Ceux qui connaissent le nom de Gunter Holzmann l’associent en général au journal Le Monde diplomatique, auquel son généreux don de 1 million de dollars avait permis, dans les années 1990, de préserver son indépendance ; ou encore à ses engagements – contre le nazisme d’abord, puis pour la protection de l’environnement. Ce chimiste juif allemand, exilé en Amérique latine, touche-à-tout talentueux, avait pourtant livré durant un quart de siècle un autre combat contre la logique marchande de l’industrie pharmaceutique.
Découvrant dans les années 1970 l’effet bénéfique du venin des fourmis palo santo sur les douleurs arthritiques, Holzmann s’associe avec des médecins pour tenter de développer et de mettre sur le marché un médicament. Le produit, baptisé EPT (pour Extracto Pseudomyrmex triplarinus) semble prometteur – une piqûre permettrait une rémission de plusieurs années – et les études préliminaires, positives. Cependant, lorsqu’il contacte des entreprises pharmaceutiques pour leur proposer de conduire des essais cliniques en vue d’obtenir de la FDA américaine l’autorisation de mise sur le marché, Holzmann découvre que l’efficacité même de son produit en est le principal handicap.
Dans son autobiographie (1), il relate ses échanges avec deux industriels allemands qui lui expliquent sans fioritures que, puisqu’une grande partie de leurs bénéfices vient des ventes d’antidouleurs que les patients arthritiques doivent prendre à vie, ils n’ont aucun intérêt à investir des millions pour développer un médicament qui guérit la pathologie en question et qui, s’il était commercialisé, minerait leur santé financière et effondrerait leur cours en bourse. « Le facteur profit dictait sa loi », commente sobrement Holzmann. Ce n’est qu’après sa mort que le médicament est finalement commercialisé par la petite entreprise bolivienne IFA et utilisé dans les cliniques locales – mais toujours pas testé dans le reste du monde.
Cet épisode illustre à merveille la quadrature du cercle de l’industrie pharmaceutique : l’efficacité des grands groupes privés, riches en capital financier et humain, est indéniable – la mise au point ultrarapide des vaccins anticovid l’a une nouvelle fois démontré ; mais leur but ultime reste l’accumulation du profit. Leur santé financière a beau être excellente – le marché mondial du médicament, en croissance de quelque 4,5 % par an, pesait près de 1 500 milliards de dollars en 2022 et devrait atteindre 2 000 milliards en 2027 –, la nécessité de dégager des marges est structurelle : indispensable à la survie de l’entreprise, elle ne dépend pas de la décision personnelle d’un dirigeant.
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