La notion de « transfuge de classe » a le vent en poupe. Laélia Véron, dans son ouvrage Trahir et venger, Paradoxes des récits de transfuge de classe (La Découverte, 2024) écrit avec Karine Abiven, explore la force et les limites de ce concept, son caractère valorisant ou enfermant, son utilisation littéraire ou médiatique et ses ambivalences.
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Laurent Ottavi (Élucid) : L’expression de « transfuge de classe » a des emplois toujours plus étendus. Comment expliquez-vous à la fois son succès et la diversité de ses significations quitte à la vider de sa substance ?
Laélia Véron : C’est un des paradoxes (il y en a plusieurs !) de la notion. Nous nous sommes demandé ce que signifiait le succès de l’expression « transfuge de classe » : s’agissait-il d’un retour de la notion politique de « classe sociale » ? Si oui, le succès de l’expression prouverait l’actualité des interrogations qu’elle porte : la question de la mobilité sociale et, de là, les problèmes de la séparation en classes sociales, des hiérarchies et des dominations sociales, des aspirations politiques (à l’égalité, au pouvoir, etc.)
Mais comme vous le dites, on constate que certains emploient « transfuge de classe » de manière très vague. Par exemple, la réalisatrice Maïwenn se proclame « transfuge de classe » et quand on lui répond que, pourtant, ses deux parents ont évolué dans le monde du cinéma, elle déclare que ce n’est « pas en termes de prolétariat et de bourgeoisie » qu’elle parle de « classe »… on ne sait alors plus très bien comment elle entend le mot. C’est devenu un mot pour signifier un sentiment de malaise, d’inadaptation, mais aussi un destin original (on a toujours envie d’être exceptionnel…).
D’un point de vue scientifique en tout cas, il y a un décalage entre le fait que la notion de transfuge de classe est censée renvoyer à un parcours social très rare et le fait qu’elle ait autant de succès, que de plus en plus de personnes s’en saisissent. Annie Ernaux a ainsi déclaré à France Culture en 2021 : « Je pense qu’on est des millions, des milliards, sans doute, à avoir vécu ce passage d’un monde à un autre ». Mais existe-t-il vraiment des « millions », des « milliards » de personnes qui ont vécu une mobilité sociale de grande amplitude ?
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