Alors que notre monde est de plus en plus prospère et paisible, la colère, le ressentiment et l’insatisfaction grandissent. Pourquoi sommes-nous enclins à préférer la violence ? Comment expliquer que nous refusions d’embrasser la paix dont nous pourrions pourtant jouir aujourd’hui ?

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Dans La Haine orpheline (2020), Peggy Sastre tente d’expliquer cette « haine » sans cause. Selon Sastre, nous ne parviendrons à nous libérer de cette colère qu’en saisissant pleinement nos origines. L’évolution, la lutte pour la préservation des gènes, le conflit entre parent et progéniture sont autant de clefs de compréhension que nous offre l’auteur pour prendre du recul sur notre nature profonde et, peut-être, s’en détacher.

Ce qu’il faut retenir :

Un sentiment d’insatisfaction et de colère généralisé semble caractériser notre époque. Loin d’être un évènement propre à la modernité, ce phénomène résulte en réalité d’une tendance ancestrale à la conflictualité. En effet, à l’échelle évolutionnaire, il importe pour chaque espèce de se maintenir dans le temps, et, par voie de conséquence, pour chaque individu au sein d’une espèce, de perpétuer ses propres gènes. Cette loi de l’évolution crée un perpétuel état de compétition génétique entre les membres d’une même espèce, y compris entre les parents et leurs progénitures, qui n’ont qu’une moitié de gènes en commun.

Puisqu’il importe de diffuser ses gènes le plus largement, chez les espèces sexuées comme les humains, il est essentiel d’attirer un partenaire pour la reproduction. Ainsi, la compétition sexuelle prend la forme d’une compétition intrasexuelle, entre hommes pour obtenir une femme, et entre femmes pour obtenir un homme. Les femmes ont leurs propres stratégies, fondamentalement différentes de celles des hommes, pour retenir un partenaire (médisance, beauté, etc.).

En somme, notre esprit est calibré selon ce principe de conflictualité et, dans ce contexte, la politique s’occupe de donner une cohérence à des communautés d’individus en compétition. Par conséquent, la politique, nos choix idéologiques, nos traits psychologiques découlent du contexte ancestral dans lequel l’homme s’est développé. Nous sommes ainsi habitués à appréhender le monde en traçant une frontière entre alliés et ennemis, entre membres de notre communauté, à qui nous sommes loyaux, et les autres, qui menacent cette dernière.

Biographie de l’auteur

Peggy Sastre (1981-) est une journaliste et une essayiste française. Spécialiste de Nietzsche et de Darwin, sa pensée se rattache à la psychologie évolutionniste (ou evopsy), un courant de la psychologie cognitive qui, liant sociologie et biologie, tente d’expliquer les comportements humains grâce à la théorie évolutionniste. Sa thèse, soutenue en 2011, est ainsi intitulée Généalogies de la morale : perspectives nietzschéenne et darwinienne sur l’origine des comportements et des sentiments moraux. Par ailleurs, contre les pensées féministes, elle propose une lecture évolutionniste de la domination masculine, qui trouverait son fondement dans une donnée biologique : selon Sastre, la femme enfante et cette charge imposée aux femmes par la biologie a permis aux hommes d’asseoir leur domination.

Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.

Synthèse de l’ouvrage

Introduction

Selon une enquête YouGov publiée en 2016, dans quinze des dix-sept pays sondés, une majorité de personnes estiment que le monde « va pire qu’avant ». La France, le pays le plus pessimiste selon cette étude, compte 81 % de personnes qui considèrent que la situation globale s’est dégradée. Comment expliquer cette insatisfaction générale ?

