Howard Zinn était lieutenant bombardier navigant pour l’armée de l’air américaine durant la Seconde Guerre mondiale. Au cours des conflits, il fut confronté à un phénomène de dépersonnalisation des tueries. Il reconnaît avoir lâché des bombes à plus de 9 000 mètres du sol, rendant l’opération plus impersonnelle que ce qu’elle n’était déjà.
Podcast La synthèse audio
Plus tard, en lisant le compte rendu d’interviews de survivants du bombardement d’Hiroshima dirigées par John Hersey, Howard Zinn vécut une première crise de conscience, dont l’ouvrage susvisé fait état.
Ce qu’il faut retenir :
En août 1945, le bombardement d’Hiroshima entraînera la mort de plus de 140 000 personnes, et quelques jours plus tard, une autre bombe atomique sera larguée à Nagasaki qui tuera 70 000 personnes sur le coup et plus de 130 000 habitants qui succombent aux radiations. Il est essentiel de divulguer les témoignages, et de mettre en lumière les atrocités commises par l’armée, et ne répondant à aucune fin militaire.
De nos jours, la technologie a permis de viser avec plus de précisions, il est désormais possible de prendre pour cible une maison, un immeuble ou une voiture. Cependant les dégâts humains restent indéterminés lorsqu’une bombe est larguée. Howard Zinn insiste sur la cruauté et le manque de considération pour la vie humaine de la part des États-Unis. D’après lui, « cela sous-entend — honte à nous ! — que la vie des autres a moins d’importance que celle des nôtres. »
Le désastre de Hiroshima et Nagasaki témoigne de la déliquescence morale des États-Unis. Le gouvernement américain a pu justifier ses actes les plus violents alors qu’il condamne les atrocités de ceux dont l’idéologie s’oppose à la sienne.
« Le mal, qui fait aujourd’hui l’objet d’une production de masse, exige une division du travail de plus en plus complexe, si bien que plus personne ne peut être tenu directement responsable des horreurs ayant cours. Cependant, tout le monde porte une responsabilité négative, car n’importe qui peut tenter d’enrayer la machine. » Howard Zinn
Biographie de l’auteur
Howard Zinn (1922-2010) est un historien et ancien combattant américain. Militant chevronné, il s’est engagé dans les mouvements suffragiste, pacifiste, syndicaliste et abolitionniste. Dans ses écrits, il offre ainsi une analyse critique et contestataire du pouvoir. Par exemple, dans Columbus, the Indians, and Human Progress (1992), il cherche à sensibiliser le public aux véritables motivations de Christophe Colomb. Avec Hiroshima: Breaking the Silence (1995), il tente de faire contrepoids aux discours prédominants aux États-Unis concernant le bombardement atomique du Japon. En décembre 2009, un mois avant sa mort, Zinn termine de rédiger The Bomb, son dernier acte de rébellion.
Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.
Plan de l’ouvrage
I. Hiroshima. Briser le silence
II. Le bombardement de Royan
Synthèse de l’ouvrage
I. Hiroshima. Briser le silence
Août 1945, le bombardement d’Hiroshima entraîne la mort de plus de 140 000 personnes, et celui de Nagasaki, quelques jours plus tard, provoque 70 000 morts, sans compter les 130 000 qui succombent plus tard aux radiations. Ces données, rassemblées par une équipe de scientifiques et de médecins japonais, sont publiées dans le rapport Hiroshima et Nagasaki: The Physical, Medical, and Social Effects of the Atomic Bombings, traduit en anglais en 1981. Ces chiffres, déjà effrayants, n’ont pas pu faire acte de l’intégralité des atrocités produites par la bombe. En raison d’une tendance à utiliser des statistiques, les données non quantifiables passent inaperçues. Souvent, la souffrance n’est pas numérisable.
Le récit d’une étudiante japonaise de 16 ans, rapporté par Kinuko Laskey à l’attention du Sénat des États-Unis fut particulièrement troublant :
« Elle aperçut un bombardier B-29, puis survint un éclat de lumière. Portant ses mains à son visage, elle eut l’impression que celles-ci le "traversaient". Elle vit "un homme sans pieds, marchant sur les chevilles", puis s’évanouit. "Quand je me réveillai, il tombait une pluie noire. […] Je croyais être devenue aveugle, mais, en ouvrant les yeux, je vis un magnifique ciel bleu au-dessus de la ville morte. Personne ne se tenait debout, personne ne marchait. […] Je voulais rentrer chez moi, voir ma mère." »
Comme Laskey, Howard Zinn soutient fermement qu’il est indispensable de divulguer les témoignages des survivants. Dans une perspective similaire, dans The Making of the Atomic Bomb (1986), récit le plus réaliste de cette sombre mission, Richard Rhodes raconte :
« En une fraction de seconde, dans un rayon de 800 mètres, les personnes exposées à la boule de feu provoquée par Little Boy ont été carbonisées, réduites en amas fumants, leurs organes internes évaporés. […] Parsemant rues, ponts et trottoirs d’Hiroshima, ces petits tas noirs se comptaient par milliers. Au même moment, des oiseaux prenaient feu en vol. Dans un crépitement, insectes, écureuils et animaux de compagnie étaient anéantis. »
Il faudra attendre soixante-cinq ans pour que les répercussions atroces de la bombe soient rendues publiques. Et malgré la mise au jour des abominations d’Hiroshima et Nagasaki, certains soutiennent encore qu’il était raisonnable et nécessaire de réaliser cette mission. Ce type de position révèle la déliquescence de l’état de la morale aux États-Unis. Le gouvernement américain justifie ses actes les plus violents alors qu’il condamne les atrocités de ceux dont l’idéologie s’oppose à la sienne.
