L’externalisation aux cabinets de conseil s’est démultipliée depuis les années 1990 sans résultats probants. Dans Consultocratie, les nouveaux mandarins (FYP éditions, 2022), Simon Woillet, essayiste et responsable de la rubrique « idées » du média en ligne Le Vent se Lève, renseigne avec ses co-auteurs sur la nature de leurs activités, les tendances lourdes dont ils procèdent et les enjeux de souveraineté qui leur sont associés.
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Laurent Ottavi (Élucid) : Comment définissez-vous un cabinet de conseil et pouvez-vous donner une illustration de ses activités ?
Simon Woillet : La catégorisation des activités de conseil connaît parfois un certain flou (notamment en ce qui concerne les prestations intellectuelles), mais on admet communément qu’il s’agit d’un secteur qui désigne un ensemble de services allant de l’accompagnement pour la stratégie économique, organisationnelle à la gestion des systèmes informatiques des entreprises et institutions. En 2021, le secteur du conseil représentait au niveau global en France près de 11,6 milliards d’euros, selon le principal syndicat du secteur, le Syntec (1).
L’exemple le plus célèbre d’intervention des cabinets de conseil est évidemment celui de McKinsey durant la pandémie, dans la gestion de la politique vaccinale, et dont les ressorts ont été décryptés par la commission d’enquête du Sénat. Ce qui a choqué la représentation nationale ici tient à la nature particulière de ce type d’intervention « en coulisses », de telle sorte que les documents produits par les consultants pouvaient apparaître comme des documents directement produits par la puissance publique.
Élucid : Quels sont les profils types des membres de ces cabinets ?
Simon Woillet : Les parcours professionnels pouvant conduire à intégrer ce secteur sont variés : ils vont d’étudiants en affaires publiques de SciencesPo ayant réussi ou raté les concours administratifs, à des polytechniciens (à l’instar du directeur actuel de l’école Polytechnique « alumni » de McKinsey), en passant par les informaticiens et les élèves d’écoles de commerce évidemment. Certains littéraires, normaliens ou agrégés peuvent également fréquenter cet univers, tant la variété des prestations et services vendus par ce type d’entreprises est large. Un monde social qui donne le sentiment d’être en « vase clos » tant la proximité sociologique et parfois personnelle des consultants et des membres de la technostructure énarchique traditionnelle est importante.
On peut citer ici la proximité historique entre Karim Tadjeddine, ancien responsable affaires publiques de McKinsey en France, et Emmanuel Macron, depuis la Commission Attali jusqu’à ses campagnes présidentielles. Paul Midy, aujourd’hui député LREM et cadre dirigeant des campagnes présidentielles de ce parti est un ancien de McKinsey également. Le mari de l’ancienne ministre de la Transformation publique, Amélie de Montchalin est un ancien du Boston Consulting Group (BCG). Mais ce ne sont là que quelques exemples d’une myriade d’autres situations analogues qui tiennent à la porosité des champs et sous-champs dans lesquels ces individus évoluent.
« L'hyperspécialisation des professions et la complexification des processus de travail ont fait émerger une classe managériale autonome par rapport aux institutions. »
Vous retracez l’histoire des cabinets de conseil dans votre livre. Quel est le processus qui a conduit à l’essor des cabinets de conseil aujourd’hui ?
Historiquement, les grandes firmes comme McKinsey représentent les chevilles ouvrières de ce que l’historien Alfred Chandler nomme la « managérialisation » de l’économie. Pour résumer, on peut dire que la division du travail dans les sociétés industrielles avancées produit une hyperspécialisation des professions et une complexification des processus de travail et de circulation de l’information, qui rendent possible l’émergence d’une classe managériale autonome par rapport aux institutions et appareils de production classiques (administrations et entreprises).
Pour Chandler, la managérialisation est liée non seulement à la complexification des chaînes logistiques, au développement intensif du libre-échange et de la société de consommation de masse, mais également à la complexification de la comptabilité et de la gouvernance des entreprises (sous l’effet du Sherman Act notamment). En l’occurrence, il souligne la nécessité pour les firmes de faire de plus en plus appel à des spécialistes de la certification des comptes et de la gouvernance, ce qui donne progressivement naissance à l’entreprise d’audit moderne du type McKinsey, au début de son activité, ou encore Ernst and Young (EY).
Comment en sont-ils venus à investir ensuite de nouveaux domaines ?