L’intellectuel indien Pankaj Mishra qualifie notre époque d’« âge de la colère » : nos attentes sont déçues, la modernité n’aurait pas tenu ses promesses et le ressentiment grandit. Pourtant, « le monde va objectivement et largement mieux aujourd’hui qu’hier. » Les guerres sont moins fréquentes, les violences interpersonnelles ont diminué, nous sommes en meilleure santé et, globalement, le confort de l’homme s’est amélioré. Cependant, habitués depuis des milliers d’années à vivre dans un environnement de stress et de conflictualité, nous ne nous sommes pas encore adaptés à cette situation nouvelle. En effet, en milieu hostile, « la crainte sans objet [est] plus profitable que la confiance fautive » ; autrement dit, il est plus prudent de considérer d’emblée que l’autre vous sera hostile plutôt que de présumer sa bienveillance. Notre esprit a ainsi été calibré pour fonctionner selon ce principe de défiance et, face à une situation générale qui s’est améliorée, «[il] ne s’est pas mis à jour et tourne désormais à vide, propulsé par la force d’inertie d’une haine devenue orpheline ».

1. Conflits de générations

À l’échelle évolutionnaire, ce qui importe avant tout pour les différentes espèces est de se maintenir dans le temps et, par conséquent, au sein de ces espèces, il importe à chaque individu de perpétuer ses gènes. Chez les êtres humains, la reproduction implique l’union de femelles et de mâles ; or, « le fait d’être une espèce sexuée a de nombreuses répercussions en général, et pour le sujet qui nous occupe en particulier. » En effet, contrairement aux espèces asexuées, dans lesquelles le géniteur et la progéniture partagent les mêmes gênes, chez les espèces sexuées, parents et enfants ne partagent qu’une moitié d’ADN, ainsi, «leurs intérêts divergent autant qu’ils concordent ».

En 1974, Robert Trivers, professeur de biologie à Harvard, a proposé une explication à cette divergence d’intérêts et a ainsi élaboré la théorie du conflit parent-progéniture. Selon Trivers, la relation entre un enfant et ses parents est caractérisée par une tension entre le désir des parents d’augmenter les chances de survie de leur descendance et leur intérêt à favoriser leur propre survie, afin de diffuser plus largement leurs gènes en procréant à nouveau.

Dans cette perspective, « le modèle de Trivers statue que la structure de l’investissement parental […] fluctue en fonction des possibilités de produire une nouvelle progéniture, de la potentielle viabilité de cette dernière, et prédit qu’un enfant entrera à la fois en concurrence avec ses parents et ses frères et sœurs, qu’ils soient ou non déjà nés. »

Cette lutte n’est en rien incompatible avec l’existence de comportements altruistes et, au contraire, elle en est la source. Le biologiste britannique William Hamilton (1936-2000) est parvenu à résoudre ce paradoxe entre lutte pour soi et sacrifice pour autrui en posant ce qu’on a appelé la règle génétique de l’altruisme. Selon cette règle, un comportement altruiste peut être sélectionné dans une population lorsqu’il procure un bénéfice supérieur à son coût en termes génétiques. Autrement dit, on se sacrifie lorsque cela est avantageux pour la préservation de nos gènes.

La première implication est simple : « les individus préfèrent largement coopérer avec leurs parents génétiques les plus proches, car en se dévouant de la sorte, ils favorisent la propagation de leurs propres gènes. » La grandeur du sacrifice dépendra ainsi du degré de proximité génétique avec la personne pour laquelle on se sacrifie. Par exemple, chez les abeilles, les fourmis ou les guêpes, les femelles, qui partagent un lot du père et de la mère, sont plus apparentées entre elles que les frères, qui ne reçoivent qu’un lot de la mère ; on observe ainsi que l’altruisme est plus fréquent entre femelles qu’entre mâles ou qu’entre mâles et femelles.

