Les marchands du doute - Naomi Oreskes et Erik M. Conway

Dans Les marchands de doute (2012), N. Oreskes et E. M. Conway se fixent comme objectif de mettre en lumière l’influence négative que peuvent avoir une minorité de personnes sur des débats de société comme le réchauffement climatique ou le tabagisme.

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Les lobbys industriels (énergie, tabac, pétrole, militaire) cherchent à discréditer la science et les scientifiques afin de semer la confusion : réchauffement climatique, pluies acides, tabagisme, autant de thèmes que des « experts indépendants » et des médias complaisants se sont efforcés de discréditer pour remettre en question le consensus scientifique.

Ce qu’il faut retenir :

Depuis presque un siècle, la communauté scientifique est constamment assaillie par des « marchands de doute ». Industriels, scientifiques, journalistes ou politiques, ils décrédibilisent les découvertes scientifiques pouvant nuire à leurs intérêts – économiques ou politiques. Les moyens sont nombreux : financer des recherches alternatives, manipuler les résultats pour minimiser les risques, s’attaquer à la réputation des scientifiques en question, etc. L’objectif n’est pas de réfuter les thèses qui les dérangent, mais de les mettre en doute jusqu’à rendre l’action impossible.

L’industrie du tabac, dans les années 1960, fut pionnière en la matière, usant de nombreux procédés pour mettre en doute les méfaits du tabac.

L’Institut Marshall, think tank conservateur créé pendant la Guerre froide, usa des mêmes techniques pour décrédibiliser les thèses antinucléaires, allant jusqu’à remettre en cause l’hypothèse de l’hiver nucléaire. Sous couvert d’un principe d’équité entre les différentes parties, les médias ont largement relayé leurs positions.

Le réchauffement climatique fut également un thème de prédilection des marchands de doute qui, manipulant les résultats scientifiques, firent du soleil la cause essentielle du phénomène – alors que nombre d’études, vérifiées par la communauté scientifique dans son ensemble, avaient mis en cause les gaz à effet de serre comme facteur principal.

Le dernier scandale en vue est celui des pesticides à base de DDT. Alors qu’une étude mettait en lumière les effets néfastes qu’ils avaient sur les écosystèmes, les scientifiques défendant cette thèse furent accusés de « meurtre », sous prétexte que ce type de pesticide était autrefois utilisé pour lutter contre les moustiques porteurs de la malaria – utilisation pourtant désuète.

Biographie de l’auteur

Naomi Oreskes (1958-) est une historienne des sciences américaine, spécialiste des questions environnementales, particulièrement concernant le réchauffement climatique. Enseignante à Harvard, elle connaît une certaine notoriété après la publication de l’ouvrage Les marchands de doute, qu’elle écrit avec Erik M. Conway. Depuis, elle est une voix de premier plan concernant le rôle de la science dans la société et la réalité du changement climatique anthropique.

Erik M. Conway (1965-) est également historien des sciences américain. Il obtient un doctorat de l’Université du Minnesota en 1998, avec une thèse sur le développement des aides à l’atterrissage des avions. Ses travaux se situent ainsi à la croisée de la science et de la technologie, étudiant particulièrement les liens entre la recherche scientifique et les mutations technologiques. Il travaille aujourd’hui en tant qu’historien au Jet Propulsion Laboratory, un laboratoire de recherche de la NASA.

Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.

Synthèse de l’ouvrage

Introduction

Ben Santer, climatologue américain, est l’un des plus éminents spécialistes de la question du réchauffement climatique. Il est le premier à avoir mis en évidence, dans les années 1980, la différenciation entre la troposphère, la couche de l’atmosphère la plus proche de la terre, dont la température est particulièrement basse (elle y décroît avec l'altitude), et la stratosphère, plus chaude et située au-dessus de la première. Cela lui permit de démontrer le lien entre le réchauffement de la stratosphère et l’action humaine. Il démontre également, d’une part, que la troposphère connaît un phénomène de refroidissement et, d’autre part, que le soleil ne peut avoir un tel effet sur l’atmosphère. C’est donc l’action humaine qui est à l’origine du réchauffement stratosphérique. La publication de sa thèse dans le rapport du GIEC de 1995 fait de lui l’objet d’attaques particulièrement déloyales : accusations de falsification, militantisme et ignorance des avis contraires. Il a pourtant suivi scrupuleusement la procédure scientifique de la « relecture par les pairs », procédure qui consiste à faire vérifier ses dires par un grand nombre de scientifiques de toutes orientations. Malgré cela, la réputation de Santer est ruinée, ses détracteurs parvenant à « maintenir la controverse active » et le doute sur la véracité de ses travaux.

