Immigration : vrai ou faux sujet ?

Sujet majeur de discordes et de clivages, l’immigration s’est progressivement imposée comme un élément incontournable du débat public ces dernières années. Les positionnements moraux ne suffisent plus à convaincre certains Français, et les grands médias se sont grandement décomplexés sur cette question, libérant dans leur sillage une parole d’extrême droite préoccupée au premier plan par l’immigration, tandis que la gauche refuse le plus souvent de se faire imposer cet agenda politique.

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publié le 03/03/2022 Par Élucid
Immigration : Vrai ou Faux sujet ?
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L’omniprésence des thématiques « immigration et sécurité » (41 % du temps de parole dans les 4 débats de LR contre seulement 10 % pour le pouvoir d’achat) engendre une confusion extrême dans un climat de tensions croissantes. Entre les batailles de chiffres et les batailles de valeurs, qu’en est-il vraiment ? Doit-on sérieusement redouter une explosion de l’immigration en France ?

Une hausse de l'immigration à partir des années 2000

Deux concepts sont très souvent confondus : immigré et étranger. L’INSEE définit un immigré comme une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. En revanche, un étranger est une personne résidant en France sans disposer de la nationalité française. Si les deux concepts se recoupent souvent, il peut y avoir des différences, ce qui explique qu’il y ait environ 7 millions d’immigrés et 5 millions d’étrangers en France. Dit autrement, un immigré cesse d'être étranger dès lors qu'il se fait naturaliser pour devenir Français.

À l’inverse, il existe également près d’un million d’étrangers nés en France, donc non immigrés, qui sont principalement les enfants de deux étrangers n’ayant pas encore obtenu la nationalité française (la nationalité pouvant s’obtenir à partir de 13 ans).

Depuis les années 1950, on constate que la proportion de la population immigrée en France a eu tendance à augmenter, d'abord pendant les Trente Glorieuses, puis depuis le début des années 2000. Alors qu'en 1920, la population immigrée représentait 4 % de la population, elle en représentait 7 % en 1975 et 10 % en 2020.

L'accroissement modéré de la population immigrée en France tient au solde migratoire fortement positif. Alors qu’il était d’environ 150 000 personnes par an à la fin des années 2000, il a progressivement augmenté pour représenter environ 200 000 entrées nettes par an à partir de 2014.

Une immigration africaine, mais aussi européenne

En 2020, sur une population de près de 7 millions d’individus, près de la moitié provenait de pays africains (principalement du Maghreb) et un tiers venait d’un pays européen (principalement du sud de l’Europe). La proportion de la population africaine dans la population immigrée est en nette croissance par rapport aux années 1960 où elle en représentait 20 % du total.

Historiquement, c’est la vague d’immigration italienne qui a été la plus importante, représentant à son apogée en 1931 près de 2 % de la population totale de la France. Sur la période récente, ce sont les vagues d’immigration portugaise et algérienne qui ont été les plus importantes, représentant chacune au début des années 1980 près de 1,4 % de la population résidant en France. Depuis 2010, on constate aussi une forte accélération de l’immigration en provenance d’Afrique subsaharienne, qui pourrait bientôt représenter la vague migratoire la plus importante de l’histoire du pays.

Empiriquement, on observe que les vagues migratoires atteignent un « pic » en termes de part dans la population totale avant de décliner plus ou moins rapidement. Selon toute vraisemblance, la seule vague à ne pas avoir atteint son pic est l'immigration d'origine africaine. En revanche, on constate que malgré une augmentation récente, l’immigration algérienne par exemple n’a pas retrouvé le niveau qu’elle avait atteint en 1980.

Si l’on regarde le nombre d’immigrés présents en France sur longue période, on constate que la nette poussée de l’immigration depuis les années 2000, et surtout depuis les années 2010 est aussi en partie du à l’immigration d’origine européenne. Elle représentait en termes d’individus un nombre équivalent au niveau atteint dans les années 1980. La crise de la zone euro et le marasme économique de nombreux pays européens expliquent sans doute cette reprise migratoire.

Une population jeune avec une structure éducative inégalitaire

Les immigrés qui entrent en France constituent une population démographiquement jeune : 75 % des nouveaux arrivants en France en 2020 avaient moins de 30 ans.

Concernant les niveaux de diplôme, on note que la population immigrée se caractérise par un niveau relativement faible de « qualification intermédiaire ». En effet, la part de la population immigrée bénéficiant d’au moins un diplôme de licence universitaire est supérieure au niveau moyen enregistré dans la population française (20 % en 2020). Cependant, la proportion de la population immigrée présentant un faible niveau d’étude (inférieur ou égal au brevet des collèges) est comprise entre 35 et 38 % suivant les régions d’origine quand elle n’est que de 19 % dans la population française.

