Introduction à l’économie (1992, 2017) est un manuel d’économie dans lequel Jacques Généreux espère offrir au lecteur les outils pour une meilleure compréhension de l’analyse économique et de ses grands principes, spécialement de la vision néoclassique, qui domine les universités aujourd’hui.

Sa visée est purement pédagogique ; l’auteur s’adresse ainsi tant au lycéen, à l’étudiant qu’« à tout citoyen qui veut simplement mieux comprendre les mécanismes économiques et la façon dont les économistes analysent ces derniers ».

Biographie de l’auteur

Jacques Généreux (1956-) est un économiste français, maître de conférence à l’IEP de Paris. Auteur de nombreux manuels d’économie, il est également connu pour ses travaux de théorie politique et économique ; dans trois fameux opus, La Dissociété (2006), Le socialisme néomoderne ou l’Avenir de la liberté (2009) et La Grande Régression (2010), il entreprend un travail de refondation anthropologique de la pensée économique et politique.

Il est également engagé en politique, d’abord en tant que militant au PS, avant de quitter le parti pour fonder le Parti de gauche, dont il sera secrétaire national à l’économie. Il participera, pour les élections présidentielles de 2017, à la rédaction de la partie économique du programme de la France Insoumise.

Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.

NB : Pour pouvoir mieux approfondir les développements les plus importants de l’ouvrage, nous avons choisi d’écarter certains chapitres de notre synthèse.

Synthèse de l’ouvrage

I. Aborder l’analyse économique – Objet d’étude, méthode de raisonnement

L’analyse économique mainstream est aujourd’hui dominée par la pensée « néoclassique ». Cette doctrine repose sur deux idées : d’abord, les marchés peuvent être analysés comme la combinaison d’une courbe de demande décroissante et d’une courbe d’offre croissante dont l’intersection fixe un prix d’équilibre ; ensuite, les mouvements de ces courbes et les ajustements des prix assurent en permanence un équilibre stable de tous les marchés. Pour atteindre cette conclusion, la méthodologie néoclassique est fondée sur les postulats suivants :

  • Conception de l’individu reposant sur une « rationalité forte » : l’individu cherche à satisfaire ses besoins au mieux et atteint toujours le plus haut degré possible de satisfaction.
  • Stabilité des préférences individuelles : les goûts, les besoins et les préférences des individus sont supposées être des données invariables qui ne changent pas dans le temps ou selon les circonstances.
  • Indépendance des préférences individuelles : un individu détermine seul ses préférences, sans être influencé par celles des autres individus.
  • Individualisme méthodologique : les phénomènes sociaux résultent uniquement des actes individuels et ne peuvent être analysés qu’à partir d’une théorie expliquant le comportement des individus.

La théorie néoclassique repose ainsi sur la méthodologie de la microéconomie, c’est-à-dire qu’elle ne s’intéresse qu’aux actions des individus, supposés agir toujours rationnellement, pour expliquer les phénomènes économiques.

Cette méthodologie est contestée par différents courants alternatifs (marxisme, institutionnalisme, ou keynésianisme). Par exemple, l’économie comportementale a permis de réfuter l’hypothèse de la rationalité forte ; certaines études ont montré que, dans la réalité, le calcul économique des agents est presque systématiquement brouillé par de nombreux biais cognitifs (aversion à la perte, déni de l’échec, etc.). En outre, les préférences des consommateurs varient souvent au fil de leurs choix (par exemple, nous n’avons pas le même rapport subjectif à un objet avant de le posséder et après l’avoir acquis). En conclusion, l’instabilité des préférences et l’irréalisme du calcul économique rationnel empêchent de déterminer « une belle courbe de demande stable continûment décroissante en fonction du prix, qui croise une belle courbe d’offre croissante pour fixer le prix d’équilibre ».

Cependant, il existe des cas où la théorie mathématique des marchés fonctionne bien : lorsque des marchés centralisent les offres et les demandes, ou lorsque les acteurs sont des professionnels du négoce, etc. Ainsi, les critiques de la pensée néoclassique ne s’attaquent pas à la véracité de la théorie, mais au caractère universel que lui ont donné ses théoriciens. «Les hétérodoxes contestent [ainsi] la méthodologie néoclassique […] en tant que paradigme unique et central de la discipline, mais ils ne renoncent ni à la rationalité des acteurs, ni à employer des outils et des raisonnements forgés par la microéconomie néoclassique.»

