La pauvreté dans l’abondance (2002) est un recueil de textes écrits par John Maynard Keynes entre 1925 et 1938.

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Les questions abordées sont assez diverses, mais tournent toutes autour de la « nouvelle donne » indispensable au dépassement des problématiques économiques et sociales qui émergèrent à la fin de la Grande Guerre.

Ce qu’il faut retenir :

Le cycle des booms et des crises successives s’explique par les fluctuations de l’investissement et de son rapport avec l’épargne. À l’heure où le système capitaliste montre ses limites et face à la concurrence des modèles autoritaires et socialistes, les hommes politiques libéraux doivent mettre à jour leurs croyances économiques et relever les défis de cette nouvelle phase du développement économique. Le libre-échange, le caractère autorégulateur du système économique et les théories libérales du taux d’intérêt doivent absolument être démis de leur piédestal et confrontés aux faits actuels.

Les pessimistes et les millénaristes qui attendent soit un effondrement de la civilisation industrielle, soit une résolution violente des évènements qui suivirent le premier conflit mondial se trompent. Par les politiques d’investissements publics et de modération des taux d’intérêts à long terme et la relative remise en question des théories libérales, les gouvernements ont l’opportunité de faire accéder l’humanité à un nouveau stade de civilisation, libéré des crises et des imperfections du capitalisme.

Biographie de l’auteur

John Maynard Keynes (1883-1946) est un économiste et un haut fonctionnaire britannique. Issu d’une famille d’universitaires libéraux, il fit ses études au King’s College de l’université de Cambridge. Il s’intéressa d’abord aux mathématiques et aux « sciences morales » avant de se tourner vers l’économie politique. Tout au long de sa carrière, Keynes s’est efforcé de conjuguer la recherche scientifique et la quête d’une doctrine d’action au service du bien commun. Il choisit ainsi de ne pas embrasser une carrière purement académique et se met, en parallèle, au service de l’État britannique.

L’immense prestige qui entoure son nom jusqu’à ce jour est principalement dû à ses innovations dans la théorie économique produites dans le contexte de la Grande Dépression et exposées dans deux ouvrages majeurs : le Traité sur la monnaie (1930) et la Théorie générale de l’emploi de l’intérêt et de la monnaie (1936).

Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.

NB : Nous avons choisi de ne pas synthétiser deux parties de l’ouvrage, trop complexes et précises pour s’adapter au format d’une fiche de lecture.

Synthèse de l'ouvrage

I. Suis-je un libéral ? (1925)

Le paysage politique britannique était à l’époque divisé entre les Conservateurs – représentants d’un libéralisme élitiste et attachés à la défense des privilèges de la grande propriété terrienne –, le Parti travailliste – créé en 1900 et héritier d’une tradition socialiste et égalitaire – et le Parti libéral – opposé tant au conservatisme social et économique des Conservateurs, qu’à l’égalitarisme interventionniste du Parti travailliste. L’attachement de Keynes au Parti libéral est tout relatif ; il ne s’explique que par un rejet de l’égalitarisme et du catastrophisme violent d’une partie de l’appareil travailliste et de l’inertie sclérosée des Conservateurs. Le Parti libéral est ainsi désigné « négativement » comme le plus apte à porter un changement au Royaume-Uni.

Plutôt que de s’égarer dans une organisation partisane organique ou de conserver une direction politique élitiste technicienne, le pays doit se consacrer aux grands axes d’un programme libéral. En matière de relations internationales d’abord, le Royaume-Uni doit travailler au maintien de la paix dans le monde, notamment en renonçant à son empire colonial. Il est également primordial qu’il montre un exemple civilisé, en désarmant et en participant à des compromis raisonnables entre puissances.

En matière d’organisation interne, le gouvernement du Royaume doit être restructuré de manière à donner plus de pouvoir à des entités décentralisées, mi-publiques, mi-privées, qui prendraient en charge les prérogatives nouvelles que l’évolution des sociétés capitalistes attribue aujourd’hui à l’État (parmi lesquelles la gestion des programmes d’investissement publics) – cela, sans remettre en question la souveraineté du Parlement.

Les politiques concernant les questions sociales doivent également évoluer, tant en matière de contrôle des naissances (contraception, assistance aux familles, etc.) que concernant le contrôle des drogues et des sources d’addictions (jeux d’argent, etc.), incompatibles avec un progrès civilisationnel.