Cependant, chez d’autres espèces, il existe aussi des actes de générosité qui concernent des individus non apparentés dont, à première vue, le bénéfice génétique semble nul. Toutefois, l’absence de liens de parenté n’implique pas l’absence de bénéfices génétiques. Selon le concept d’altruisme réciproque développé par Trivers, l’entraide au sein d’une société d’individus soumis aux mêmes risques est un comportement utile, car, même si l’effet est indirect, il participe à la préservation de ses propres gènes. En effet, un individu altruiste augmente ses chances d’être aidé en retour et ainsi de pouvoir se maintenir en vie et se reproduire. Au milieu des années 1980, Richard D. Alexander émettra une hypothèse supplémentaire concernant la réciprocité indirecte chez l’espèce humaine. Dans une espèce aussi sociale que la nôtre, manifester un comportement altruiste permet d’améliorer sa réputation et ainsi d’établir facilement des relations de confiance avec les autres dont on pourra faire profiter ses parents.

Cette relation de tension entre altruisme et égoïsme est au cœur du conflit parent-progéniture. « En résumé, le conflit parent-progéniture réside dans la différence entre l’investissement parental optimal du point de vue du parent et l’investissement parental optimal du point de vue de la progéniture. » Or, dans cette relation, chacun, parent et enfant, est incité, « en toute bonne foi biologique », à tirer le maximum de bénéfice de la situation pour lui-même. Ainsi, dès les débuts de la grossesse, se met en place un véritable champ de bataille entre le fœtus, qui cherche à absorber le plus de ressources chez sa mère, et celle-ci, qui se défend pour se maintenir en état de procréer à nouveau. En effet, pendant la grossesse, « les équipes en concurrence sont (les gènes de) la mère gestante et (ceux de) l’enfant en développement dans son utérus ».

Or, dans cette guerre intestine, la sélection naturelle a été plus favorable aux exigences de l’embryon, au détriment de la génitrice. Chez l’espèce humaine, les grossesses aboutissant à la mort de la mère ne sont pas rares : malgré les progrès de la médecine, environ 830 femmes dans le monde meurent chaque jour des suites de leur grossesse. Par ailleurs, de nombreuses complications dont peut souffrir une femme enceinte trouvent leur origine dans le conflit qui l’oppose au fœtus. Par exemple, pour éviter que le fœtus extraie trop de glucose du sang de sa mère, cette dernière augmente sa production d’insuline, mais risque de devenir résistante à ses effets, provoquant ainsi un diabète gestationnel.

La grossesse n’est pas seulement le lieu de la lutte des gènes de la mère contre ceux de l’enfant, mais aussi celui contre ceux du père. En effet, du point de vue du père, seule la survie de l’enfant importe pour perpétuer ses gènes, peu importe que cela rende déficitaire la balance maternelle. On constate ainsi que certains gènes sont « marqués » par le mâle ou la femelle et se comporteront différemment selon que le gène est hérité du père ou de la mère. Par exemple, le gène IGF2, codant pour le facteur de croissance analogue à l’insuline et favorisant le développement du placenta au détriment de la mère, ne s’exprime que s’il est marqué par le père. Certains, comme le biologiste australien David Haig, en ont déduit que «l’évolution a façonné le génome paternel pour qu’il manipule le maternel et incite son corps à être encore plus généreux avec le fœtus en développement. »

Une fois l’accouchement terminé, la lutte ne s’arrête pas. D’abord, pendant l’allaitement, alors que l’enfant a tout intérêt à ce qu’il dure le plus longtemps possible, la mère doit limiter sa durée, afin qu’elle puisse à nouveau entamer un cycle de procréation. Pour attirer l’attention de la mère le plus longtemps et le plus souvent possible, les enfants disposent de diverses tactiques qui, pour la plupart, sont d’ordre psychologique – la plus connue étant le recours aux pleurs et aux cris.

2. Guerres du sexe

Chez les organismes sexuellement reproducteurs, ce conflit entre individus de la même espèce pour le maintien de ses gènes prend la forme d’un confit sexuel et, plus précisément, d’une compétition intrasexuelle. En effet, si les intérêts des mâles et des femelles d’une même espèce peuvent parfois diverger, de manière générale, « les conflits les plus redoutables interviennent entre hommes ou entre femmes, sur des champs de bataille où les membres du sexe opposé sont relativement passifs. » En effet, parce que la reproduction sexuelle implique de trouver un partenaire du sexe opposé, les hommes sont donc en compétition entre eux pour obtenir une femme, et les femmes, entre elles, pour obtenir un homme.

