Décréter que la nature n’existe pas participe au triomphe de l’industrialisme. Dans La nature existe, par-delà règne machinal et penseurs du vivant (L’Échappée), le philosophe et historien des sciences Michel Blay, également auteur de L’ordre du technique, et le philosophe Renaud Garcia, auteur du Sens des limites (2018) et du Désert de la critique (2021), s’appuient sur l’héritage des naturiens pour battre en brèche la confusion entre science, savoir, technique et nature répandue par une certaine écologie. Ils plaident aussi pour retrouver un temps et un travail concrets par opposition au temps et au travail abstraits imposés par l’ordre technique. Entretien.

publié le 23/03/2025 Par Laurent Ottavi

Laurent Ottavi (Élucid) : Vous avez choisi un titre qui marque la différence avec tout un pan de l’écologie actuelle pour laquelle, bizarrement, la nature n’existe pas et à qui elle préfère la notion de « vivant », plus « inclusive » à ses yeux. De qui ces personnes sont-elles les héritières et pourquoi soutiennent-elles l’inexistence de la nature ?

Michel Blay : Nous nous sommes intéressés à ce que nous appelons, avec une pointe de dérision, le « descolatourisme », c’est-à-dire l’association ou la complémentarité des œuvres de Philippe Descola et de Bruno Latour, malgré la différence de leurs pensées. Nous nous appuyons, outre Politiques de la nature de Bruno Latour, sur deux textes majeurs dans leur production : Nous n’avons jamais été modernes (La Découverte, 1991/1997) où Latour se réfère à Descola, et Par-delà nature et culture (Gallimard, 2005) où Descola reprend son travail anthropologique sur les Achuars d’Amazonie, paru initialement en 1986, dans un contexte désormais nourri par les thèses de Latour.

Le « descolatourisme » – qui essaime chez tout un ensemble de disciples ou continuateurs, tenus, par exemple dans les colonnes du journal Le Monde, pour les nouveaux penseurs du vivant – nous est apparu comme un discours qui, implicitement, légitime le développement de l’industrialisme et le pouvoir de la technocratie, au sens moderne du terme. On trouve ainsi dans Nous n’avons jamais été modernes une confusion extraordinaire entre les notions de science, de technique, de savoir et de nature qui interdit de comprendre pleinement la nature spécifique de la construction de la science au sens moderne du terme.

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