En d’autres termes, les critiques reprochent à la pensée néoclassique de se présenter comme une théorie atemporelle, anhistorique, apolitique et asociale, et d’établir ses lois a priori, en refusant de concevoir l’homme comme un être social, « c’est-à-dire né d’un père et d’une mère, dans une société donnée, à une époque donnée, et dont les capacités, les pensées, les croyances, les préférences, les manières d’être, sont forgées par l’éducation, l’interaction avec les autres dans un cadre culturel et institutionnel particulier. »

II. Une vue d’ensemble – Acteurs, fonctions, marchés et circuit de l’économie nationale

L’économie nationale est composée des décisions et des actions de millions d’agents économiques que l’on peut séparer en trois catégories d’opérations : les opérations sur les produits, les opérations assurant la répartition du revenu et les opérations financières.

Les opérations sur les produits se font sur un marché, concept abstrait pour désigner le processus de rencontre entre l’offre et la demande. Le marché est approvisionné par le Produit intérieur brut (PIB) et les importations (M), qui constituent l’offre globale. Le PIB est calculé à partir de ce que l’on appelle les valeurs ajoutées (VA). En effet, pour évaluer l’ensemble de la production, on ne peut pas comptabiliser la valeur des produits finis qu’une entreprise a vendus ; il faut, pour mesurer ce qui a été véritablement produit, déterminer la valeur ajoutée : on retire au prix de vente, le coût des consommations intermédiaires (matières premières, énergie, services de gestion ou de transport, etc.). Le PIB est ainsi le résultat de la somme des valeurs ajoutées.

VA = production − consommations intermédiaires
PIB = somme des VA

Le PIB et les importations, c’est-à-dire l’offre globale, sont supposés s’équilibrer avec la demande globale, constituée des exportations (X), des biens et services consommés par les ménages pour satisfaire leurs besoins (C), des biens d’investissement (I).

Offre globale (PIB + M) = Demande globale (C + I + X)

La production engendre des revenus qui sont redistribués dans l’économie, c’est-à-dire que « la valeur des biens et services offerts sur les marchés est répartie par les agents producteurs entre l’ensemble des agents économiques ». Ces revenus sont versés par les agents producteurs, directement (salaires ou autres) ou indirectement (cotisations sociales et taxes), aux ménages pour satisfaire leurs besoins. Les producteurs utilisent le reste, c’est-à-dire l’excédent brut, pour payer les intérêts sur les capitaux empruntés, les loyers, les impôts, etc. S’il leur reste encore quelque chose, ce bénéfice est conservé dans l’entreprise ou reversé aux actionnaires. Le revenu disponible pour chaque agent, après répartition, sert soit à la consommation finale soit à l’épargne.

Certains agents, qui effectuent des opérations pour un montant inférieur à leur épargne, disposent d’une capacité de financement. D’autres, qui entreprennent des investissements d’une valeur supérieure à leur épargne, ont un besoin de financement. La rencontre entre les capacités et les besoins de financement constitue les opérations financières ; elle est assurée par le fonctionnement du système financier : les institutions financières « servent d’intermédiaires […] [entre des agents] qui peuvent rarement se rencontrer directement. »

III. Les ménages et la théorie de la demande – Travail, consommation, épargne

L'offre de travail n’est pas constituée par les offres d’emploi faites par les employeurs ; au contraire, ce sont les individus qui offrent du travail, et les employeurs qui en demandent. En effet, selon la théorie de la rationalité, les individus sont supposés maximiser leur bien-être en répartissant leur temps entre celui qu’ils offrent aux employeurs et leur temps de loisir (travail domestique, sommeil, activités de détentes, relations familiales ou sociales). Ils travaillent pour obtenir un salaire, qui les intéresse seulement « dans la mesure où [il leur permet] d’acheter des biens et des services ». Ainsi, ils sont censés ne pas tenir compte du salaire nominal (montant inscrit sur la fiche de paie), mais uniquement du salaire réel (pouvoir d’achat, c’est-à-dire la quantité de biens et services que le salaire nominal permet d’acheter). Ainsi, l’offre de travail est supposée être une fonction croissante du salaire réel, c'est-à-dire que plus le salaire est élevé, plus les individus offrent leur travail.

Certaines approches alternatives remettent toutefois en cause cette conception du marché du travail. La rationalité suppose que les individus peuvent arbitrer librement entre le temps qu’ils consacrent au travail et celui qu’ils dédient au loisir ; ils sont ainsi libres de déterminer s’ils louent ou pas, et pour quelle durée, leur force de travail. De même, les employeurs sont également en mesure de déterminer librement la durée de la prestation qu’ils sont disposés à payer en fonction de son prix. L’école institutionnaliste remet en question ce processus, dans lequel l’employeur et le prestataire de service sont à égalité, personne n’ayant de pouvoir particulier sur les conditions de l’échange. Dans la réalité, les rapports de force sont inégaux et loin d’être libres. Les individus, obligés de travailler pour subvenir à leurs besoins, ne peuvent pas arbitrer entre loisir et travail et, ainsi, sont en état de dépendance à l’égard de l’employeur, qui décide seul des conditions du travail qu’il offre. En somme, « pour la majorité des travailleurs, la marge de manœuvre effective se résume à trois options : 1) l’inactivité ; 2) le chômage ; 3) la durée et les conditions de travail fixées par les employeurs. »