Ces entreprises de comptabilité et d’audit, accédant toujours plus profondément au cœur de la mécanique budgétaire des entreprises, ont très vite compris qu’elles pouvaient proposer des services d’un type différent de leur cœur de métier historique. Elles ont ainsi inauguré le conseil en organisation et en stratégie, qui puise ses sources dans la pensée de Fayol revisitée par les sciences des organisations américaines du début du XXe siècle, pour l’essor desquelles la fondation Rockefeller a été essentielle. Parmi les grands penseurs-consultants de cette période, on trouve par exemple Lyndall Urwick ou Luther Gulick, qui ont joué un grand rôle dans l’identification de la classe politique à la classe managériale, notamment sous Roosevelt.
En France, ce nouveau processus ne commence véritablement que dans les années 1990 avec l’introduction des « cercles de qualité » et l’essor de « l’économie de la certification », par le biais d’acteurs divers qui contribuent à la lente légitimation du New Public Management. L’influence du sociologue des organisations Michel Crozier en amont de cette période est considérable, tant dans la presse qu’auprès des politiques. Il préconise – comme nous l’avons montré en étudiant son rapport corédigé avec Joji Watanuki et Samuel Huntington pour la Commission trilatérale – le « remplacement du technocrate par le consultant ».
« Aujourd’hui encore, du ministère de l’Éducation nationale à Bercy en passant par le ministère de la Santé ou de la Justice, de grands projets ont été élaborées par ou avec des cabinets de conseil. »
Le New Public Management soutenu alors constituait une synthèse des effets économiques de la public choice theory adoptée par Ronald Reagan (qui consiste vulgairement à « dégraisser le mammouth » de la fonction publique et des administrations) et de ses « vertus morales » dans une version sociale-démocrate, portée par Bill Clinton et ses consultants préférés : Ted Gaebler et David Osborne, auteurs du best-seller Reinventing Government. La particularité de cette version sociale-démocrate de la réforme administrative inspirée par une vision caricaturale du monde de l’entreprise, c’est qu’elle tend à intégrer les fonctionnaires dans les processus de réforme, d’auto-évaluation et de conceptualisation néomanagériale de leur propre rôle et de celui de leurs collègues et subordonnés. Deux éléments déterminants interviennent alors, sur fond de prise du pouvoir de Bercy à la suite des chocs pétroliers, du « tournant de la rigueur » et des vagues de privatisations balladuriennes.
Le premier tient à la mise en place transpartisane d’une architecture budgétaire de l’État contraignante : la LOLF (Loi Organique relative aux Lois de Finances), qui fixe les modalités d’évaluation des politiques publiques et de certification des comptes publics à partir de critères directement issus du monde du conseil et de l’audit, à travers les normes de l’IASB (International Accounting Standards Board) et de l’IFRS (International Financial Reporting Standards) qui le chapeaute. L’adoption de ces standards par la Commission européenne et par les États européens entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, marque un tournant dans le recours aux cabinets de conseil dans l’évaluation des politiques publiques, puisqu’ici la certification comptable et l’évaluation politique deviennent indissociables.
Le deuxième phénomène tient à la constitution d’une véritable « taille critique » du marché des administrations publiques à la suite de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) sous Nicolas Sarkozy, et à la fusion des diverses agences de réforme administrative de la transformation publique, qui ont permis de débloquer les montants nécessaires à la création d’un marché du conseil au sein des administrations pour les grands cabinets anglo-saxons notamment. Les travaux préparatoires à la RGPP baptisés « audits Copé » ont signé, selon les spécialistes, un tournant dans l’utilisation politique de ces grands cabinets, non pas en aval de la décision, mais en amont, au niveau de son élaboration.
Aujourd’hui encore, du ministère de l’Éducation nationale à Bercy en passant par le ministère de la Santé ou de la Justice, de grands projets allant de la réforme des conditions de l’enseignement secondaire en passant par les stratégies sanitaires ont été élaborées par ou en dialogue avec des cabinets de conseil. Il y a, d’après nous, un réel problème à cet égard, quand on sait par exemple que la DITP, instance en charge des marchés publics les concernant, juge elle-même que l’activité de ces cabinets peut ne « pas être au niveau ».
« Dans un souci de stabilité budgétaire et de souveraineté politique, il est urgent de penser un grand plan de réinternalisation des compétences au sein de l’État. »
Le travail de ces cabinets de conseils est-il si négatif que cela ?
