Inaction climatique : mais quand va-t-on passer des paroles aux actes ?

Une hirondelle ne fait pas le printemps. Mais visiblement l’espèce humaine, elle, l’a en partie défait… comme toutes les saisons. Nous le savons, le réchauffement de notre planète est une réalité et il est majoritairement d’origine anthropique. Seule option : réduire nos émissions de gaz à effet de serre en changeant notamment notre gestion de l’énergie et nos modes de vie. Et pourtant, si des actions sont menées, elles restent insuffisantes. Pourquoi est-ce si compliqué de passer des paroles aux actes ?

32 tribunes ! 32 rapports pour nous dire que le changement, c’est maintenant ! Il est bien sûr question ici du « changement climatique » mais aussi des changements à accomplir afin de réduire au plus tôt nos émissions de gaz à effet de serre. En effet, ce que le GIEC affirme dans cette 32e édition : c’est qu’à présent, la fenêtre d’action est mince et que l’espèce humaine devra vite revoir sa copie pour limiter le réchauffement à 1,5 au lieu de 2 °C afin de préserver la biodiversité de notre planète. Alors, comment en venir aux applications tangibles, car cela fait longtemps que l’on nous le serine : « faisons vite, ça chauffe ! »

« On n’en est plus au stade de la prise de conscience ! »

Hasard de calendrier, l’Institut national d’études démographiques (Ined) a aussi sorti une enquête évaluant l’intérêt que portent les personnes travaillant dans la recherche scientifique sur le réchauffement climatique et comment elles essaient d’agir pour limiter leur impact environnemental. Il s’avère que si, sans surprise, les chercheurs sont parfaitement au fait de la situation, les résultats montrent un décalage entre leur profond désir de modifier leurs comportements et des habitudes fortement émettrices de gaz à effet de serre.

Les travaux détaillent notamment l’usage de matériel informatique coûteux en énergie ou le recours fréquent à l’avion comme moyen de transport privilégié pour participer à divers événements. Comment cela se peut-il ? Les scientifiques comptent parmi les principaux lanceurs d’alertes sur le sujet et pourtant ils polluent. Ne serait-ce pas simplement parce qu’ils sont humains et qu’il est difficile pour chacun d’entre nous de nous limiter dans notre quotidien ?

« Le problème n’est plus la prise de conscience. 94 % des Européens sont convaincus de l’urgence climatique », explique Mélusine Boon-Falleur, doctorante en sciences cognitives à l’École Normale Supérieure (ENS) de Paris. « L’enjeu actuel est davantage de convertir cette prise de conscience en actions concrètes dans notre société », précise-t-elle.

L’écart entre notre désir d’agir et nos actes réels

Il existe un écart entre la croyance forte dans le réchauffement climatique et les actions que l’on mène pour y pallier qui restent beaucoup plus modestes. Ce décalage entre nos convictions et nos actes a déjà été observé par les psychologues et s’avère particulièrement marquant lorsqu’il s’agit de problématiques environnementales. Qualifié de « belief-action gap » ou « écart croyance-action » en français, il regroupe un ensemble de barrières structurelles mais aussi de facteurs psychologiques intrinsèques.

« Ce phénomène est au cœur de mes recherches. Il s’explique en partie par le fait que nos actes n’ont pas réellement d’effet direct sur nous-mêmes, contrairement, par exemple, aux recommandations de santé publique ou manger sain est bon pour notre propre santé ». En d’autres termes, nous ramassons directement les fruits de nos efforts alors que, en ce qui concerne l’environnement, « on ne peut pas améliorer son microclimat environnant en agissant seul ».

Inversement, si les autres demeurent inactifs, nous payons également les conséquences. « C’est très démotivant. Cela montre un problème de coopération et de cognition sociale. Avant d’agir, on veut plus ou moins inconsciemment s’assurer qu’une bonne partie de la population fera de même ».

C’est sans doute aussi pourquoi certaines croyances ont la vie dure, comme notre pseudo-invulnérabilité. « Nombreux sont ceux qui pensent que l’humanité fera avec, comme elle s’est toujours adaptée aux aléas climatiques », souligne Valérie Masson-Delmotte, membre du GIEC. Pour Mélusine Boon-Falleur ce sont des réactions compréhensibles : « c’est une manière de défendre moralement son inaction. Il est important de paraître un bon citoyen qui fait sa part ».

Des freins qui peuvent se transformer en levier d’action

Ainsi, si l’on ne veut pas en faire plus, on ne veut pas non plus être celui qui n’en fait pas assez. C’est pourquoi ces freins psychologiques peuvent devenir, à l’opposé, des leviers d’action pour accélérer le développement de comportements vertueux. « Il suffit de les rendre visibles », scande la chercheuse. Pour l’instant, la plupart des habitudes fortement émettrices de CO2 sont considérées comme la norme comme manger de la viande ou avoir une voiture.

Pourtant, « on peut faire basculer les normes sociétales établies. Les populations qui s’y convertiront auront l’impression de faire partie d’un mouvement et cela, en revanche, s’avère très motivant ». L’effet de groupe, en somme. Il est d’ailleurs observé dans l’enquête de l’Ined : alors que la visioconférence rebutait les scientifiques, ils ont fini par y recourir contraints et forcés par la situation sanitaire.

Or, l’essayer, c’est l’adopter ! Aujourd’hui, la majorité a déclaré vouloir continuer à l’utiliser. « Ils avaient peur d’être les seuls à le faire, de ne pas pouvoir interagir convenablement avec leurs pairs lors de congrès, de manquer quelque chose. Maintenant, le système a gagné en visibilité au bénéfice du collectif », commente Mélusine Boon-Falleur.

Pour parvenir à ce mouvement collaboratif, les chercheurs de l’Ined soulignent le rôle prépondérant des institutions. Et pour cause, pour que les actions soient efficaces, il faut qu’elles soient coordonnées mais aussi qu’elles soient équitables. « Pour qu’un effort soit consenti, il est nécessaire qu’il nous paraisse juste et donc en prenant en compte les spécificités des populations ». De même, des modifications structurelles sont primordiales « pour proposer des alternatives accessibles à tous ».  À voir si au niveau local, du pays et des différents États, une coopération globale est possible, et cela, avant un 33e rapport qui nous informe que… c’est cuit !

Photo d'ouverture : 24Novembers - @Shutterstock