Keynes, lui, remet en cause la rationalité des individus qui, en réalité, sont victimes de l’illusion monétaire (ce qu’a confirmé l’économie comportementale). En effet, on constate que les travailleurs prennent en compte leur salaire nominal plutôt que leur salaire réel. En pratique, l’individu se trouve dans une situation d’incertitude quant aux évolutions des prix en cours et doit donc se fier à la seule information certaine, mais incomplète, c’est-à-dire le salaire nominal, plutôt qu’à un concept inobservable et incertain, c’est-à-dire le salaire réel. Ainsi, le salarié verra une augmentation de son salaire nominal comme une augmentation de son pouvoir d’achat, même en période d’inflation, et sera disposé à offrir plus de travail ; de même, en cas de récession, le salarié n’acceptera pas une baisse de son salaire, même si elle est en fait compensée par une baisse des prix qui maintient le pouvoir d’achat inchangé.

En ce qui concerne la comsommation, la théorie de la rationalité suppose que les individus consomment en vue d’obtenir le maximum de satisfaction en fonction du prix relatif du bien. Ainsi, le prix influence la demande et cette influence est déterminée par plusieurs effets. En premier lieu, l’effet de substitution explique que, lorsque le prix d’un bien augmente, les consommateurs seront incités à remplacer ce bien par des biens substituables et moins chers. L’effet revenu explique quant à lui que la diminution du prix d’un bien peut augmenter le revenu réel du consommateur et libérer du pouvoir d’achat pour d’autres biens. L’élasticité de la demande permet d’évaluer les effets des fluctuations du prix sur la demande du bien.

Élasticité-prix = % de variation de la demande d'un bien / % de variation du prix de ce bien

Ainsi, plus un bien a de substituts disponibles sur le marché, plus sa demande est élastique et, inversement, moins il en existe, plus sa demande est inélastique/rigide.

Outre le prix, le revenu peut également exercer une influence sur la consommation. À différents types de biens correspondent différents niveaux de consommation. Les biens normaux sont caractérisés par une augmentation de la demande proportionnelle à l’augmentation du revenu (alimentation, habillement, logement, etc.). En ce qui concerne les biens supérieurs, leur part dans le budget des ménages augmente avec l’élévation du niveau de vie (produits manufacturés de luxe et certains services, comme les services d’éducation, de santé ou de loisir). La consommation des biens inférieurs, en revanche, recule très rapidement avec l’élévation du niveau de vie (produits de médiocre qualité ou considérés par les ménages comme intrinsèquement inférieurs à d’autres biens).

Cependant, l’explication par les variations du prix ou des revenus est parfois insuffisante. Elle ne permet pas de prendre en compte certaines variables qui influencent la consommation. Mais, il faut garder à l’esprit que l’économiste met au jour les seules explications que la science des choix rationnels permet d’avancer, mais c’est un point de vue parmi d’autres.

La consommation globale des ménages constituant la plus grosse part de la demande globale, plusieurs phénomènes macroéconomiques influencent la consommation. Le premier effet est l’influence des taux d’intérêt. L’épargne permet de répartir la consommation dans le temps : « en renonçant aux satisfactions présentes associées à la consommation courante (cette année), les ménages ont la possibilité d’accroître leurs satisfactions futures grâce à la rémunération du capital », celle qui découle des taux d’intérêt. Ainsi, une hausse des taux d’intérêt, qui favorise l’épargne, tend à réduire la consommation courante. Autrement dit, on substitue aux satisfactions présentes, les satisfactions futures.

Un autre effet est lié à l’inflation, c’est-à-dire la hausse du niveau général des prix de tous les biens et les services. L’inflation réduit le pouvoir d’achat, la valeur réelle du patrimoine et la valeur réelle des revenus monétaires détenus par les ménages et, par conséquent, tend à freiner la consommation.

Enfin, un dernier effet est relatif au revenu. En effet, « il existerait une loi psychologique selon laquelle tout individu, lorsque son revenu réel augmente, consacre une fraction de ce revenu supplémentaire à la consommation. » Si cette propension est stable, on peut engager une politique de relance (par exemple l’augmentation des prestations sociales) et anticiper précisément ses effets stimulants. C’est l’hypothèse de Keynes. Cependant, d’autres théories mettent en doute cette idée. Par exemple, selon la théorie du revenu permanent (Milton Friedman, 1957), les individus ne déterminent pas leur consommation en fonction de leur revenu courant, mais en fonction de leur revenu permanent, c’est-à-dire du revenu moyen anticipé sur toute leur vie.