Cette distribution très « inégalitaire » des ressources éducatives au sein de la population immigrée est à rapprocher du fait que plus d’un tiers des immigrés arrivant en France ont moins de 18 ans et qu’ils n’ont en conséquence pas pu finir leur parcours scolaire. Cette distribution n’est pas sensible à l’origine géographique des migrants (hors le cas de l’Amérique) : les immigrés d’origines européennes ne sont pas plus diplômés que les immigrés d’origine africaine.

La conséquence de ces caractéristiques sociales de la population immigrée est que celle-ci est davantage exposée au risque de pauvreté. Alors que la pauvreté ne concerne que 14 % des ménages français, cette proportion augmente à 37 % pour les ménages immigrés. Ce chiffre est en revanche moins élevé pour les personnes vivant dans un ménage descendant d’immigrés avec un taux de pauvreté proche de 20 %, témoignant d’une meilleure insertion sociale au sein de la société française.

L'immigration : le futur démographique de la France ?

Alors que le solde migratoire contribuait à 25 % de l'augmentation de la population française en 2006, il y contribuait pour près de moitié en 2014. Cette contribution était devenue plus importante que l'accroissement de la population non immigrée en 2015 et 2016.

Cette évolution s'explique par la baisse continue de la natalité de la population non immigrée, ainsi qu'à une augmentation du nombre de Français choisissant de s'expatrier à l'étranger (plus de 100 000 personnes par an entre 2009 et 2016, net des retours).

L’année 2017 a cependant marqué un rebond de l’accroissement de la population non immigrée en France, non en raison d’un rebond de l’accroissement naturel, mais en raison d’un plus faible nombre de départs de français à l’étranger (environ 40 000 personnes). Mais ce rebond ne semble pas s’être poursuivi dans les années suivantes.

En conclusion, agiter la "menace" d'une submersion migratoire cache trop facilement une réalité française tragique et bien souvent ignorée : la France ne se donne plus les moyens de retenir sa propre population ; elle n'offre pas suffisamment un cadre de vie agréable susceptible d'encourager la natalité et de convaincre la jeunesse de rester au pays.

L'expatriation : la fuite des cerveaux ?

Un autre phénomène souvent passé sous silence dans les grands médias est la « fuite des cerveaux », dont la France est victime depuis les années 2000, et qui s'est accélérée dans la période récente.

Si l'on observe la structure éducative, on s'aperçoit effectivement que ce sont les diplômés du supérieur qui sont le plus touchés par ce phénomène d’émigration : environ 5,4 % des diplômés du supérieur étaient des émigrés en 2015 contre 2 % pour les autres stratifications éducatives.

En 2016, ce sont plus de 150 000 Français (net des retours) qui quittaient la France pour s’installer dans un autre pays. Ce chiffre était d’à peine 50 000 personnes 10 ans plus tôt.

En 2020, ce sont au total près de 2,4 millions de Français qui vivent à l’étranger. L’écrasante majorité (1,9 million) se localise dans des pays « à hauts revenus » contre 500 000 dans des pays en développement.

Si l'on détaille par pays de destination en 2015, on constate que les États-Unis caracolent en tête du classement avec près de 214 000 Français résidant dans ce pays. Les pays européens frontaliers de la France ne sont pas en reste puisqu’on retrouve la Belgique, l’Espagne, le Royaume-Uni et la Suisse en tête des destinations d’expatriation favorite. Aucun pays à « faible revenu » n’apparaît dans ce classement.

Si ce phénomène d’émigration devient de plus en plus préoccupant, il faut relever que la France n’est pas le pays développé le plus touché par le phénomène de fuite des cerveaux. En effet, alors qu’environ 3 % des actifs français ont émigré à l’étranger, ce taux grimpe à près de 4 % en Corée du Sud, en Allemagne et en Italie. Le champion toutes catégories reste le Royaume-Uni, avec 6,5 % de sa population active résidant à l’étranger. Par contraste, les États-Unis ou le Japon ont un taux d’émigration extrêmement faible d’environ 0,5 % chacun.

Une immigration majoritairement légale

La quasi-totalité de la population immigrée en France est une immigration légale (1). Les titres de séjours en France sont délivrés pour 4 motifs principaux : les motifs économiques (travail), familiaux (rejoindre un conjoint installé en France), étudiants et enfin les motifs humanitaires (réfugiés).

La délivrance de titres de séjours pour motifs familiaux ou d’étude sont les deux plus importantes avec un tiers chacune des 280 000 demandes de titres de séjour accordées en 2019. Les motifs de travail ainsi que les motifs humanitaires représentaient pour chacun 15 % des délivrances de titres de séjours.