« Quand des bandes de fanatiques se livrent à des atrocités, personne n’hésite à les qualifier de "terroristes" — c’est d’ailleurs ce qu’ils sont — et à rejeter leurs justifications. Toutefois, si celles-ci sont perpétrées par le gouvernement, et ce, à une échelle beaucoup plus grande, le mot "terrorisme" est exclu, et l’on considère le fait que ces actes soient l’objet de débats comme un signe de vitalité démocratique. Pourtant, si le terme « terrorisme » a la moindre signification (ce dont je ne doute pas, car il permet de qualifier d’intolérable un acte de violence aveugle commis contre des êtres humains pour des motifs politiques), il s’applique parfaitement aux bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. »
Le sociologue Kai Erikson également, notant que les attaques aériennes avaient été minutieusement organisées afin d’envoyer un message aux Russes et aux Japonais, déplorait la morale qui sous-tendait cette mission : « Dans quel état d’esprit un peuple essentiellement honnête doit-il se trouver, quel genre de contorsion morale doit-il accomplir, pour être prêt à anéantir jusqu’à 250 000 êtres humains dans le seul but de marquer des points ? » Alors que les Américains aiment se présenter comme un « peuple essentiellement honnête » (expression également employée par Erikson), ils ont été capables de commettre les pires abominations. « Toutes les atrocités ne sont-elles pas commises par des "peuples essentiellement honnêtes" ayant été placés malgré eux dans des situations contraires à la morale propre au genre humain ? » Ce constat conduit à s’interroger sur le climat psychologique et politique qui pousse les citoyens à pratiquer, tolérer ou simplement ignorer passivement le largage de bombes atomiques sur des individus innocents.
Un climat de rectitude morale unanime est possible lorsqu’un ennemi commun se dresse contre une population tout entière comme ce fut le cas du fascisme. Puisqu’il n’existe aucun doute sur le caractère abominable de l’ennemi, ce dernier est certainement diabolique et “nous” autres citoyens, incontestablement bons. C’est l’usage de ce pronom “nous” qui a permis de manipuler la conscience individuelle de chaque individu, exploitant ainsi l’illusion de partager les mêmes objectifs que l’État. De la guerre du Péloponnèse à nos guerres modernes, sans oublier de mentionner les croisades, les technologies de la communication ont permis de mobiliser les populations en faveur de la “pureté morale” du gouvernement afin de convaincre la population qu’elle partage les mêmes intérêts, et ainsi, inciter cette dernière à se mobiliser pour la guerre.
Alors que le président Roosevelt n’hésitait pas à qualifier les bombardements par les nazis en Europe « d’actes d’une inhumaine barbarie ayant profondément choqué les consciences », il ne tardera pas lui-même à lancer des attaques aériennes du même type en 1943. Peu à peu, le recours aux bombardements aériens durant la Seconde Guerre mondiale était devenu parfaitement acceptable aux yeux des grandes puissances. Aussi, le bombardement d’Hiroshima a paru plus que naturel.
Avant cela, en 1942, convaincu que les Japonais de la côte ouest présentaient une menace à la sécurité des États-Unis, le président Roosevelt autorise l’armée à arrêter sans mandat de nombreux Nippo-Américains. Ces démarches ont permis de « préparer psychologiquement » la population américaine à accepter, et à revendiquer, les bombardements qui auront lieu peu de temps après à Hiroshima et à Nagasaki. Le gouvernement initie un processus de diabolisation de l’ennemi — ici, des Japonais — afin de rallier l’ensemble de la population à sa cause : « Sitôt prise la décision de larguer une bombe atomique sur Hiroshima, il fallait préparer les esprits. Comme la barbarie de l’ennemi dépassait l’entendement, tout ce que nous pouvions lui infliger était moralement juste. »
Peu de temps après avoir largué les bombes sur le Japon, le gouvernement américain accepte pourtant que l’empereur garde son titre après la guerre. Cette étrange contradiction pousse à s’interroger sur les motivations des bombardements. Et si Hiroshima et Nagasaki n’étaient en réalité rien de plus qu’une démonstration de force de la part des États-Unis ? La bombe apparaît alors comme une tentative de dicter les conditions de la fin de la guerre. En effet, à Washington, lorsqu’on eut ouï dire que l’Armée Rouge allait marcher sur le Japon, on s’empressait alors d’arriver les premiers. « Il semble qu’il ne souhaitait pas que la défaite des Japonais soit due à l’intervention des Russes, mais bien aux bombes américaines. Voilà qui explique l’empressement manifeste des Américains de larguer la bombe en août, soit quelques jours avant la date prévue d’entrée en guerre de l’URSS et des mois avant toute invasion planifiée du Japon. » Ainsi, les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki représenteraient la première opération d’envergure de la guerre froide.