Ses principaux opposants sont deux physiciens en retraite : Frederick Seitz, ayant participé à la fabrication de la bombe atomique, et Fred Singer, figure emblématique du développement des satellites d’observation. Tous deux membres de l’Institut Georges C. Marshall, un think tank conservateur ; ils sont connus pour leur acharnement dans la lutte contre le bloc soviétique pendant la guerre froide et pour avoir ardemment défendu la cause des industriels du tabac, dans les années 1990. Ils ont notamment vendu leurs services aux corporations et think tanks ayant besoin d’attaquer les preuves scientifiques. « Les journalistes et le public ne comprirent jamais qu’il ne s’agissait pas de débats scientifiques, prenant place au sein des laboratoires, entre chercheurs actifs, mais de désinformation, partie intégrante d’une vaste entreprise commencée avec le tabac». La stratégie de ces marchands de doute consiste à affirmer que les études sont incomplètes, bâclées, ont des visées politiques ou sont au service du gouvernement. « À chaque fois, ils nièrent systématiquement l’existence de consensus scientifique alors qu’ils étaient bien les seuls à s’y opposer ».

D’ordinaire, une poignée de personnes ne peut avoir suffisamment de pouvoir pour infléchir la politique d’un pays tout entier, voire du monde. « Ces hommes n’avaient pas d’expertise dans les questions environnementales ou de santé, mais ils avaient du pouvoir et de l’influence ». En effet, leur notoriété, provenant notamment de leur rôle pendant la guerre froide, leur permet de peser plus efficacement dans le débat public.

Comment des scientifiques de renom, censés être attachés à la recherche de la vérité, en viennent-ils à soutenir de telles positions ?

Chapitre I. Notre produit, c’est le doute

Le 15 décembre 1953, des chercheurs de l’institut Sloan-Kettering de New York démontrent, après des expérimentations sur des souris, que le goudron de cigarettes est à l’origine de cancers graves. Les médias diffusent alors en masse l’information. Les quatre plus grands industriels du secteur du tabac – American Tobacco, Benson et Hedges, Philip Morris et US Tobacco – font alors appel à John Hill, PDG d’une entreprise de relations publiques, afin de mettre en place une stratégie pour « tromper le public américain sur les effets du tabagisme sur la santé».

La stratégie de Hill est simple : « le doute scientifique doit perdurer ». À cette fin, il finance des recherches alternatives pour mettre en doute le lien entre le tabagisme et le cancer, distribue des libellés aux médecins, journalistes et responsables politiques, met en œuvre des campagnes de publicité massives, etc. L’objectif est de retarder le processus de construction du consensus scientifique autour de la découverte, cela en questionnant activement cette dernière.

Après avoir étudié les archives de l’industrie du tabac des années 1960, le professeur Stanton Glantz montre que non seulement ils connaissaient la dangerosité de leur produit, mais ils étaient aussi parfaitement conscients que la nicotine entraînait une dépendance. Le rapport « Tabagisme et santé », publié en 1964 par le secrétaire général à la santé fit l’effet d’une bombe. En confirmant, dans un communiqué officiel, que le tabac tuait les Américains, le gouvernement admettait avoir validé la vente d’un poison mortel à sa population et profité de taxes sur ce produit.