Longtemps prônée comme un modèle de bonne gouvernance, en particulier par les discours très officiels d’organes normatifs internationaux comme l’OCDE, l’externalisation connaît une très grave crise depuis quelques années, car les promesses de réduction de la dépense publique qu’on lui associe ne sont pas toujours tenues, et c’est le moins qu’on puisse dire. Il n’y a à l’heure actuelle aucun consensus scientifique sur l’hypothétique corrélation entre externalisation et baisse de la dépense publique. François Ecalle, dans une note intitulée « L’externalisation des services publics », pose le problème de la façon suivante :
« L’externalisation est plus coûteuse que la production en interne de services dans la mesure où le coût du capital des entreprises privées est plus élevé que celui des administrations. Les entreprises privées peuvent toutefois être plus flexibles, plus innovantes, plus spécialisées et, au total, moins coûteuses et plus efficaces si elles sont
soumises à une concurrence suffisamment forte. »
Il remarque ainsi que l’un des problèmes auquel l’État français est soumis dans notre période tient précisément à la difficulté que rencontre l’administration pour encadrer clairement le recours aux prestations externes, en particulier en matière de conseil. Dans une optique de stabilité budgétaire et dans un souci de souveraineté politique (du peuple sur ses décideurs et de l’administration sur ses fonctionnaires), il également est urgent de penser un grand plan de réinternalisation des compétences au sein de l’État, comme le propose le collectif Nos Services Publics.
Des rapports récents de l’IGF commencent à mieux représenter la nécessité mais aussi la difficulté d’une telle tâche. On pensera ici au tout récent rapport « Les ressources humaines de l’État dans le numérique », qui préconise le recrutement de 2.500 informaticiens par an pour faire face aux besoins croissants de tous les services, ce qui n’est pas sans lien avec le sujet du recours au conseil, puisque la majorité des dépenses de l’État en la matière est représentée par l’informatique.
« La numérisation des politiques publiques permet aux cabinets de conseil d’influencer le devenir de l’externalisation des fonctions de l’État. »
Quels sont les enjeux de souveraineté posés par les activités des cabinets de conseils ?
Le rapport de la commission d’enquête sénatoriale intitulé « Un phénomène tentaculaire : l'influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques » contient un chapitre très important sur « le paradoxe de la donnée », dans lequel les sénateurs insistent sur le caractère contradictoire des déclarations des consultants, ministres ou hauts fonctionnaires interrogés en matière de gestion des données récoltées par les consultants, à l’occasion de leurs missions pour la puissance publique.
Il faut savoir que l’un des modes privilégiés de promotion et de justification de leurs activités repose précisément sur la pratique des « parangonnages » ou « benchmarks », autrement dit l’analyse comparée de pratiques rencontrées dans des administrations comparables, parfois à l’échelle internationale. Dans un tel cadre, les sénateurs n’ont pas manqué de faire remarquer que cela pouvait constituer un risque majeur pour la sécurité nationale si des données stratégiques de nos administrations étaient communiquées à cette occasion à des clients étrangers, en l’espèce, des puissances étrangères.
La sénatrice Éliane Assassi avait très justement pointé du doigt l’existence d’un contrat entre le ministère de la Défense australien et McKinsey, dans un laps de temps proche de celui où ce cabinet (comme bien d’autres) travaillait pour le ministère de la Défense français, et n’a pas manqué de rappeler le contexte tendu de « l’affaire des sous-marins » pour illustrer le type de questions légitimes qui peuvent se poser dans de tels cas sur le traitement des données. Le New-York Times a révélé il y a quelques années les relations problématiques entre McKinsey et le gouvernement chinois ou le gouvernement saoudien (dans le dernier cas, cette collaboration a conduit à l’identification de trois opposants au régime). Plus récemment, la presse allemande (Business Insider Deutschland) épinglait les liens entre McKinsey et d’anciens du BCG avec Gazprom ou avec des oligarques ukrainiens.
Enfin, on peut également remarquer que l’un des cœurs de métier du secteur du conseil auprès de la puissance publique n’est autre que la numérisation des politiques publiques. De l’implémentation de politiques de numérisations de services publics à l’infogérance ou au suivi continu de la vie des logiciels déployés, cette stratégie leur permet d’influencer à plusieurs titres le devenir de l’externalisation des fonctions de l’État. Au premier chef, numériser (dans l’esprit des décideurs et consultants), c’est baisser le nombre de fonctionnaires et donc baisser la dépense publique tout en gagnant en efficacité.
