Essentiellement réformiste et concentrée sur les petits pas, l’écologie du spectacle porte témoignage au lieu de porter secours. Clément Sénéchal, auteur de Pourquoi l’écologie perd toujours (Seuil, 2024), déplore que cette écologie du spectacle ait rendu la problématique environnementale soluble dans l’extension du système capitaliste et le fonctionnement social des classes dominantes. Il invite à réinventer des formes d’actions directes et à utiliser le levier de l’État pour défaire le pouvoir du capital.

publié le 02/02/2025 Par Laurent Ottavi

Laurent Ottavi (Élucid) : Pouvez-vous expliquer en quoi et pourquoi, selon vos mots, l'environnementalisme moderne a été codé comme une « écologie du spectacle » ?

Clément Sénéchal : Dans les années 1970, il existait en France une écologie radicale et militante, marquée par des luttes d’occupation (comme au Larzac ou en Bretagne) et les écrits anticapitalistes d’André Gorz. Une écologie syndicale, même, menée par Bernard Laponche et la CFDT dans le secteur énergétique. Mais un autre type d’écologie se développe au même moment au Canada, avec l’avènement de Greenpeace, qui va rapidement devenir mainstream et s’imposer sur les autres au niveau international, au moins dans l’espace occidental.

Plutôt que d’occuper les zones à protéger, détruire l’infrastructure écocidaire ou même simplement constituer une force militante, Greenpeace opte pour une écologie du témoignage, qui place l’image au centre du jeu, avec une division très stricte entre acteurs (« prophètes » selon Robert Hunter, figure tutélaire de l’organisation) et spectateurs, puis entre professionnels et donateurs. Au cœur de cette recette, on trouve l’idée selon laquelle suffirait d’alerter sur un problème pour qu’il trouve automatiquement une résolution – ce qui dénote une vision très naïve de la démocratie libérale et du capitalisme. « Image is everything », écrit Robert Hunter dans ses mémoires.

Dans cette équation, la médiatisation devient une fin en soi, notamment parce qu’elle permet de mobiliser des capitaux. Pour ce faire, l’écologie promue par Greenpeace ou le WWF est à la fois sensationnaliste et compassionnelle, œcuménique et restreinte, concentrée sur des espèces iconiques et oublieuse des classes populaires. Elle forme une cause séparée des autres, éloignée de la question sociale, aveugle à la critique du capitalisme et dédaigneuse des clivages politiques. Elle devient alors morcelable, négociable et surtout profitable pour les élites, qui en tirent un business (le développement durable) et des positions sociales avantageuses (dirigeant d’ONG, ministre d’ouverture, etc.). Ce qui ouvre la voie à son institutionnalisation au sein du capitalisme : l’horizon révolutionnaire laisse place aux salons mondains, les militants aux experts. Les collectifs militants deviennent des multinationales et l’écologie un produit rentable sur le marché de la bonne conscience.

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