Enfin, puisque la doctrine du laissez-faire ne semble plus suffire à maintenir une croissance acceptable, il est essentiel qu’un corps d’élite de techniciens économistes s’empare des problèmes liées à la fin de l’ère libérale. Ils doivent travailler à l’avènement de l’ère de la « stabilisation », qui implique des restrictions nécessaires de la liberté économique, à des fins d’efficacité et d’équilibre social.

II. Un aperçu de la Russie (1925)

En 1925, l’URSS est dirigée par la Troïka et n’est toujours pas sortie de la NEP initiée par Lénine. Pays paradoxal menant une expérience sans précédent, la Russie soviétique frappe d’abord par son atmosphère pesante : avec un air saturé par la propagande (évidemment mensongère), le régime communiste s’est également entouré d’un voile de mystère qui le rend quasiment indéchiffrable aux yeux de l’étranger.

La virulence de la foi que professent les « camarades » russes jure avec la fureur antireligieuse qui les anime. Aveugles à eux-mêmes, incapables de réaliser que l’utopie qu’ils bâtissent tient davantage de l’eschatologie que de la science, les fanatiques rouges rassemblent et confondent deux faisceaux qui furent assez soigneusement séparés ailleurs en Occident : ceux de la religion et des affaires. La religion communiste, qui prétend à la fois arriver à des résultats supérieurs à ceux du capitalisme et libérer l’humanité de la cupidité, se présente alors comme un paradoxe.

En outre, en interdisant, en pratique, l’enrichissement personnel en dehors des organes de l’État communiste, les Soviétiques proposent une révolution anthropologique qui s’accompagne nécessairement de la fin des libertés, de l’espionnage généralisé et de la spoliation – ce qui est inacceptable.

Le système communiste repose sur une économie arriérée, des fondements illogiques, contre nature et erronés. Les prolétaires des centres urbains sont choyés, tandis que la paysannerie est escroquée, sous l’effet d’un système de prix administrés qui rend largement inefficace le système global. Cependant, l’URSS existe, elle « fonctionne ». Ainsi, si son économie arriérée fait peser une menace sur elle-même, la menace qu’elle représente pour le monde capitaliste, en raison du dynamisme de ses partisans et de l’adhésion qu’elle emporte à travers le monde, est plus grande.

En somme, malgré ses évidentes faiblesses, l’expérience communiste doit être regardée avec une certaine bienveillance, puisqu’elle est en marche et qu’elle pourrait offrir au monde des horizons nouveaux. Si le système capitaliste échoue à réguler ses difficultés internes, il n’est pas totalement exclu qu’une économie communiste puisse à terme produire des résultats comparables aux siens.

III. La fin du laissez-faire

La doctrine du « laissez-faire », credo du XIXe siècle libéral, consiste en la négation a priori et par principe de toute utilité globale des interventions règlementaires ou étatiques en matières économiques et sociales. L’histoire, mythique, qui fonde cette doctrine met en scène un marchand qui, lorsque Colbert lui demande ce qu’il peut faire pour les aider, lui répond : « Nous laisser faire ». Ce principe correspond à une exceptionnelle concordance entre des vues philosophiques, politiques et à la marge, économiques. Les esprits libéraux se sont ainsi défaits du joug de l’Église, des tyrans et de leurs douaniers et percepteurs, afin, selon eux, de mettre en place un ordre spontané, dans une parfaite concordance des intérêts individuels avec ceux de la société.

En somme, il s’agit là d’une doctrine philosophique, et pas économique ; les économistes n’ont été impliqués dans sa promotion que pour lui donner un semblant de scientificité. En réalité, le divorce entre la discipline économique et le laissez-faire est ancien.

Le renom de cette doctrine s’est largement nourri de la thèse d’histoire naturelle de Charles Darwin, relative à la sélection naturelle. Semblant s’accorder à merveille avec les principes du laissez-faire, cette théorie démontre qu’une saine compétition mène à la survie des plus aptes, qui sont alors parfaitement adaptés à leur environnement. Cette simplicité et la faiblesse des contre-propositions (protectionnisme et socialisme) expliquent sans doute sa survivance à la démonstration répétée de son caractère erroné. Le rôle qu’elle donne à l’« honnête homme » (d’affaires), conforme aux ambitions sociales des élites économiques, a certainement aussi joué en sa faveur.