Alors que les preuves de leur connaissance des dangers du tabac s’accumulaient, l’industrie du tabac a dû multiplier les efforts. Il a alors fallu employer des scientifiques renommés, dont Frédérick Seitz. Directeur de l’université Rockefeller, Seitz se dit « plus qu’heureux» d’accepter un poste de direction chez R. J. Reynolds Industries, cette dernière s’étant engagée à verser à l’université 500 000 dollars par an pendant cinq ans.

Les scientifiques partisans de l’industrie du tabac profitèrent largement de la « doctrine de l’équité » appliquée par les médias. C’était le commencement du commerce du doute qui est encore mis en œuvre aujourd’hui.

« La route du tabac conduirait à la Guerre des étoiles, à l’hiver nucléaire, aux pluies acides, au trou d’ozone, jusqu’au réchauffement climatique. Seitz et ses collègues allaient combattre les faits et commercialiser le doute, jusqu’au bout ».

Chapitre II. Défense stratégique, truquage des faits et création de l’institut Marshall

Fortement anticommuniste, Seitz était très proche des cercles conservateurs qui militaient contre la politique de détente avec l’URSS et se faisaient les défenseurs d’une militarisation toujours croissante. Employant les mêmes procédés que l’industrie du tabac, ils s’employèrent à nier les faits rapportés par la CIA et à surestimer les capacités du bloc soviétique. Ils allèrent jusqu’à rejeter la thèse d’un « hiver nucléaire », phénomène qui pourrait advenir après un bombardement atomique.

Alarmiste et théoricien du pire des scénarios, Edward Teller, un autre physicien habitué de la Maison-Blanche, fut le fondateur de « l’équipe B », un service de « renseignement » parallèle à la CIA et farouchement opposé à l’Union soviétique. Sous Reagan, l’équipe B devint l’équipe A et les conceptions scientifiques qu’elle défend constituèrent alors la base de la politique étrangère de confrontation menée par Reagan.

Cela explique notamment la décision, en 1983, de poursuivre l’Initiative de défense stratégique, dite projet « Guerre des étoiles », un projet de défense anti-missile. Sous l’impulsion d’un homme, Carl Sagan, les scientifiques américains firent entendre leur désaccord avec ce projet, jugé impossible, inutile et contre-productif puisque les Soviétiques auraient pu être tentés d’attaquer avant l’aboutissement du bouclier antinucléaire. Pourtant, en amplifiant la crainte que les États-Unis soient dépassés par l’URSS, l’équipe B, devenue A, parvint à ses fins : le Congrès approuve le financement du projet à hauteur de 60 milliards de dollars.

Avec Robert Jastrow, Frédérick Seitz fonde l’institut Georges C. Marshall, du nom du général américain, architecte de la reconstruction de l’Europe d’après-guerre et chargé, entre autres, de contenir l’avancée du communisme. « Reprenant la stratégie du tabac, ils intimèrent aux journalistes de “contrebalancer” les positions antinucléaires par celles de l’institut Marshall. Lorsqu’ils ne le faisaient pas, Jastrow les menaçait en invoquant le principe d’impartialité ».

Seitz et Jastrow, ainsi que l’ensemble des scientifiques de l’institut Marshall, s’employèrent à décrédibiliser la thèse de l’hiver nucléaire sans jamais attaquer frontalement les modèles scientifiques. En effet, ils décrédibilisèrent certains scientifiques qui défendaient la thèse de l’hiver nucléaire en mettant en doute leur fidélité aux États-Unis, parce que, par exemple, leurs travaux avaient reçu les félicitations des présidents du parti communiste soviétique. Ils généralisèrent ces accusations à tous les partisans de cette thèse, les qualifiant d’écologistes/progressistes/communistes.

Chapitre III. Semer la graine du doute. Le cas des pluies acides.

Alors que les débats sur les programmes nucléaires battent leur plein pendant les années 1960, un nouveau phénomène scientifique est découvert : les pluies acides du New Hampshire, dans le nord du pays (en réalité, l’existence d’un tel phénomène dans les zones industrielles était déjà connue depuis le XIXe siècle – constaté, à l’époque, en Angleterre ou en Allemagne). Les pluies acides sont caractérisées par un pH bien plus faible que la normale. Le pH de l’eau, neutre, est égal à 7, et, celui des pluies normales, à 5. Dans le New Hampshire, le pH relevé était de 2,85 – comparable à celui d’un jus de citron.