Cependant, la délivrance du droit d’asile ne prend pas en compte l’ensemble des demandes d’asiles formulées auprès de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et dont la majorité est rejetée par ce même office. Ces demandes s’élevaient à 133 000 en 2019 et 82 000 en 2020. Les nationalités les plus représentées dans ces demandes d’asiles en 2020 étaient l’Afghanistan avec près de 10 000 demandes, et 4 600 demandes pour les ressortissants de la Côte d’Ivoire, de la Guinée et du Bangladesh.

Si les demandes d’asiles sont rejetées par l’OFPRA et par « la cour d’appel » de l’OFPRA, la CNDA (Commission nationale du droit d’asile), alors les demandeurs se voient délivrer une Obligation de quitter le territoire français (OQTF). Si ces OQTF ne sont pas respectées, les migrants se trouvent dans une situation d’illégalité.

Les étrangers en situation illégale : un nombre stable

Les étrangers en situation illégale « détectés » en France représentent selon les chiffres d’Eurostat près de 100 000 personnes en 2020. Un nombre important de ces migrants illégaux correspond en fait aux « OQTF » non appliquées par des demandeurs d’asile déboutés par l’OFPRA.

Environ 15 000 OQTF étaient réalisées en 2019, soit par les demandeurs d’asile eux-mêmes, soit par les services de l’État. En 2020 seules 7000 OQTF étaient réalisées, la crise de la Covid ayant ralenti les expulsions.

Même si les chiffres réels du nombre d’immigrés illégaux en France sont sans doute bien supérieurs à 100 000 personnes, cela reste très peu comparativement aux 7 millions d’immigrants légaux.

Qui sont les descendants d'immigrés ?

Les descendants d’immigrés aussi appelés « 2e génération de l’immigration » sont, contrairement à leurs parents, nés en France et ont donc acquis la nationalité française à leur majorité. De nombreux questionnements traversent la société française au sujet de l’intégration de cette seconde génération (voire des suivantes) et des discriminations dont elle est parfois victime.

Les Français issus de l’immigration, c’est-à-dire ayant au moins un parent immigré, représentaient 7,3 millions de personnes en 2015, soit 11 % de la population. Parmi eux, 45 % avaient deux parents immigrés. Si on se rapporte à la nationalité du ou des parents immigrés, environ 45 % des descendants d’immigrés sont originaires d’un pays européen et 42 % d’un pays africain. En raison des vagues migratoires plus récentes venues d’Afrique, les descendants d’immigrés africains sont en général plus jeunes que les descendants d’immigrés européens.

En utilisant les données d’Eurostat, le cumul des générations d’immigrés et de leurs descendants représente près de 27 % de la tranche d'âge des 15-64 ans, un des taux les plus élevés de l’Union européenne après l’Autriche et la Suède.

Quant à la question des inégalités, la législation décourageant la réalisation de statistiques ethniques, il n’est pas possible de disposer de données permettant d’analyser cette question. La situation est différente dans les pays anglo-saxons, qui les utilisent largement afin de mieux connaitre leur population et mesurer les inégalités (chômage, pauvreté, espérance de vie…).

Si la hausse modérée de la population immigrée en France est un fait avéré, celle-ci est en revanche bien éloignée des images de "submersion massive" de plus en plus véhiculées dans le débat public.

Représentant environ 10 % de la population française, les immigrés français sont pour 1/3 d'origine européenne (principalement du sud de l’Europe) et pour moitié originaires d'Afrique (principalement du Maghreb).

Alors que la pauvreté ne concerne "que" 14 % des ménages français, cette proportion augmente à 37 % pour les ménages immigrés. Pour les personnes vivant dans un ménage descendant d’immigrés, ce chiffre baisse à 20 % de pauvreté, témoignant d’une meilleure insertion au sein de la société française.

D'autre part, la question migratoire qui agite la France dissimule maladroitement une réalité tragique et bien souvent ignorée : les conditions sociales dégradées de notre pays entraînent depuis plusieurs années une forte baisse de la natalité et une forte hausse des départs de citoyens français à l’étranger.

Dit autrement, la France ne se donne plus les moyens de retenir sa propre population ; elle n'offre pas suffisamment un cadre de vie agréable susceptible d'encourager la natalité et de convaincre la jeunesse de rester au pays.

Enfin, face à l’ampleur des déplacements qui sont et seront provoqués par la crise climatique (1 milliard d’êtres humains directement menacés en 2050 et 3,3 milliards déjà concernés par le réchauffement climatique), les discours politiques et les postures toujours plus xénophobes s'avèrent être tout sauf à la hauteur des enjeux.

Le fait que la thématique « immigration et sécurité » occupe une place aussi imposante dans cette campagne présidentielle révèle sans doute une volonté pour certains candidats de s'y réfugier, à défaut d'être capables de proposer de nouvelles orientations sur les grands sujets économiques de notre époque.

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Photo d'ouverture : Andrey_Popov - @Shutterstock

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