Cependant, les faiblesses théoriques de la doctrine sont devenues criantes lorsque la taille et la structure des marchés mènent à la concentration, au monopole et aux ententes, à l’imperfection de l’information, à de lents ajustements.

Les solutions aux problèmes de l’après-guerre résident dans l’abandon de cette doctrine désuète qui empêche les décideurs politiques de proposer des solutions audacieuses visant à manipuler la monnaie et le crédit, à centraliser l’information économique et à favoriser l’émergence de structures à la fois privées et socialisées, tout ça dans le sens de la prospérité générale.

IV. Éclaircissements supplémentaires sur la distinction entre épargne et investissement (1930)

L’épargne est la part du revenu monétaire des ménages qui n’est pas consommée, tandis que l’investissement est la part de la production physique destinée à la production de capital. L’épargne est une abstinence, l’investissement une dépense. Dans la comptabilité nationale, l’épargne est obligatoirement égale à l’investissement.

Il existe néanmoins un modèle dans lequel cette égalité n’est pas nécessaire, lorsque les conditions suivantes sont réunies : périssabilité de la production et exclusion de tout profit ou perte inattendus pour les entrepreneurs. Dans ces conditions, le revenu disponible est égal à la production et, ainsi, l’investissement détermine le niveau de production disponible. Si l’investissement est positif, la production disponible est inférieure au revenu, et inversement. La formation du capital est donc indépendante de l’épargne. Cela ne signifie cependant pas que l’épargne n’a aucun effet : elle peut contracter la demande et faire baisser le prix des biens de consommation.

S’il n’y a pas d’investissement, mais une épargne importante, on constatera un transfert de richesse entre les consommateurs, dont le pouvoir d’achat augmentera, et les producteurs, qui enregistreront des pertes. En réalité, il n’y a pas de relation causale automatique entre épargne et décision d’investissement. Ce sont les profits et les pertes (ignorés ici) qui équilibrent l’écart entre les deux objets, s’il existe.

Prenons l’exemple d’une économie dans laquelle la production et la consommation sont représentées par une somme de bananes. Si un économiste décide d’inciter les employés des plantations à ne plus dépenser l’intégralité de leur revenu pour acheter des bananes, l’argent restant sera épargné. En conséquence, la production reste la même pour une période, mais, rapidement, la demande baisse, les prix chutent, le pouvoir d’achat des consommateurs augmente, mais, puisque les coûts de production n’ont pas baissé avec la demande, les producteurs enregistrent des pertes. Les producteurs n’ont pas cherché à augmenter la production pour couvrir leurs pertes, ainsi la richesse réelle n’a pas augmenté. Seul un transfert s’est opéré, l’épargne engrangée correspondant aux pertes des producteurs. La réaction des producteurs pourra être de réduire leurs coûts en licenciant et engageant l’économie dans un cycle déflationniste qui mènera à l’effondrement de la production, à moins que l’investissement ne soit stimulé pour égaler l’épargne.

V. Perspectives économiques pour nos petits-enfants (1930)

Certains prédisent la fin de l’extraordinaire période de croissance économique qu’ont connue l’Angleterre et le monde civilisé depuis le XVIIe siècle, à laquelle succédera un âge de stabilité ou de déclin. En 1929, le produit industriel de l’Angleterre a été plus élevé qu’à nulle autre époque de l’histoire récente, il en était de même pour ses excédents commerciaux. La crise qui débuta à la fin de cette même année ne doit pas faire oublier les possibilités matérielles de croissance qui, elles, demeurent.

Il ne faut céder ni à l’immobilisme grisonnant des conservateurs ni à la passion du chaos dont les révolutionnaires font montre. Des expériences techniques nouvelles doivent être entreprises pour relancer le moteur de la croissance économique. Il ne fait aucun doute que l’économie est en train de résoudre le problème de la rareté et que nous aurons bientôt à relever le défi d’une abondance à peine imaginable.

L’homme avide et rationnel, cet honnête homme d’affaires, est la figure qui nous permit de sortir de l’âge de la rareté pour s’intéresser aux moyens de profiter pleinement de l’abondance chèrement acquise. Cependant, une question plus grave découle de ce constat : sommes-nous prêts à profiter de notre richesse nouvelle pour revenir à certains principes moraux qui furent provisoirement contraires à l’augmentation de la production ?