Le journaliste et activiste Dwight Macdonald décrivait la bombe atomique comme « le résultat naturel du genre de société que nous avons créé. […] Ceux qui disposent d’une telle puissance destructrice sont des misanthropes. ». Et, le silence et l’apathie devant de telles atrocités représentent eux-mêmes un crime contre l’humanité.
Le crime est d’autant moins acceptable que ses justifications sont douteuses. L’argument de la stratégie par exemple doit être réfuté : il n’existait pas la moindre nécessité militaire de bombarder le Japon. Prôner un prétexte militaire ou politique afin de justifier les atrocités dont souffrent les victimes des bombardements massifs n’est pas moralement acceptable. Cette tendance pourrait peut-être s’expliquer par le “fanatisme technologique” qui semble aveugler les scientifiques à l’origine de l’élaboration de ces bombes atomiques.
II. Le bombardement de Royan
Mi-avril 1945, trois semaines avant la capitulation de l’Allemagne, la ville de Royan fut détruite lors d’une offensive à la fois terrestre et aérienne. Officiellement, on raconte que les bombes visaient des « garnisons allemandes récalcitrantes ». Cependant, les attaques ont frappé Royan et ses environs, ainsi que les populations qui s’y trouvaient. Howard Zinn avait lui-même participé à cette opération, convaincu, tout comme ses collègues, qu’il s’agissait d’une opération comme une autre. En effet, ces derniers avaient reçu pour instruction d’éliminer les poches allemandes de Royan.
Cependant, seules des bombes actionnées à l’aide d’un interrupteur à levier, faites pour les bombardements massifs et inadaptées aux bombardements de précision, leur avaient été fournies. « L’interrupteur à levier était branché à un intervallomètre qui, une fois la première bombe lâchée, larguait les autres de manière séquentielle. Je me souviens parfaitement d’avoir vu, du haut du ciel, les bombes exploser dans la ville, s’embrasant telles des allumettes dans le brouillard. J’étais totalement inconscient de la tragédie humaine qui se déroulait en bas. »
Dans le cas de Royan, impossible de revendiquer une soi-disant stratégie militaire comme on l’eût fait pour Hiroshima. La ville de Royan se situait bien trop loin du front pour représenter le moindre enjeu militaire. De plus, l’offensive contre Royan dont il est question a eu lieu trois semaines avant la fin de la guerre, alors qu’on ne faisait qu’attendre la reddition des troupes allemandes encore présentes dans la région.
Les bombes avaient complètement détruit la ville et tout ce qu’on trouvait à dire c’est que l’événement n’était qu’une “tragique erreur”. Les hauts responsables militaires de l’époque soutenaient qu’au départ les avions avaient bien reçu pour mission de bombarder l’Allemagne, cependant, le mauvais temps les avait forcés à emprunter un autre itinéraire et s’étaient ainsi retrouvé à Royan.
« Une famille entière est prisonnière dans une cave… l’eau monte… Les sauveteurs lèvent soudain la tête… ce ronronnement… mais oui, c’est une autre vague. Elle arrive comme l’orage et achève par le fer, le feu et le plomb la destruction complète de Royan et de ses habitants. […] Royan a sombré en même temps que le monde civilisé, par l’erreur, la bêtise et la folie des hommes » témoignait l’un des rares survivants du bombardement de Royan.
On accusera alors les généraux français ainsi que le service de bombardement britannique de ne pas avoir appliqué la recommandation de Charles de Gaulle selon laquelle « des attaques aériennes ne devraient être entreprises qu’en coordination avec des offensives terrestres ». En réalité, ce sont les ambitions militaires, la fierté, l’honneur et la gloire qui furent à l’origine du déclenchement de cette mission.
On peut spéculer sur les origines de la destruction de Royan. S’agit-il d’une erreur du commandement suprême des Forces alliées ? Du résultat d’une ambition militaire ? D’une envie irrépressible de tester une nouvelle arme ? Cependant, ce qu’il faut retenir de cet évènement, c’est l’habitude de l’obéissance chez les protagonistes.
« Enfin, chez tous les participants, quel que fût leur grade, Français comme Américains, le fondement le plus puissant d’entre tous : l’habitude de l’obéissance, cette propension, propre à toutes les cultures, à tenir son rang et à ne pas se poser de questions, cette responsabilité négative consistant à n’avoir ni raison ni volonté de manifester la moindre opposition. »
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