L’état actuel des services de la CAF (McKinsey a notamment obtenu un contrat de près de 4 millions d’euros en deux ans pour la réforme du calcul des APL) doit nous permettre de bien mesurer l’ampleur du mensonge. Le cabinet Capgemini est crucial à surveiller pour comprendre l’ampleur et les risques liés à cette dépendance des administrations à la vision réductrice et souvent racoleuse du numérique proposé par ces entreprises.
« L'épisode du Brownlow Committee illustre le poids nouveau de théoriciens des organisations qui importent les méthodes de gestion des entreprises privées pour penser l’action publique et l’incarnation présidentielle. »
En quoi la présidentialisation des institutions est-elle un facteur important de l’explosion du recours aux prestations de conseil auprès de l’exécutif ?
On peut considérer que le présidentialisme, qu’on attribue en France à la structure de notre Constitution actuelle, n’est pas qu’un phénomène endogène. Il provient également de tendances idéologiques internationales d’origine américaine. En 1936 par exemple, Roosevelt convoquait le « Brownlow Committee » ou « President’s Committee on Administrative Management », chargé d’élaborer et de planifier la réforme institutionnelle qui lui permettrait de faire passer son ambitieux programme social en se débarrassant des freins parlementaires et en particulier au niveau budgétaire.
L’entourage présidentiel a ainsi été renforcé à travers la création de « l’Executive Office of the President » (EOP) constituant une sorte de copie présidentielle des autres ministères, qui a sorti les agences budgétaires et sécuritaires fédérales de la coupe de leur ministère de tutelle pour passer sous la férule du Président. Par ailleurs, le Président se voyait doté d’un pouvoir de constituer des agences ad hoc pour disposer d’équipes spécialisées afin de répondre aux problèmes émergents de tous ordres, en particulier en période de guerre à travers la création de « l’Office for Emergency Management » en 1940 (et abandonné en 1943).
On retient du comité et des lois qui l’ont accompagné (notamment le « Reorganization Act » de 1939) qu’ils ont favorisé la capacité du Président américain de recruter des collaborateurs spéciaux et de remodeler à sa guise l’organisation administrative de la « branche exécutive » de l’État fédéral américain. Cette tendance s’est poursuivie sous Reagan et Clinton, du fait de la défiance politique envers l’administration nommée par les prédécesseurs.
Ce que les historiens et la tradition des sciences politiques américaines retiennent de cet épisode du « Brownlow Committee » c’est le poids nouveau de théoriciens des organisations qui importent les méthodes de gestion des entreprises privées pour penser l’action publique et l’incarnation présidentielle. Les consultants d’alors ont explicitement pensé le rôle du Président américain sur le mode du CEO de l’entreprise managériale émergente à l’époque, notamment avec l’acronyme « PODSCORB » (Planning, Organizing, Staffing, Co-Ordinating, Reporting, Budgeting). L’inventeur de ce sigle n’est autre que Luther Gulick, théoricien du management public, membre du « Brownlow Committee ».
« Selon les sénateurs, les prestations de conseil des ministères ont plus que doublé depuis 2018, pour atteindre près de 894 millions d'euros en 2021. »
Quelles sont les causes spécifiques de l’augmentation du recours au cabinet de conseil sous la présidence d’Emmanuel Macron ?
L’augmentation sous Emmanuel Macron est d’abord due à des facteurs politiques. En premier lieu, il convient de souligner le manque d’expérience gouvernementale et politique du personnel issu de LREM, parti revendiquant la synthèse des vieux apparatchiks du bipartisme déchu, avec les « personnalités issues de la société civile ». Il s’agit ici d’une difficulté à « enfourcher » les ministères, leur complexité technique, bureaucratique, politique. Pour de tels représentants, il faut enjamber la complexité bureaucratique de l’État et à ce titre le recours aux cabinets de conseil paraît être le moyen tout désigné puisqu’il était déjà dans les usages politiques des cabinets ministériels précédents.
