Dans de nombreuses langues, il existe deux mots différents : le sacré et le religieux. C’est le signe qu’ils ne désignent pas les mêmes choses. En effet, le sacré est une catégorie anthropologique, et non religieuse – le religieux ne faisant qu’ajouter une strate seconde à la strate anthropologique (ou « anthropolitique ») fondamentale. Le sacré anthropologique se définit alors comme la puissance commune qui crée la réalité sociale, en canalisant l’inéradicable violence des hommes.

publié le 29/01/2025 Par Marc Weinstein

Depuis la révolution iranienne de 1979, les événements religieux ou à coloration religieuse se multiplient dans le monde : parution du très contestable Choc des civilisations [religieuses] de Huntington dans les années 1990, attentats de Manhattan en septembre 2001, renforcement de l’Église orthodoxe en Russie, menées des « ultras » juifs en Israël, agressivité de Narendra Modi contre les musulmans en Inde, islamophobie en France, etc.

Je rappelle ces choses pour deux raisons : d’abord, pour suggérer que nos sociétés laïques seraient bien inspirées de ne pas négliger l’ampleur du phénomène ; ensuite, pour pointer l’erreur de certains historiens ou philosophes qui, dans la seconde moitié du XXe siècle, diagnostiquaient ou pronostiquaient le déclin du religieux, alias le « désenchantement du monde ». Il ne faut certes pas nier les cas d’instrumentalisation des sentiments religieux par les pouvoirs étatico-économiques (aux États-Unis, en Inde, au Moyen-Orient) ; mais il serait curieux d’oublier au passage les phénomènes (iranien et israélien par exemple) qui ne relèvent pas de l’instrumentalisation.

Le propos de la présente contribution est d’essayer de penser le regain du religieux à la hauteur de ce qu’il mérite. Pour le penser le plus justement possible, on s’entourera de sociologues, d’anthropologues et de philosophes. Le premier philosophe qui peut être sollicité est Cornelius Castoriadis : il pointe l’inanité des doctrines qui font de l’homme un homo rationalis. Son concept d’imaginaire social ou de signification imaginaire sociale peut être considéré comme le concept-père d’où descendent les enfants « sacré », « politique », « religieux », « poétique »… Castoriadis dit par exemple que la double épopée d’Homère est la signification imaginaire sociale de la Grèce démocratique (1) :

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