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L'embargo à venir sur le gaz russe rend crucial le problème de la dépendance énergétique de l'Europe. La solution trouvée, le recours au gaz de schiste, lui substitue une autre dépendance, celle à l'égard des États-Unis. Et pose de sérieuses questions écologiques.
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C'était devenu au début des années 2010 l'un des tabous de la politique française de l'énergie : malgré les gisements présents sous nos pieds, la France n'aurait pas recours au gaz et au pétrole de schiste pour atteindre son indépendance énergétique.
Mais les guerres sont de grandes briseuses de tabous : après avoir dû renoncer en 2020 à un contrat de livraison de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance des États-Unis, Engie va finalement céder à cette sirène. L'objectif : s'affranchir de la dépendance à l'égard de la Russie, qui représente 20 % des approvisionnements du successeur de GDF, et 40 % de la consommation européenne.
Avec l'embargo en cours de décision sur le gaz russe, les États-Unis trouvent un nouveau débouché commercial dans une Europe dépendante, comme au temps de la guerre froide. La différence cette fois, c'est qu'au contraire du pétrole, l'Europe dispose des gisements qui pourraient lui permettre d'obtenir une relative autonomie énergétique.
Mais si la France et la plupart des pays européens ont établi un moratoire sur l'exploitation du gaz de schiste, c'est parce que celle-ci n'est pas anodine ni sans risques pour l'environnement. Contrairement au pétrole présent dans le sous-sol des pays de l'OPEP, pour la plupart situés dans des régions désertiques ou semi-désertiques, le gaz de schiste est difficile d'accès. Il ne suffit pas, comme dans la péninsule arabique notamment, de forer un puits pour en voir jaillir le précieux or noir.
Les dangers de la fracturation hydraulique
Il faut procéder à la fracturation hydraulique des roches, laquelle consiste à injecter de l'eau et des produits chimiques sous pression à des profondeurs pouvant atteindre plusieurs kilomètres sous nos pieds.
Il s'ensuit deux types de pollution : pollution gazeuse d'abord, une partie du méthane, l'un des hydrocarbures libérés, étant rejetée dans l'atmosphère avec un effet de serre bien plus grand que celui du CO2 ; pollution liquide ensuite, avec les possibles rejets des produits chimiques dilués dans les nappes phréatiques alimentant ensuite l'eau que nous consommons, ou que nous utilisons pour l'irrigation de notre agriculture. Ces dangers ont conduit la France à renoncer à exploiter le gisement lorrain en 2011.
Mais tous les pays européens ne se sont pas privés de la manne énergétique et financière que le gaz de schiste représente. Certains se sont laissés convaincre des profits qu'ils pouvaient en attendre. Cela a notamment été le cas de la Pologne, comme l'illustrait le documentaire Holy Field Holy War (2014), dans lequel le réalisateur Lech Kowalski décrivait la vaine lutte des agriculteurs face à la puissance du lobbying des compagnies pétrolières, tellement puissant que la question de la contamination des eaux était éludée par des décideurs publics impuissants.
Outre les risques environnementaux, la fracturation hydraulique représente un danger de séisme non négligeable. Aux États-Unis et au Canada, deux pays phares dans l'exploitation du gaz de schiste, des tremblements de terre de magnitude 3 ou plus se sont multipliés, notamment dans l'Oklahoma américain où il s'en produit plusieurs centaines par an depuis le début des forages. Il s'agit en quelque sorte de presser le sous-sol comme une orange, et cela ne peut manquer de provoquer des effets néfastes.
Le dilemme énergétique
Il se pourrait toutefois que ces scrupules, ainsi que les engagements de la France et de l'Europe en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ne pèsent pas assez lourd par rapport aux enjeux économiques à beaucoup plus court terme.
Les ressources de la France en matière de gaz de schiste étaient évaluées à 100 milliards d'euros dans un rapport qu'Arnaud Montebourg - alors ministre du Redressement productif - avait commandé en 2012.
Des voix s'élèvent ici ou là pour « rouvrir le dossier du gaz de schiste », c'est-à-dire pour lever le moratoire de 2011. La flambée des cours du gaz et du pétrole rendrait en effet rentable l'exploitation de gisements comme cela a été le cas dans l'Alberta canadien, où des schistes bitumineux naguère impropres à l'activité humaine sont devenus depuis de véritables filons.
Est-il dès lors réaliste d'espérer des nations européennes au bord de l'asphyxie qu'elles fassent l'impasse sur une telle poule aux œufs d'or ? Les appels à la sobriété énergétique ont-ils une chance d'être entendus ? Le fait que l'on puisse poser la question est déjà symptomatique en soi.
Photo d'ouverture : Fracturation hydraulique, Vaca Muerta, Argentine, 26 août 2014 - Sobrevolando Patagonia - @Shutterstock
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