Ainsi, une soudaine augmentation du revenu disponible ne conduira pas nécessairement à une consommation immédiate, mais plutôt à une épargne, pour une consommation future. « Dans la réalité, la plupart des études statistiques confirment que la consommation courante est largement et directement influencée par les variations du revenu courant. Mais cette relation n’a pas toujours la stabilité initialement supposée par Keynes et, en conséquence, même si les effets des politiques de relance par la consommation sont réels, ils restent variables et difficilement prévisibles avec précision. »

IV. Les entreprises et la théorie de l’offre – Production, emploi, investissement

Selon la théorie de la rationalité, les producteurs recherchent la maximisation des profits. Cependant, cette hypothèse est visiblement irréelle. Cette vision de l’entreprise a été développée au cours du XIXe siècle, dans un contexte où les chefs d’entreprise étaient aussi le plus souvent les propriétaires majoritaires du capital. Cependant, au cours du XXe siècle, la propriété du capital et la gestion sont séparées entre un acteur dit « principal » (actionnaires) et un « agent » (managers salariés) auquel le principal a délégué l’exercice concret du pouvoir. Or, les managers salariés sont des hommes et, à ce titre, ne sont pas « obsédés par la seule maximisation de leur compte en banque ».

Cependant, cette théorie n’est pas inutile. D’abord, il s’agit d’une simple hypothèse de travail, qui, au niveau de l’économie nationale, se révèle assez juste : un grand nombre de phénomènes s’accommode en effet de l’hypothèse simple de la maximisation du profit. En effet, à long terme, dans un marché concurrentiel, les entreprises privées qui réalisent des pertes disparaissent, tandis que celles qui réalisent des profits s’imposent. En outre, le problème de la séparation des intérêts entre les managers salariés et les actionnaires s’est largement atténué avec la mondialisation et la libéralisation du capital des années 1980.

En effet, la possibilité de déplacer les capitaux sur la planète, en quête du meilleur rendement possible, et la généralisation du modèle capitaliste à travers le monde a donné une nouvelle arme aux actionnaires : la menace de délocalisation des activités et de suppression des emplois qui ne dégageraient pas un haut niveau de rendement financier. Le rapport de force a ainsi été renversé en faveur des actionnaires, et au détriment des salariés. « Nous sommes passés d’un “capitalisme managérial” à un “capitalisme financier” (ou encore “actionnarial”), c’est-à-dire effectivement organisé et géré en vue de maximiser le profit et la création de valeur pour l’actionnaire. »

La production des entreprises correspond à la valeur ajoutée, obtenue en combinant les biens et services transformés avec les « facteurs de production », c’est-à-dire le travail et le capital. Le travail est calculé selon le temps consacré à l’entreprise (dimension quantitative) et les efforts fournis (dimension qualitative) par les salariés de cette dernière. Le capital constitue l’ensemble des biens utilisés durablement en vue de produire d’autres biens ; cela inclut les actifs utilisés dans le processus de production, matériels (outils, machines, bâtiments) ou immatériels (brevets, licences, dépenses de recherche, etc.) ainsi que les stocks. En effet, puisque ces derniers doivent être perpétuellement réalimentés, on considère qu’ils constituent un investissement. Ainsi, le stockage constitue un capital variable (puisque ce ne sont pas les mêmes biens qui restent immobilisés) et les actifs, le capital fixe.

L’intensité de la contribution de ces facteurs à la production porte le nom de productivité. Pour le travail, il s’agira logiquement du nombre d’heures travaillées. Pour le capital, en revanche, le calcul est moins évident puisqu’il ne correspond à aucune réalité observable. La plupart des économistes considéraient ainsi que seul le travail constituait une véritable source du produit, jusqu’à l’invention d’une « productivité du capital » par l’économiste John Bates Clark, calculée grâce à la valeur monétaire du capital. Quoique le concept introduit par Clark présente des faiblesses, elle s’est toutefois imposée pour le bouclage des équations du modèle néoclassique.

Comment évolue la productivité quand le producteur décide d’employer plus de facteurs ? La réponse est différente selon que l’on analyse l’augmentation des facteurs sur le court terme ou le long terme. À court terme, seul le facteur travail est variable (l’entreprise peut difficilement modifier du jour au lendemain les équipements, les techniques et les méthodes de production) ; autrement dit, l’entreprise développe sa production en augmentant le travail avec une quantité de capital et des techniques identiques. Cependant, l’augmentation du travail n’accroît pas indéfiniment la production.