La théorie darwinienne doit ainsi être révisée. Cette théorie fonde l’évolution sur la sélection naturelle et prédit ainsi que les organismes les mieux adaptés à un environnement survivront et se reproduiront davantage que les autres, leurs traits devenant alors plus fréquents au sein de leur espèce. « Mais, après l’avoir formulée, Darwin est tombé sur un os : il existe des traits physiques et comportementaux visiblement incohérents avec la plus élémentaire survie ». Or, il s’est rendu compte, plus tard, que ces traits ne répondaient pas au besoin de survie, mais à l’exigence de séduction et, in fine, de reproduction. L’exemple le plus saillant est probablement le cas du plumage des paons mâles qui, s’il les empêche visiblement de se déplacer, leur permet de séduire les paonnes (ces dernières préfèrent les mâles avec les queues les plus fournies et les plus colorées). En d’autres termes, la sélection sexuelle a été plus forte que la sélection naturelle.

 « Dès lors, on comprend mieux l’évolution lorsqu’on l’appréhende comme une affaire de colonisation génétique et de conflit entre allèles susceptibles, de temps en temps, de nuire aux organismes qui les véhiculent. Pourquoi ? Parce que l’évolution “avance” sur ce qui est bon pour nos gènes, et qu’il n’y a pas forcément congruence avec ce qui est bon pour nous. »

On s’intéressera ici essentiellement aux conflits entre femmes, qui ont été longtemps absentes des études évolutionnistes. En effet, pour les chercheurs, seules importaient les tactiques des mâles pour l’accès aux femelles, le rôle de ces dernières étant limité à leur influence sur les caractères que la sélection sexuelle a développés chez les mâles. C’est seulement à partir des années 1970 que des travaux de féministes darwiniennes mettent en avant la logique propre de la compétition entre femelles.

On sait désormais que «les femelles sont parfaitement capables de se livrer une concurrence acharnée pour obtenir par et pour elles-mêmes, des ressources les aidant à mieux se reproduire ». Les exemples dans la nature sont nombreux, particulièrement concernant les comportements visant à empêcher ses rivales de se reproduire. Par exemple, chez les primates hiérarchiques, il n’est pas rare que les femelles dominantes harcèlent les femelles inférieures jusqu’à créer un stress qui les empêche d’ovuler ou provoque des fausses couches. De même, dans plusieurs espèces de rongeurs, les femelles, pour défendre leur territoire et les ressources qui vont avec, peuvent aller jusqu’à détruire les nids et tuer les petits des femelles rivales.

L’espèce humaine étant une espèce à fort investissement paternel, la compétition entre femmes vise plus spécifiquement, non pas à empêcher les rivales de se reproduire, mais à accaparer les «mâles les plus à même de leur fournir, ainsi qu’à leur progéniture, du temps, de l’énergie, de l’attention, de la protection, des ressources, des territoires et ainsi de suite ». Les stratégies des femmes pour saper la compétition sont toutefois fondamentalement différentes de celles des hommes ; contrairement à eux, elles ont rarement recours à des formes extrêmes de violence physique.

Une étude dirigée par le professeur de psychologie britannique, John Archer, et publiée en 2019, semble montrer que cette caractéristique féminine découle du lien entre la mère et son enfant. Il semblerait que, particulièrement lorsqu’elles sont accompagnées d’enfants en bas âge, les femmes manifestent une forte aversion au risque. Or, le recours à la violence est bien plus risqué, biologiquement parlant, avec un enfant dans le ventre ou dans les bras. Cette même étude de 2019 a montré que si les hommes usent de violence plus aisément que les femmes, c’est parce qu’ils savent moins bien gérer leurs émotions. Autrement dit, « la violence en puissance est équivalente chez les femmes et les hommes, mais, chez ces derniers, la violence en acte bat tous les records ».