Dans les années 1960-1970, les dégâts de l’industrie sur l’environnement (acidification des sols, corrosion des bâtiments, etc.) ne sont que potentiels – les travaux des chercheurs pour anticiper la catastrophe étaient encore en cours. Concernant les pluies acides, un symposium international sur la question fut tenu en 1975, sous l’impulsion du ministère de l’agriculture américain, à la suite duquel le phénomène devint une réalité scientifique incontestable. Cependant, son origine n’est pas encore déterminée : résultait-il de l’action humaine ou constituait-il un phénomène naturel ?

L’étude de l’évolution du phénomène permit de prouver l’origine humaine du problème. Les ingénieurs industriels, face aux nuages de suies qui envahissaient régulièrement les villes du New Hampshire, avaient mis en place un système de filtre limitant les particules de fumée s’échappant des cheminées d’usines. Cependant, les filtres ne réglaient qu’une partie du problème. En effet, les cheminées d’usines libéraient, malgré les filtres, du dioxyde de soufre qui, lui, ne produit pas de fumée. Pour faire face à ce nouveau problème, les industriels prirent la décision de construire des cheminées plus hautes afin de favoriser la dispersion, ce qui eut pour effet de faciliter la propagation du dioxyde de soufre dans les nuages. Ces mesures eurent donc pour effet de transformer une suie toxique locale en une pluie acide régionale…

La difficulté à saisir précisément l’origine du phénomène permit aux marchands de doute de nier catégoriquement l’origine humaine des pluies acides, accusant les volcans, qui relâchaient également du dioxyde de soufre, d’en être la cause. Il fallut attendre 1978 pour que la thèse de la pluie acide d’origine volcanique fut définitivement repoussée.

Depuis, la théorie d’une cause humaine des pluies acides est confirmée et de nombreuses lois sont prises pour faire face au problème, jusqu’à l’élection de Reagan en 1981 : ce dernier ayant fondé sa campagne électorale sur une réduction des réglementations fédérales, il met fin au développement législatif sur la question des pluies acides. 

Un panel de neuf scientifiques, dirigés par William A. Nierenberg, fut formé afin de déterminer les risques liés aux pluies acides et les mesures à prendre. Fred Singer, membre de cette équipe et mandaté par la Maison-Blanche, s’employa à minimiser les risques liés aux pluies acides et à surestimer le progrès scientifique et technologique – cela pour satisfaire les besoins de l’administration Reagan. Singer considérait à ce titre que la loi de l’offre et de la demande et le libre marché parviendraient d’eux-mêmes à réguler les émissions de gaz polluants et les externalités négatives de la production économique. « Le rapport du panel sur les pluies acides devait être une évaluation scientifique par les pairs, mais Singer y avait introduit une vision politique cohérente avec celle de l’administration Reagan ».

Nierenberg, une fois le rapport terminé, le modifia sans en informer les autres membres de l’équipe afin de le rendre conforme à ce que souhaitait l’administration présidentielle. Il n’y eut ainsi pas de législation sur les pluies acides pendant les années Reagan.

Comme le firent les industries du tabac, les pouvoirs publics choisirent la stratégie du doute : « Nous ne savons pas ce qui en est la cause » était devenu le discours phare du gouvernement américain, justifiant ainsi son inaction. Ce discours du doute fut ensuite repris docilement par les médias.

Avec l’administration Bush, dans les années 1990, des réglementations furent enfin prises, réduisant de 54 % les rejets de dioxyde de souffre qui étaient responsables des pluies acides. Contrairement à ce qu’avait avancé l’industrie de l’énergie, le prix de l’électricité, plutôt que d’augmenter, avait diminué. « L’industrie de l’énergie avait souvent accusé les environnementalistes de vendre de la peur ; or, c’est exactement ce qu’elle-même avait fait en agitant ses craintes de ravages économiques […] la science avait eu raison sur toute la ligne ».