En effet, les équipements ont une durée d’utilisation quotidienne limitée et si l’entreprise emploie plus de travailleurs que les équipements peuvent le supporter, c’est-à-dire qu’elle dépasse le rapport capital/travail idéal, sa productivité diminuera inévitablement. À long terme, en revanche, l’entreprise pourra modifier les deux facteurs de production, c’est-à-dire augmenter le capital et le travail dans les mêmes proportions ; on dit que l’on augmente l’échelle de production. Il faut, pour obtenir des rendements croissants ou au moins constants, que l’augmentation de la productivité soit supérieure ou égale à l’augmentation de l’échelle de production.

L’utilisation de ces facteurs n’est cependant pas gratuite et les entreprises doivent ainsi chercher un équilibre entre le coût des facteurs et ce que les facteurs rapportent (productivité). Le coût des facteurs est ainsi constitué, pour le « facteur travail », par le salaire réel (rémunérations versées aux travailleurs et cotisations aux différents régimes de sécurité sociale) et, pour le « facteur capital », par les taux d’intérêt (c’est-à-dire, l’argent payé par l’entreprise aux investisseurs, ou, pour l’entreprise qui autofinance ses investissements, l’argent qu’elle perd en immobilisant des fonds qu’elle pourrait utiliser autrement).

En principe, il est censé exister un rapport de proportionnalité strict entre le salaire réel et la demande de travail : plus le coût du salaire pour l’entreprise est élevé, plus la demande de travail par cette dernière est faible. Cette loi de la demande implique, en matière de rémunération, que le salaire réel est fixé uniquement en fonction de la productivité ; ainsi, toute baisse de productivité devrait entraîner un abaissement des salaires.

Mais, dans la réalité, le rapport salaire-productivité n’est pas équilibré aussi strictement. En premier lieu, selon la théorie du capital humain, l’équivalence entre le salaire et la productivité n’est pas le même tout au long de la vie professionnelle : en début de carrière, en raison du manque d’expérience du salarié, sa productivité effective est souvent inférieure au salaire que l’employeur est obligé de payer pour l’attirer ; en revanche, en fin de carrière, grâce à l’expérience acquise, la productivité est souvent supérieure au salaire. En outre, selon la théorie des contrats implicites, les entreprises s’efforceront de payer le même salaire à leurs employés dans les périodes de faible activité, comme de forte activité.

En effet, les salariés et les entreprises préfèrent la stabilité ; ainsi, ces dernières acceptent de verser une sorte d’indemnité d’assurance contre le ralentissement de l’activité économique dans les périodes défavorables, et, en contrepartie empochent une prime d’assurance dans les périodes favorables. Enfin, selon la théorie du salaire d’efficience, un abaissement du salaire peut conduire l’employé à diminuer ses efforts, ce qui peut expliquer que les entreprises, anticipant ce type de réaction, peuvent préférer ne pas prendre ce risque. De manière générale, les entreprises n’ajusteront les salaires sur la productivité que si elles considèrent que leur travailleur est équivalent à n’importe quel autre et qu’il peut être aisément remplacé (c’est par exemple le cas pour le travail peu qualifié), ou si la récession est suffisamment forte pour que le maintien des salaires devienne irréaliste.

En ce qui concerne le capital, on constate en général que, plus les taux d’intérêt sont élevés, plus le coût des fonds empruntés augmente et plus les projets d’investissement doivent présenter un haut taux de rendement pour être retenus. À l’inverse, des taux bas favorisent les investissements, y compris pour ceux avec un taux de rendement relativement faible.

Les entreprises produisent en vue d’offrir des biens et des services sur les différents marchés. Le prix fixé par l’entreprise dépend du degré de concurrence sur le marché en question. Si la concurrence est parfaite, la marge de manœuvre dans la fixation du prix est inexistante ; l’entreprise détermine seulement le volume de production qui lui procure le maximum. Dans la réalité toutefois, la concurrence n’est pas parfaite, et l’entreprise dispose d’une certaine marge de manœuvre pour fixer son prix de vente. Elle doit alors opérer un arbitrage entre la profitabilité à court terme et la compétitivité à long terme. En effet, un prix élevé permet d’augmenter les profits à court terme, mais, à long terme, peut inciter de nouveaux producteurs à prendre une part de ce marché rentable en offrant des prix plus bas ; ce qui entraînera inévitablement une baisse du prix et des profits.

