emplois pour les chômeurs masculins. Notons ceci au passage : il serait erroné de croire que le naturalisme ne puisse pas prendre une apparence « culturelle ». 80 ans après le nazisme, même les fascistoïdes d’aujourd’hui n’osent plus insinuer que le « Mal » (Arabe, Noir, Musulman, Palestinien) serait une question de gènes. Alors ils affirment qu’il est affaire de « culture », de « religion », de « valeurs différentes ». Mais cette culture-là subit le même fixisme que la « nature féminine » : essence immuable, elle est réputée ne pas se transformer historiquement au contact d’autres cultures.
L’autre danger est techno-extrémiste. À l’âge industriel, les sciences dures tombent aisément dans le fanatisme technologique éclairé. Elles disent qu’il n’y a pas (ou font comme s’il n’y avait pas) de nature. Donc pas de limites à l’expérimentation sur l’animal, sur l’Homme, sur les gènes, sur les molécules, sur le ciel, les atomes, la mer, les champs et les rivières. L’Homme étant intrinsèquement créateur, exit la nature, il n’y a que de l’artifice. J’appelle cette attitude l’artificialisme. On peut tout artificialiser : les sols, l’Homme (techno-augmenté) et même, paraît-il, l’intelligence.
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