Ces dix années perdues eurent des conséquences malheureusement irréversibles, mettant définitivement en péril la pérennité des forêts d’Amérique du Nord. 

Chapitre IV. L’invention d’un contre-récit. La bataille du trou d’ozone

Au début des années 1970, des études sur l’impact environnemental des réacteurs supersoniques et des propulseurs utilisés par les navettes spatiales furent engagées. On constata que ces derniers relâchaient du chlore dans la stratosphère, détruisant lentement la couche d’ozone. Des études plus approfondies mirent en lumière le rôle d’une série de produits chimiques type chlorofluorocarbones (CFC), propagés par les aérosols ou les réfrigérateurs. « La révélation que des objets aussi anodins que des vaporisateurs pouvaient détruire l’ozone de la Terre et augmenter les taux de cancer produisit un ouragan médiatique ».

L’industrie des aérosols mit en œuvre une stratégie semblable à celle de l’industrie du tabac pour défendre ses intérêts. Nier l’existence du problème, souligner le manque d’étude sur la question, affirmer que l’homme ne pouvait influer sur l’environnement ou encore accuser les volcans, tout était bon pour instiller le doute dans l’opinion publique. Malgré tous leurs efforts, le peuple américain réduisit d’un tiers sa consommation de CFC entre 1973 et 1977. Les CFC finirent par être interdits en 1979, mais seulement aux États-Unis.

Il faut attendre 1985 pour que le British Antartic Survey révèle l’existence d’une importante déplétion de l’ozone au-dessus de l’Antarctique. La découverte conduit à la conclusion d’un accord international, le protocole de Montréal, qui prévoyait une réduction de 50 % de la production de CFC dans les années à suivre. Le même phénomène fut par la suite détecté dans l’Arctique et les résultats convainquirent l’industrie que ses produits étaient réellement nocifs.

Ces recherches ne se firent cependant pas sans contestation, notamment de la part Fred Singer. Il soutenait que les conclusions étaient incomplètes et incertaines et mit en lumière les difficultés assurées de l’abandon des CFC, qui serait dangereux et cher. Il accusa la communauté scientifique d’être corrompue, motivée par des intérêts égoïstes et une idéologie politique : selon lui, elle suivait un programme environnementaliste et communiste cherchant la mort du capitalisme. Cette position lui apporta une certaine notoriété publique.

Malgré tous les efforts de l’industrie, la production de CFC devait cesser en 2000 et celle des autres produits chimiques entre 2005 et 2040. Des réfrigérants sans CFC, ne présentant aucune toxicité, sont aujourd’hui disponibles avec de meilleurs rendements énergétiques.

Chapitre V. Qu’est-ce que la mauvaise science ? Qui en décide ? La lutte contre le tabagisme passif

Dans les années 1970, les chercheurs de l’industrie du tabac avaient découvert que la fumée dégagée par les cigarettes contenait plus d’éléments toxiques qu’en prise directe. Plusieurs États américains décidèrent ainsi de restreindre le droit de fumer dans les lieux publics.

Fred Singer fut recruté par l’industrie du tabac pour lutter contre les législations. À cette fin, il publia un livre à l’intention des industriels nommé Mauvaise science. Un manuel de référence dans lequel il présentait les arguments à opposer. « Le but [de cet ouvrage] n’était pas de corriger des erreurs scientifiques pour que la régulation soit mieux fondée. Il s’agissait de décrédibiliser la régulation en mettant en cause son fondement scientifique ».

Les attaques de Singer étaient dirigées contre les études réalisées par l’Environmental Protection Agency (EPA) alors que ces dernières passèrent avec succès l’épreuve de vérifications par les pairs. En effet, toute production scientifique est, avant publication, lue et critiquée par au moins trois experts n’ayant aucun lien avec l’auteur. Les publications de l’EPA étaient vérifiées par neuf experts, précisément pour anticiper les accusations en malversation ou manipulation des faits, chiffres et expériences menées. Singer et les industries du tabac savaient que les travaux de l’EPA avaient été soumis à une vérification précise, mais pas les populations. Ils se servirent de cette ignorance du public pour maintenir un doute qui n’avait pas lieu d’être.