VI. La grande récession de 1930 (1930)

En 1930, l’Angleterre est touchée par la récession économique subséquente au krach boursier de Wall Street d’octobre 1929. Face à la gravité de cet enchaînement, qui fait se succéder crises bancaires, faillites, récession de la production et chômage, la panique se répand. Pourtant, nous ne disposons pas de moins de moyens productifs pour assurer la croissance qu’il y a deux ans.

La crise est malgré tout extrêmement violente : la déflation se propage du secteur industriel aux pays producteurs de matières premières, de nombreux producteurs travaillent à perte, ce qui atrophie les anticipations des acteurs, et donc, la production. Or, ni les solutions de court terme pour venir en aide à certains secteurs ni les politiques de baisses de salaires ou de rationnement inflationniste de la production de certains biens ne suffisent à relancer la machine économique.

À cela s’ajoute la déflation, qui rend insupportable le fardeau des dettes. Comment expliquer ces pertes ? La loi des débouchés affirme pourtant que toute production crée elle-même les revenus nécessaires à son écoulement. L’explication la plus simple est celle d’un manque chronique d’investissement dû à un dysfonctionnement du système financier ; en conséquence, les prêteurs et les emprunteurs ne trouvent plus assez d’intérêt pour s’entendre.

Ce problème s’exprime dans l’égalité des coûts et des revenus : coûts de production des biens + coûts du capital = épargne + consommation finale. Ainsi, si la consommation finale est inférieure aux coûts de production des biens, les producteurs enregistrent des pertes, à moins d’augmenter la production de biens capitaux. Or, cette augmentation dépend principalement de la volonté des épargnants de placer leur épargne, et de celle des producteurs de réaliser des investissements.

Malgré l’extrême simplification opérée ici, le cœur du problème y est présenté : la responsabilité qui revient aux autorités est de mener des politiques visant à rétablir la confiance entre épargnants et entrepreneurs – mais, pour cela, il faudrait qu’elles soient convaincues de l’origine du problème.

VII. Une analyse économique du chômage (1931)

Les causes originelles du chômage remontent à une rupture de la dynamique favorable enclenchée vers 1924-1925, alors que les conséquences immédiates de la guerre sur l’économie mondiale semblaient avoir été surpassées. Cette période faste s’est caractérisée par des taux d’intérêt tendanciellement plus élevés que ceux d’avant-guerre, un boom immobilier sans précédent aux États-Unis et en Europe, une exportation massive de capitaux, américains et britanniques notamment.

Malgré les résultats inégaux de cette fièvre expansionniste, des progrès significatifs ont été réalisés dans la plupart des industries productives, comme en témoigne le caractère faiblement inflationniste de la période. Cette dynamique ne prit pas fin en raison d’un excès d’investissement ; autrement dit, la dépression qui la suivit ne fut pas un châtiment punissant ses excès. La véritable cause tient à un affaissement, puis une baisse de l’investissement qui fit disparaître progressivement les hauts profits et a enclenché un cercle vicieux et une panique qui atrophia l’activité. Apparut alors le chômage de masse.

Ainsi, pour rétablir la prospérité il faut, d’une part, abaisser les taux d’intérêt à long terme et, d’autre part, rétablir la confiance entre les prêteurs et les investisseurs. Cette seconde condition n’est cependant possible que si les profits des entrepreneurs recommencent à augmenter, c’est-à-dire dans un contexte plutôt inflationniste. En cas de déflation, nous risquons un énorme accroissement de la charge réelle des dettes, qu’entraînerait une baisse des prix et, surtout, des salaires, dans une perspective d’ajustement.

Des opérations relevant de la technique bancaire, comme celles d’open market, ou les programmes de travaux publics devraient être combinés pour relancer le cycle de la dépense d’une part et de l’investissement d’autre part. La baisse des taux d’intérêt, quant à elle, réduit le seuil de rentabilité raisonnablement exigible pour qu’un projet puisse voir le jour.

VIII. Les moyens de restaurer la prospérité (1933)

Les causes de la dépression ne pouvant être attribuées à des évènements extérieurs à l’économie (comme la guerre ou la maladie), c’est dans le système économique lui-même qu’il est nécessaire de chercher la clef de la prospérité.