V. Les sociétés financières – Banques, monnaie et politique monétaire

Les instruments financiers peuvent être divisés en trois grandes catégories. La première est constituée par les moyens de paiement, qui permettent d’effectuer des règlements ; il s’agit des moyens de paiement internationaux (or, devises étrangères), de la monnaie en circulation (billets, pièces, dépôts transférables, entre autres, par chèque, virement ou carte bancaire) et de la monnaie émise par la banque centrale, qui détient, en effet, le monopole de l’émission des billets. La seconde catégorie regroupe les instruments de placement, qui permettent d’investir l’épargne ; par exemple, les dépôts non transférables (livrets d’épargne, plan d’épargne logement, etc.), les titres de créance négociables à court terme (billets de trésorerie, bons du Trésor, etc.) ou à long terme (actions, obligations, etc.). Enfin, il reste, dans une troisième catégorie, les instruments de crédit (crédits à court et moyen terme ou prêt à long terme).

Les différents actifs financiers se distinguent selon leur liquidité, c’est-à-dire la faculté d’être rapidement transformé en un moyen de paiement immédiatement utilisable pour effectuer des règlements. Pour les emprunts, la liquidité dépend de l’échéance à laquelle l’emprunt doit être remboursé, et la possibilité de négocier l’instrument avant échéance.

Les opérations financières répondent à divers besoins. En premier lieu, elles permettent la rencontre entre des besoins et des capacités de financement ou, entre un agent dont les dépenses totales sont inférieures à ses revenus et qui souhaite rentabiliser son épargne, et un agent dont les dépenses surpassent les revenus et qui est disposé à payer un intérêt pour rémunérer le service rendu par un éventuel prêteur. De manière générale, l’épargne est placée à court terme par les ménages, alors que les entreprises recherchent des financements à moyen et long terme. Les institutions financières, jouant le rôle d’intermédiaire entre les ménages et les entreprises, « assurent ainsi la nécessaire transformation de ressources courtes en emplois longs, transformation sans laquelle une part essentielle des investissements ne pourrait être réalisée. »

Les opérations financières permettent également la couverture des risques financiers. Il est en effet possible de céder une créance à un investisseur, qui accepte alors d’assumer le risque, moyennant le paiement d’une prime de risque. L’investisseur spécule ainsi sur l’avenir, en prenant le pari qu’à l’échéance, la valeur de la créance couvrira ou dépassera le coût de son investissement. Ce contrat étant lui-même négociable sur le marché financier, il peut être revendu à un troisième acteur, et ainsi de suite. Ces produits dérivés ont pris une importance grandissante dans les années 1990, avec la déréglementation financière. On peut désormais faire des paris au second, troisième degré, etc. – sans limite. « Cet essor de la finance purement spéculative n’a plus rien à voir avec le financement de l’économie et constitue une source récurrente de crises financières. »

La capacité de création monétaire appartient aux banques. En pratique, elles inscrivent des sommes au crédit des comptes de leurs clients en échange de créances remises par ces derniers. Entre autres, une banque peut accepter de refinancer les crédits commerciaux que des producteurs ont eux-mêmes accordés à leurs clients ; en contrepartie, la banque crédite le compte de l’entreprise d’une valeur équivalente, diminuée d’un certain pourcentage. Elle peut aussi créer simultanément la monnaie et la créance qui en constitue la contrepartie, en accordant une avance de trésorerie ou une autorisation de découvert, par exemple.

La création monétaire est cependant limitée à la fois par la demande de monnaie, c’est-à-dire par la quantité de liquidités que les agents ont besoin d’emprunter, et par le besoin des banques en monnaie banque centrale. En effet, une partie de la monnaie créée par les banques circule sous forme de billets ; elles ne peuvent donc créer davantage de monnaie que dans la mesure où elles ont à leur disposition suffisamment de billets à fournir à leurs clients. Or, les banques ordinaires ne peuvent pas émettre de billets ; la création de billets dépend de la volonté de la Banque centrale de refinancer le marché monétaire. La Banque centrale contrôle ainsi indirectement la création monétaire en fixant les conditions dans lesquelles elle fournira la quantité de billets nécessaire. Elle peut ainsi déterminer la liste des créances qu’elles acceptent de refinancer, ainsi que le taux d’intérêt auquel elle prête la monnaie centrale, influençant ainsi les taux d’intérêt pratiqués par les banques entre elles.