Entre autres tactiques mises en œuvre par les femmes, une des plus connues consiste à attirer des partenaires et, « pour ce faire, rien de mieux que de s’évertuer à être la plus belle aux yeux des mâles ou, comme le veut la formule scientifiquement consacrée, de pratiquer l’affichage épigamique ». Ainsi, on constate que, de manière universelle, les hommes s’accouplent avec des femmes qui leur semblent désirables et que, globalement, les critères de désirabilité correspondent aux indices de jeunesse, de santé et de fertilité (brillance des cheveux, netteté de la peau, symétrie du corps, etc.). Or, parce que « ce qui plaît à l’un est cultivé par l’autre », les femmes cherchent ainsi à répondre à ces critères.

Une autre tactique typiquement féminine pour saper la concurrence consiste à dénigrer, humilier ou ostraciser ses rivales en tapant sur leur statut, leur physique ou leur fiabilité conjugale. La médisance, tactique non violente par excellence, n’en est pas moins une forme d’agression sociale qui permet, en manipulant son entourage par des ragots et des rumeurs, de chasser ses rivales tout en prenant le moins de risques. En outre, en critiquant une congénère, on peut améliorer sa propre réputation, en laissant entendre que « l’on n’est pas comme elle ». Cela peut également être un moyen de parler de ses problèmes pour que l’on « se décarcasse » pour vous aider à les résoudre. Sans compter qu’il peut aussi s’agir effectivement de maîtriser et de punir de réelles contrevenantes à l’ordre social.

3. Partis pris

« L’essentiel à retenir, c’est que nous sommes naturellement câblés pour départager notre monde entre alliés et adversaires, entre personnes qui méritent notre confiance ou notre défiance, et qu’il en faut très peu pour activer ces prédispositions ». Sur ce fondement, la politique s’est développée en tant que processus de gestion des conflits et d’organisation des intérêts. Plus précisément, dans une société où la manière dont chaque individu s’attend à être traité est différente, la politique s’est occupée de donner une cohérence à ces diverses attentes. «Si la vie sociale était un jeu, la politique […] s’occuperait de ses règles ».

Il est probable que la structure «par défaut » de notre pensée politique repose sur des mécanismes cognitifs qui se sont développés dans un contexte ancestral, n’impliquant que des familles, des clans et des tribus sur des superficies limitées. Si nous sommes tous influencés par cette structure primitive, cela ne signifie pas que les institutions politiques sont partout identiques. Cette matrice de comportements et d’instincts qui s’est ainsi formée, s’est également adaptée aux différents environnements et contextes auxquels étaient confrontés les hommes, conduisant à l’émergence d’institutions politiques différentes selon communautés. Par exemple, si l’existence d’institutions de charité découle de notre évolution génétique, « l’action, la portée et l’efficacité de ces institutions dépendent des populations concernées, de leur histoire propre et de l’idée qu’elles se font, en tendance, du nombre de tricheurs présents dans leurs parages ».

En outre, au sein même des communautés, il existe des différences psychologiques et idéologiques entre les différents membres de la communauté. En effet, puisque chaque individu a des besoins, des motivations et des orientations propres, le contexte dans lequel il évolue et les mécanismes cognitifs auxquels il est soumis n’ont pas le même effet sur lui que sur un autre. En conséquence, ce sont les différences psychologiques fondamentales entre les individus qui expliquent les tendances à droite ou à gauche de chacun. Cette différenciation, loin de se former à l’âge adulte, après une réflexion rationnelle, s’observe dès la plus tendre enfance. Déjà à l’âge de trois ans, on constate que les enfants qui sont plus autonomes, énergiques, émotionnellement expressifs, grégaires et impulsifs seront plutôt « de gauche », tandis que les enfants plus rigides, timides, indécis, craintifs et exigeants seront plutôt « de droite ».