Il est nécessaire d’abandonner les faux raisonnements de « bon sens », qui empêchent les hommes politiques de débloquer la situation. Il est absurde de prétendre que la mobilisation des chômeurs dans des programmes de travaux publics serait plus coûteuse que leur maintien sous le régime des allocations sociales. Il est faux de penser que la dépense publique, financée par l’emprunt, est inutile et coûteuse, car son effet aurait prétendument peu de répercussions sur l’activité réelle et sur la demande finale. On peut démontrer, avec des hypothèses raisonnables, qu’elle est au contraire très profitable.

On peut en effet prévoir, dans les conditions actuelles, qu’une dépense additionnelle serait multipliée par deux après répercussion sur l’ensemble de l’économie. Autrement dit, un revenu supplémentaire de 100 livres dû, par exemple, à l’emploi d’un chômeur par l’État, générerait une hausse de la demande globale de 200 livres. Ce multiplicateur diminuera au fur et à mesure que le niveau d’activité se rapprochera du plein emploi et sera au plus bas lorsque la hausse du revenu global entraînera naturellement une hausse des prix. Il est donc raisonnable d’attendre que la hausse du revenu et de l’emploi se traduise, non pas par une dégradation des finances publiques, mais bien par une amélioration de celles-ci.

Les accords d’Ottawa d’août 1932 ont formalisé une politique inflationniste, ayant pour levier principal une contraction de l’offre dans les secteurs touchés par la déflation. Cependant, il est certain que cette politique, en réduisant le revenu global des facteurs de production dans les secteurs concernés, ne peut qu’entretenir le cercle vicieux de la baisse des prix.

Il semble qu’il n’y ait qu’un nombre très limité de situations dans lesquelles les prix peuvent augmenter sans que cela n’entraîne une récession : baisse de l’épargne et hausse de la consommation finale, hausse du revenu global. Il n’y a que deux éventualités dans lesquelles le revenu global augmente à court terme : amélioration de la balance commerciale, hausse de la dépense financée par l’emprunt. L’inconvénient de la première est qu’elle ne peut fonctionner pour tous les pays en même temps, car les surplus des uns sont les déficits des autres.

Pour permettre une stabilisation du commerce mondial, il serait nécessaire de permettre une expansion des réserves internationales par l’introduction d’une sorte de devise internationale adossée à l’or et dont la quantité serait gérée par une organisation mondiale. Cette monnaie devrait être utilisée uniquement pour les règlements internationaux.

IX. L’autosuffisance nationale (1933)

Le libre-échange, comme solution optimale, fut durant plus d’un siècle le dogme suprême de l’économie politique. En Angleterre, il était impossible de remettre en cause son théorème sans passer pour un parfait imbécile. Cependant, l’expérience du XXe siècle a montré que cette doctrine ne pouvait tenir toutes ses promesses, au premier chef desquelles la garantie d’une paix durable dans le monde. Ainsi, aux yeux d’un nombre croissant d’observateurs, la somme des avantages de ce principe politique s’est révélée inférieure à celle de ses inconvénients.

Sans remettre en question le raisonnement fondamental du libre-échangisme, il est toutefois nécessaire de procéder à une réévaluation de l’opportunité du maintien de ce dogme dans ses privilèges historiques.

Si l’on prend l’exemple des relations internationales et de la paix, l’expérience nous a montré que le saupoudrage international des capitaux mène à des compétitions impérialistes pour le contrôle des marchés, pouvant entraîner des actions armées plutôt qu’une résolution des tensions par le commerce. Un argument pouvant justifier un renoncement relatif à la doctrine du libre-échange pourrait être la diminution du poids relatif des denrées agricoles par rapport aux produits industriels – les seconds étant indépendants des conditions météorologiques inégalement représentées dans le monde. À notre époque, de grands pays comme la Russie et l’Italie renoncent aux vieilles idées du libéralisme et entreprennent de nouvelles expériences économiques. Il est certain que chacun commettra de nombreuses erreurs à cette occasion, y compris ceux qui voudront conserver à tout prix l’ancien modèle libéral sans lui apporter aucune rénovation.

De plus en plus de raisons plaident en faveur d’une production qui serait aussi nationale que possible, au mépris d’un intérêt monétaire immédiat, dans un contexte où la priorisation des mobiles financiers a montré son incapacité à tirer le maximum des progrès technologiques réalisés. Cependant, la bêtise, la précipitation et l’intolérance des tenants du nationalisme économique dans le monde ne peuvent qu’être sévèrement condamnées.