Chapitre VI. Le déni du réchauffement climatique

Nous savons que le gaz carbonique est un gaz à effet de serre depuis le XIXe siècle, et que le phénomène de réchauffement climatique est dû à l’action humaine depuis les années 1960. La communauté scientifique, globalement convaincue par cette théorie, voit à nouveau les scientifiques conservateurs, avec à leur tête Nierenberg, Seitz et Singer, s’opposer à elle. Toujours en accord avec la doctrine politique de Reagan, ces derniers considèrent que le phénomène n’était pas suffisamment étudié et que les progrès technologiques et le libre marché permettraient, dans le futur, d’y faire face. C’est d’ailleurs au début des années 1980 qu’est né le mythe de la « transition énergétique » sous la plume d’économistes comme William Nordhaus et Thomas Schelling.

Les conséquences du réchauffement climatique étaient tellement éloignées et les politiques à mettre en place, trop onéreuses et répressives. Il fallait tout simplement les ignorer. Cette interprétation économique du réchauffement était, et est toujours, étrange : « comme si l’on disait que les chercheurs en médecine ne doivent pas s’efforcer de guérir le cancer, car cela revient trop cher, et que de toute façon les gens dans le futur pourraient décider que mourir du cancer n’est pas si grave ».

En 1989, après l’effondrement de l’Union soviétique, les scientifiques de l’Institut Marshall perdirent leur vieil ennemi. Cela aurait pu justifier la dissolution du think tank ; pourtant, il demeura et s’attaqua désormais à la science du climat et aux sciences qu’ils qualifiaient « d’alarmistes ». La même année, ils publièrent un « livre blanc » attribuant la cause du réchauffement climatique au soleil. En réalité, le phénomène est effectivement issu de l’effet combiné du soleil, des volcans, mais aussi des gaz à effet de serre, qui en sont la cause majeure. Cependant, leur démarche n’était pas scientifique, mais politique : il s’agissait d’empêcher la Maison-Blanche de mettre en place des taxes et des restrictions concernant les combustibles fossiles. Cet objectif fut malheureusement atteint.

Le schéma était toujours le même : « des points de vue non scientifiques circulaient largement, tandis que leurs réfutations par des scientifiques n’étaient publiées que dans des revues destinées aux collègues ».

En outre, les médias de masse présentèrent cette opposition comme étant l’objet d’un véritable débat. En somme, « la divergence entre l’état de la science et la façon dont elle était présentée dans les principaux médias aida nos gouvernements à ne rien entreprendre contre le réchauffement climatique».

Chapitre VII. La négation frappe à nouveau, Rachel Carson et le DDT

Dans Silent Spring, publié en 1962 et validé, dix ans plus tard par le Conseil scientifique du Président, Rachel Carson met en évidence le danger que représentent les pesticides à base de dichlorodiphényltrichloréthane (DDT), réputé sans danger pour l’homme. La toxicité concernait également l’être humain, puisqu’on retrouvait le produit dans la nourriture, notamment dans le poisson.

Les scientifiques, les pouvoirs publics et l’opinion publique étaient favorables à l’interdiction du DDT. Mais, ce fut sans compter sur le pouvoir d’influence des cercles conservateurs qui accusèrent Carson d’être une « meurtrière de masse ». Selon eux, puisque le DDT avait été créé pour éliminer les moustiques porteurs de la malaria, interdire l’utilisation du produit provoquerait une résurgence de la malaria et la mort de millions de personnes en Afrique. Pourtant, si le DDT permit effectivement de vaincre la malaria dans les pays développés, il fut inefficace dans les pays africains en raison du manque de développement de l’éducation des populations, de mesures de santé publique insuffisantes et d’un trop faible niveau d’urbanisme. En outre, le DDT devint de plus en plus inefficace jusqu’à devenir parfaitement inutile, car les moustiques ont développé une résistance aux pesticides.

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