Qui contrôle ou détermine la masse monétaire ? Il existe deux réponses possibles. Selon la doctrine néoclassique, la quantité de monnaie en circulation est déterminée par le montant des réserves en monnaie centrale détenues par les banques, qui est lui-même déterminé par la Banque centrale. Cependant, « cette vision néoclassique du circuit monétaire est très irréaliste, et n’est plus guère soutenue par la plupart des économistes » qui préfèrent la conception keynésienne. En effet, les banques sont des sociétés commerciales en quête de profits et, par conséquent, elles acceptent d’abord les crédits et, ensuite seulement, fixent le montant des réserves de monnaie centrale qu’elles doivent constituer. La Banque centrale peut, en théorie, refuser de prêter aux banques ; mais, en pratique, elle est contrainte de fournir le montant de liquidités au moins suffisant pour couvrir les besoins engendrés par les crédits déjà distribués par les banques, pour éviter d’acculer ces dernières à la faillite.

VIII. Comment ça marche ? – Théorie du marché

Nous étudierons ici, dans l’économie nationale uniquement, la façon dont les décisions de ces différents acteurs (ménages, entreprises, institutions financières) sont compatibles entre elles. L’économie nationale fonctionne lorsque les offres et les demandes s’équilibrent entre elles : la demande de travail doit rencontrer une offre de travail équivalente, l’offre de biens, une demande de bien équivalente, et les demandes de fonds, une offre de fonds équivalente. Cet équilibre est supposé, en cas de perturbation, se rétablir naturellement. Par exemple, une augmentation de la demande doit provoquer une augmentation du prix, résultant de la concurrence entre les demandes, qui peut entraîner à son tour une augmentation de l’offre (ou une baisse de la demande) jusqu’à ce que l’équilibre soit rétabli.

Cette rencontre entre l’offre et la demande a lieu sur un marché concurrentiel et permet la détermination d’un prix d’équilibre, c’est-à-dire le prix pour lequel l’offre et la demande sont équivalentes. Logiquement, le fonctionnement du marché est supposé, en cas de perturbation, ramener le prix vers l’équilibre. Si les producteurs augmentent le prix au-delà du prix d’équilibre, l’offre augmente tandis que la demande baisse ; et la concurrence entre les producteurs, qui ne peuvent pas écouler tous leurs stocks, entraîne une baisse du prix jusqu’au retour au prix d’équilibre. Inversement, un prix en-deçà du prix d’équilibre provoque une augmentation de la demande ; la concurrence entre les acheteurs pour obtenir les biens fait alors monter le prix jusqu’au prix d’équilibre.

Ainsi, un marché parfaitement concurrentiel, dans lequel l’offre et la demande s’équilibrent strictement, est supposé éliminer automatiquement tout déséquilibres. En effet, les variations du prix sont censées jouer un rôle de signal efficace pour informer les producteurs et les acheteurs des changements dans la courbe de la demande ou de l’offre. Pour cela, le marché doit présenter plusieurs conditions : présence d’un grand nombre d’offreurs et de demandeurs de taille réduite, afin qu’aucun vendeur ou acheteur ne représente un poids suffisant pour influencer la détermination du prix (principe d’atomicité) ; aucune condition préalable ou réglementation ne doit limiter l’exercice d’une activité (principe de libre entrée) ; les unités proposés sont interchangeables (principe d’homogénéité) ; à chaque instant, les agents doivent connaître les prix proposés, les quantités offertes et échangées et ont connaissance, de façon instantanée, des variations (principe d’information parfaite) ; enfin, aucun obstacle ne doit empêcher le déplacement des travailleurs et des capitaux entre les différents agents, afin de s’adapter aux variations de la demande instantanément (parfaite mobilité des facteurs).

Une dernière condition est parfois mise en avant et remet partiellement en cause la condition de l’atomicité : la théorie des marchés contestables. En effet, le degré de concurrence sur un marché dépend aussi de la possibilité pour les concurrents potentiels de contester la position acquise par les producteurs en place. Cela concerne uniquement les marchés dans lesquels l’entrée est totalement libre et le coût de sortie très faible (c’est-à-dire qu’en cas d’échec, les pertes sont moindres). Dans ces conditions, un producteur en position dominante ou de monopole est contraint de se comporter comme s’il était confronté à une forte concurrence, puisque rien n’empêche d’autres acteurs d’entrer sur le marché, à faible coût et sans grand risque, et de contester sa place.

Dans la réalité, seuls les bourses de matières premières et les marchés de capitaux s’approchent le plus des conditions de concurrence parfaite. En effet, les Bourses et les marchés financiers sont caractérisés par un grand nombre d’offreurs et de demandeurs (atomicité) et par une entrée relativement aisée (contestabilité), puisqu’il suffit à n’importe quel intervenant de passer un coup de téléphone à un intermédiaire financier pour passer un ordre d’achat ou de vente. En outre, les produits financiers, monnaies, titres ou crédits, sont interchangeables (homogénéité). Par ailleurs, l’information circule en permanence et particulièrement vite (information parfaite) au même endroit (Bourses) ou sur un même réseau de télécommunication (marché financiers), ce qui permet une adaptation instantanée de l’offre et de la demande, et, par conséquent, du prix.