À cela s’ajoute le cercle vicieux du « serpent qui se mord deux fois la queue » (expression chère à Caroline Michel-Aguirre et Matthieu Aron dans leur remarquable enquête, Les Infiltrés) : une première fois quand l’administration s’auto-saborde dans les politiques d’austérité néolibérales de réduction du nombre d’agents publics, une seconde fois quand ce sont ces mêmes cabinets qui prescrivent à l’intérieur de l’État les coupes budgétaires qui vont susciter habilement leur recours croissant (les politiques de numérisation administrative jouent ici un rôle clé selon les sénateurs). Selon le Collectif Nos Services Publics, entre 2006 et 2018, nous avons ainsi assisté à une baisse de près de 180 000 agents de la fonction publique d’État auxquels il faut ajouter le transfert de près de 220 000 agents des administrations centrales aux agences publiques.
Quels contrôles existent pour évaluer la pertinence du recours aux cabinets ou les problèmes déontologiques qu’il peut poser ?
Depuis « l’affaire McKinsey » en 2022, bien que les mesures demeurent encore largement insuffisantes, le fond de l’air a changé. L’ordonnance du Premier ministre Jean Castex, du 19 janvier 2022, a produit quelques effets, en instaurant notamment un jury de contrôle de la légitimité des dépenses de conseil à partir de 500 000 euros. De nombreux observateurs soulignent néanmoins que ces jurys n’interviennent pas de manière systématique en dessous de ce seuil (le ministère de la Justice active très peu le dispositif, y compris pour des prestations d’un montant proche du seuil fixé par la directive).
Selon les sénateurs, « au sens large et en intégrant toutes les dépenses de conseil en informatique », les prestations de conseil des ministères ont plus que doublé depuis 2018, pour atteindre près de 894 millions d'euros en 2021. Un montant confirmé par la Cour des comptes dans son tout récent rapport d’initiative citoyenne sur la question. Cependant, tout comme les sénateurs, les magistrats de la Cour des comptes soulignent la difficulté d’accès à l’information et, partant, d’élaborer une évaluation précise des dépenses de conseil tant les nomenclatures usitées dans les marchés publics sont délicates à manier.
Il faut également souligner la difficulté d’accès à l’information mentionnée par les sénateurs au niveau des administrations et agences publiques territoriales qui représentent la face cachée de l’Iceberg de ce type de dépenses (songeons seulement au recours massif des Agences Régionales de Santé, documenté par les travaux du sociologue Frédéric Pierru pour deviner l’ampleur du phénomène).
« Il faut retrouver un régime social et industriel très fort, dans l’esprit de 1945, capable de répondre aux défis climatiques, industriels et sociaux qui nous attendent. »
Quels grands axes d’action permettraient de tourner la page de la Consultocratie ?
Il faut renverser la formule de Michel Crozier, désormais ce n’est pas « le consultant qui doit remplacer le technocrate », mais le haut fonctionnaire qui doit retrouver l’esprit de 1945 pour accomplir par lui-même les missions dévolues à un État-planificateur efficace. Il faut ainsi s’inquiéter du conditionnement idéologique majeur produit par l’infiltration des formations et des écoles les plus prestigieuses par les consultants. Rappelons ici que Karim Tadjeddine était lui-même enseignant au sein des formations en affaires publiques de Sciences Po Paris et que Éric Labaye, président de l’École polytechnique depuis 2018, est également un ancien consultant de McKinsey pour ne citer que deux exemples frappants.
Tout cela doit prendre place dans un grand plan de réinternalisation des compétences, dans un contexte où l’IGF semble indiquer également la nécessité d’une telle politique globale. Il faut à cet égard une nouvelle loi organique, qui bouleverse et réarticule tous nos indicateurs budgétaires et nos trajectoires d’investissement en matière d’efficacité de la puissance publique et de besoins par les remontées de ses fonctionnaires et de ses services, mais aussi par des nationalisations qui doivent amener à un retour net, clair et franc de l’État dans la vie économique et le sortir de son rôle actuel de simple « stabilisateur contracyclique ».
Une démarche à laquelle invitent aujourd’hui de nombreux économistes d’envergure internationale comme Ha-Joon Chang ou encore Mariana Mazzucato, auteure de l’État-entrepreneur. Il faut retrouver un régime social et industriel très fort, dans l’esprit de 1945, capable de répondre aux défis climatiques, industriels et sociaux qui nous attendent.
Propos recueillis par Laurent Ottavi.
Photo d'ouverture : Montage avec le logo de la société de conseil en management McKinsey & Company, basée aux États-Unis, et une photo du Palais de l’Élysée. (Photo par Lionel BONAVENTURE / AFP)
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