X. La pauvreté dans l’abondance : le système économique est-il autorégulateur ? (1934)

En guise de préambule, il est nécessaire d’affirmer qu’aucune solution à la pauvreté dans l’abondance ne peut comprendre des mesures qui auraient comme principale conséquence de mettre fin à l’abondance. Cela dit, le problème de la pauvreté reste à résoudre. Deux écoles s’opposent sur ses causes. L’école majoritaire, qui dispose de l’appui d’une large part du corpus de l’économie politique, estime que, bon an mal an, le système économique finit toujours par s’équilibrer si on ne lui impose pas trop de frictions arbitraires. Contre cette thèse d’un système autorégulateur, un courant ancien et minoritaire de l’économie politique retrouve aujourd’hui une vigueur que lui confèrent les évènements que nous connaissons.

Si les axiomes du marché autorégulateur semblent, pour la plupart, frappés au coin du bon sens, ils trouvent leur talon d’Achille dans leur incapacité à produire une théorie réaliste et satisfaisante du taux d’intérêt. En effet, ses défenseurs postulent que le taux d’intérêt doit s’ajouter naturellement pour équilibrer l’épargne et l’investissement. Or, rien ne prouve que cela soit le cas.

Sur cette question, il faut donner raison à la seconde école, quoique les solutions qu’elle avance ne soient pas toujours à la hauteur. Si dans une situation de dépression, l’épargne est supérieure à l’investissement, il existe deux solutions : augmenter la consommation finale en réduisant l’épargne ou augmenter l’investissement. La plupart des tenants de cette analyse se focalisent alors sur la consommation, invoquant des notions telles que la répartition équitable des revenus au profit des ménages modestes, ayant une consommation marginale plus importante. C’est cependant l’investissement qui devrait faire l’objet d’une plus grande attention.

XI. Comment éviter une récession ? (1937)

Il semble que la crise et ses conséquences les plus funestes sont derrière nous. Il est alors d’autant plus nécessaire pour nous de nous pencher sur le problème scientifique de l’apparition des crises et surtout sur les méthodes à employer pour éviter purement et simplement les récessions.

Pourquoi la prospérité est-elle aussi intermittente ? L’explication se trouve dans les fluctuations de l’investissement qui passe parfois sous le niveau de l’épargne, entraînant des pertes et potentiellement des phases de dépression. C’est la difficulté de prévoir l’avenir qui rend quasiment impossible la parfaite coordination de l’épargne et de l’investissement en l’absence de mécanisme direct de régulation. La question est donc de savoir enrayer les cycles de crise et de réguler les booms. Le taux d’intérêt ne saurait être un levier de court terme efficace pour amortir les booms, car il est nécessaire pour empêcher les crises graves, de maintenir la confiance des acteurs dans un taux d’intérêt continuellement bas à long terme.

Il faut se concentrer plutôt sur le budget de l’État, qui pourra faire l’objet d’une politique d’austérité, afin de réduire la demande globale. De même, une dégradation de la balance commerciale au profit des importations pourra participer à modérer l’activité nationale, à l’opposé des périodes de crise.

XII. Quelques conséquences d’un déclin de la population (1937)

Il est à peu près certain que les sociétés développées s’acheminent vers une stagnation, voire vers une diminution de leurs populations. Cette tendance de fond aura de lourdes conséquences sur l’économie, notamment sur la demande de capital qui correspond peu ou prou à l’évolution de la population. La demande de capital dépend de trois facteurs : la taille de la population, le niveau de vie et le capital technique (c'est-à-dire la longueur moyenne de production). Nombre d’inventions techniques modernes tendent à réduire la durée moyenne de production et donc le montant du capital nécessaire à produire des biens, ce qui ne laisse que le niveau de vie ou le taux d’intérêt pour compenser une baisse de la population.

À titre d’exemple historique, l’augmentation de la population britannique de 50 % a été responsable de la moitié de la demande d’accroissement du capital sur la période 1860-1913.

Ainsi, une société dont la démographie baisse devra s’atteler à deux tâches : opérer une répartition plus égalitaire des revenus pour élever le niveau de vie moyen au maximum et abaisser le taux d’intérêt à long terme pour allonger la durée moyenne de production via de grands projets d’investissement. Sans cela, le spectre du sous-emploi et de la dépression planerait sans cesse sur une société vieillissante.

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