En somme, «nos traits psychologiques sont antérieurs à nos choix idéologiques ». Par exemple, l’ouverture et le caractère consciencieux de chaque individu permettent de prédire presque certainement ses choix politiques. Plus la psychologie d’un individu est marquée par « l’ouverture », plus il aura tendance à penser à gauche, et, plus précisément, à défendre des politiques migratoires « généreuses ». Cette tendance reflète probablement un contexte ancestral faible en pathogène, où le risque de maladies entraîné par l’ouverture à l’étranger était moins important que les bénéfices de cette ouverture.

Au-delà de ces traits psychologiques individuels, nos choix politiques reflètent notre loyauté au groupe. En effet, l’esprit humain s’étant développé dans un contexte conflictuel de concurrence, ceux qui ont su le mieux s’intégrer au groupe ont mieux résisté à cette compétition. Ainsi, « parce que la loyauté, la coordination et la coopération ont été des éléments cruciaux pour la survie de nos ancêtres, ces traits ont été autant valorisés à coup de sexe, de ressources et de statut social, que la félonie, le désordre et le chacun pour soi en ont été privés ».

Or, afficher son adhésion à la croyance commune est un moyen de signaler sa loyauté aux membres de son groupe et, plus il est coûteux ou dangereux d’exprimer cette croyance, plus l’on est perçu comme un partenaire fiable, prêt à prendre des risques. Par exemple, on comprend mieux l’énergie avec laquelle les opposants à Donald Trump se sont exprimés : « à peu de choses près, ce sont les singes hurleurs qui se précipitent tout en haut de l’arbre pour montrer qu’ils n’ont pas peur de se faire choper par un aigle ».

Cette loyauté tribale nous conduit à préférer, de manière générale, tout ce qui peut servir notre clan et à rejeter tout ce qui peut le menacer. Dans cette perspective, diverses expériences de psychologie sociale ont mis en évidence notre capacité à tracer une frontière entre les membres de notre tribu, c’est-à-dire nos alliés, et ceux qui n’en font pas partie, c’est-à-dire nos ennemis. Il suffit d’un rien – une couleur de T-shirt par exemple – pour stimuler cette préférence pour l’endogroupe. Cependant, parmi les éléments dont nous nous servons pour identifier nos alliés, les plus importants, qui aiguillent tous les autres, sont le sexe, l’âge et l’origine ethnique.

Toutefois, « comme les humains ont probablement passé bien plus de temps dans des communautés d’individus de sexe et d’âge différents, mais de race similaire », nous avons tendance à d’abord retenir les deux premières caractéristiques, avant l’origine ethnique. En réalité, ce n’est pas tant l’origine ethnique d’une personne, que la langue qu’elle parle qui éveille notre instinct de groupe. Le langage, qui donne un nombre important d’informations sur la nationalité, l’origine régionale et le statut social de la personne, est un outil précieux pour faire le tri entre amis et ennemis potentiels. Cette discrimination, profondément inscrite dans nos gènes, s’observe dès la naissance : on a en effet constaté que les bébés savent faire la différence entre leur langue maternelle et une autre langue, même lorsque cette dernière est proche.

« D’un point de vue évolutionnaire, la chose fait sens. S’il est peu probable que nos ancêtres lointains aient pu croiser de manière récurrente des congénères d’une ethnie différente de la leur, une marque régionale s’imprime néanmoins bien plus vite dans la bouche que sur le visage ou dans d’autres traits physiques. »

En conclusion, l’apport le plus essentiel de la théorie darwiniste est qu’elle nous donne « la liberté de ne prendre aucune idéologie trop au sérieux » et, finalement, nous offre «la possibilité d’un [véritable] détachement» dans notre appréhension du monde humain.

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