Ainsi, le cours des titres suit parfaitement la loi de l’offre et de la demande. Si un titre est plus demandé qu’offert, son cours s’élève ; s’il est plus offert que demandé, son cours régresse. Cependant, les agents des marchés de capitaux spéculent sur ces variations : il faut acheter un titre avant qu’une hausse ait vraiment eu lieu, ou le vendre, avant qu’une baisse se produise. Mais, « les anticipations des agents peuvent être autoréalisatrices. » Les effets qu’auraient dû produire certains facteurs objectifs peuvent être amplifiés par des phénomènes psychologiques et d’imitation. « L’écart entre le cours observé et le niveau qui serait justifié par des facteurs objectifs constitue ce que les économistes appellent une bulle spéculative. » Il arrive ainsi que les agents achètent des titres simplement parce que les autres achètent ; il suffit alors d’un rien pour que les anticipations s’inversent brutalement que les agents veuillent revendre des titres encore très demandés la veille, sans qu’aucun facteur objectif ne puisse le justifier.

Les marchés des biens du travail, en revanche, ne présentent aucune des conditions de concurrence parfaite. En effet, l’atomicité, sur les marchés de biens, est un phénomène rare, particulièrement pour les produits industriels, dont la production entraîne naturellement la concentration des entreprises. Sur le marché du travail également, le nombre d’employeur peut parfois être restreint à quelques grandes entreprises ; il est aussi possible que le marché de la demande soit dominé par l’État (sans compter que l’existence des syndicats limite la concurrence entre travailleurs, en centralisant les négociations avec les employeurs). Par ailleurs, le coût d’entrée dans de nombreux secteurs industriels est particulièrement élevé, en raison de l’ampleur des investissements nécessaires (contestabilité).

L’homogénéité, en outre, est pratiquement impossible. Sur les marchés des biens, les producteurs peuvent et s’efforcent de différencier leurs produits en jouant sur d’autres caractéristiques que le prix de vente : services associés à la vente et caractéristiques objectives du produit. « Lorsque cette différenciation est réussie, les producteurs se retrouvent avec une sorte de monopole : ils sont les seuls à produire un bien ou un service ayant telle ou telle caractéristique. » Sur le marché du travail également, la différenciation est la règle : l’employeur s’intéresse aux particularités de ses employés (motivation, sociabilité, stabilité professionnelle, etc.) et les individus tiennent compte d’autres éléments que le salaire (localisation, réputation de l’entreprise, etc.).

Le principal problème tient toutefois à la difficulté, pour les agents sur le marché du travail ou des biens, à disposer des informations pertinentes (information parfaite). Les employeurs et les individus ne peuvent pas connaître en même temps toutes les offres et demandes d’emplois disponibles, ni toutes leurs caractéristiques, comme les producteurs et les acheteurs ne peuvent pas savoir à chaque instant comment évolue l’offre et la demande des produits chez leurs concurrents. En effet, il n’existe aucun lieu ni aucune procédure qui permettent de rassembler ces informations. Dans cette situation d’incertitude, les entreprises préféreront toujours ajuster la quantité produite pour un prix inchangé, ou, concernant le travail, adapter l’emploi sans toucher aux rémunérations. En outre, l’employeur ne peut pas anticiper les réactions des employés face à une baisse de leur salaire ; certains pourraient démissionner ou demander à travailler moins ; par exemple, si les démissions sont trop nombreuses, le volume de travail sera alors insuffisant et l’employeur devra relever les salaires pour attirer de nouveaux travailleurs. En somme, les agents préfèrent la stabilité des prix et des salaires, plutôt que l’incertitude des effets d’une adaptation en l’absence d’informations suffisantes.

Il faut toutefois noter que la loi de l’offre et la demande n’est pas inopérante ; cet outil peut décrire les tendances à l’œuvre sur un marché à moyen ou long terme.

La théorie du marché que nous venons de décrire fait l’objet d’un clivage important entre l’école néoclassique et le courant keynésien concernant le degré de confiance ou de défiance dans les mécanismes d’ajustement spontané des marchés par les prix. Alors que les néoclassiques défendent l’existence de tels mécanismes, qui empêchent que les déséquilibres économiques soient durables, Keynes soutient qu’à court terme les prix et les salaires sont fixes et s’adaptent moins vite que les quantités. Il estime que l’absence de mécanisme concret de détermination des prix d’équilibre, comme nous venons de le constater pour les marchés des biens et du travail, implique une certaine rigidité des prix et des salaires. « Dès lors, un déséquilibre sur le marché peut se maintenir au-delà du très court terme. »

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