« Nos sociétés individualistes ont banalisé le mal de vivre » - Thibault Isabel

La pandémie de Covid-19 a accentué le rapport au monde qui préexistait chez les populations de l’Occident et d’une partie du reste du monde. Philosophe et historien, auteur notamment de Pierre-Joseph Proudhon, l’anarchie sans le désordre (Autrement, 2017) et de Manuel de Sagesse païenne (Le Passeur, 2020), Thibault Isabel décrit des sociétés occidentales minées par l’individualisme, caractérisées par une souffrance psychique de masse et nostalgiques de relations sociales authentiques.

publié le 16/05/2022 Par Laurent Ottavi
« Nos sociétés individualistes ont banalisé le mal de vivre » - Thibault Isabel

Laurent Ottavi (Élucid) : Diriez-vous que la pandémie de Covid-19 a plutôt amplifié ou modifié substantiellement notre rapport au monde ?

Thibault Isabel : La tendance de fond des sociétés occidentales, depuis fort longtemps à vrai dire, réside dans une poussée de l’individualisme. Cela ne signifie en aucun cas que les gens sont plus égoïstes que par le passé. Au contraire, car la solitude inhérente à nos modes de vie nous fait ressentir un manque de contact social, que nous cherchons à compenser tant bien que mal. Jadis, lorsque la vie était structurée par la famille, le voisinage et les relations de proximité, les gens se sentaient moins seuls, mais aussi plus oppressés. Désormais, nous sommes libres, mais livrés à nous-mêmes.

Les études sociologiques montrent que, statistiquement, moins on a de contacts directs et réguliers avec les membres de sa famille – par exemple lorsqu’on vit à bonne distance de son lieu de naissance –, plus on plébiscite la famille comme un élément essentiel du bonheur. Inversement, plus on a des contacts directs et réguliers avec les membres de sa famille, plus on trouve la structure familiale pénible. C’est parce que côtoyer les autres au quotidien représente toujours un effort. Mais il n’empêche que, face à la solitude, les autres nous manquent. Ce paradoxe en dit long sur les contradictions de la nature humaine.

Si le Covid a bel et bien amplifié une forme d’individualisme, c’est qu’il nous a obligés à nous recroqueviller sur le foyer, envisagé de manière très étroite. Notre conjoint, nos enfants, nos parents, nos frères et nos sœurs – rien de plus. Cette promiscuité a exacerbé les tensions sous-jacentes entre époux, entre parents et enfants, etc., tout en stimulant le désir de diversifier les relations. Mais la sociabilisation est difficile quand on porte un masque et qu’autrui doit être tenu à distance.

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