Article élu d'intérêt général
Les lecteurs d’Élucid ont voté pour rendre cet article gratuit. Date de publication originale : 23/05/2024
« L’État dépense trop, il faut baisser la dépense publique ! ». Voilà un des slogans les plus fréquents des néolibéraux. Pourtant, jusqu’à l’avènement du macronisme, les dépenses de l’État n’ont guère augmenté, ce sont au contraire les recettes qui se sont effondrées. Les dépenses au bénéfice des entreprises et des plus riches ont en revanche fortement augmenté, avec pour conséquence la chute des dépenses de fonctionnement des services publics. Au final, cette mauvaise gestion de l'État a entraîné une multiplication des déficits, et donc de l'endettement. Et la situation s’est nettement aggravée depuis l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron. On vous explique tout !
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1- La clochardisation mathématique de nos services publics
2- Les « 3 % » : une invention de la propagande française
3- Budget 2023 : un trou de 8 milliards d'euros
4- Un budget 2024 fantaisiste
5- Qui veut tuer son État l'accuse d'avoir la rage
6- La France parmi les cancres budgétaires d'Europe
Ce qu'il faut retenir
Nous avons analysé dans de précédents articles l’évolution de l’ensemble des dépenses publiques en France ainsi que l’évolution des prélèvements obligatoires, pour déconstruire la propagande néolibérale habituelle selon laquelle il y aurait une anomalie française dans la gestion de son État. En réalité, la différence avec les pays voisins vient surtout du fait que la France a choisi de mutualiser via la Sécurité sociale des dépenses qui existent dans d’autres pays, mais qui relèvent là-bas des assurances privées. Et comme la population vieillit de plus en plus, ces dépenses publiques ici, privées ailleurs, augmentent sans cesse.
Aujourd'hui, nous allons nous intéresser plus spécifiquement aux finances de l’État. Soulignons qu’il n’existe étonnamment aucune série publique détaillée et homogène sur longue période du budget de l’État. Nous les avons donc reconstituées à partir de différentes archives, sans pour autant prétendre obtenir un résultat parfait – mais il est largement suffisant pour comprendre l’essentiel aujourd’hui.
La clochardisation mathématique de nos services publics
La comptabilité publique permet de distinguer deux grands types de dépenses publiques :
- les transferts financiers, qui correspondent à une simple redistribution immédiate des impôts récoltés. Ce sont des espèces de « chèques » immédiatement signés par les administrations et distribués sans contrepartie directe. Ils correspondent par exemple aux dépenses de retraite, de remboursement de santé, de chômage, de subventions aux entreprises, d’aides au logement ou à l’énergie, etc. ;
- les dépenses d’administration, qui correspondent aux dépenses de fonctionnement (paiement de fonctionnaires, achat de matériel…) et d’investissement (constructions de routes, d’hôpitaux…). Ce sont en fait plutôt à elles qu’on se réfère quand on pense à la notion de « dépenses publiques », « d’administration » voire de « bureaucratie ».
Les dépenses de l’État sont constituées aux deux tiers de transferts financiers, qui n’ont eu de cesse d’augmenter, essentiellement sous la forme de prestations sociales et de subventions : l’argent payé est reversé aux contribuables, qui en bénéficient soit immédiatement (remboursements médicaux, subvention aux entreprises, aides au logement, bouclier énergie…), soit de manière différée (retraite, chômage, invalidité…). Les dépenses d’administration, elles, ne cessent de diminuer depuis 35 ans : il ne faut pas chercher plus loin les raisons de la clochardisation de plus en plus avancée des services publics.
Les services publics sacrifiés au profit d’aides colossales aux entreprises
Le néolibéralisme a transformé l’État en une vaste pompe aspirante et refoulante, accordant de plus en plus de soutien financier aux entreprises (lire notre article dédié à ce scandale de la hausse des subventions aux entreprises) et aux particuliers (souvent les plus aisés, par exemple avec la large diminution de l’impôt sur la fortune, le fameux ISF largement supprimé après 2017).
Cela apparaît nettement si on observe le détail des dépenses publiques (dont on a déduit les simples transferts aux administrations locales). La tendance à la baisse des dépenses de l’État entre 1993 et 2007 est manifeste, suivie d’une relative stabilité après la crise jusqu’en 2016. Les dépenses n’ont alors pratiquement pas cessé d’augmenter depuis l’élection d’Emmanuel Macron – mais les dépenses de personnel et d’investissement n’ont quant à elles fait que diminuer au fil des années.
C’est le poste des subventions qui a explosé, depuis que Macron a été nommé ministre de l’Économie en 2014 : ces subventions, essentiellement aux entreprises, frôlent actuellement les 60 Md€ par an, ce qui représente environ 4 fois leur niveau de 2013. Cela représente aussi près de 45 % du total des salaires de tous les fonctionnaires d’État.
Ces hausses massives de subventions n’ont généralement eu qu’une efficacité économique limitée. Elles ont certes joué un large rôle dans la baisse du chômage ; mais si le chômage a baissé quand les subventions sont arrivées, il risque fort de repartir à la hausse quand ces subventions vont cesser, faute de marges de manœuvre budgétaires.
Par ailleurs, si ces subventions sont bien identifiées dans le budget par la comptabilité nationale, elles ne correspondent qu’à une petite partie des aides publiques versées aux entreprises ; s’y ajoutent par exemple les larges réductions de charges sociales ou des crédits d’impôt. France Stratégie les a chiffrées à près de 153 Md€ en 2019 – sans même compter les 11 Md€ de participations et de prêts divers.
Une étude de l’université de Lille a chiffré leur évolution dans le temps. Si elles représentaient environ 2,5 % du PIB en 1980, elles ont peu augmenté jusqu’en 2005. La crise de 2008 les a évidemment fait augmenter, avant de revenir à 4,5 % du PIB. Mais les politiques appliquées par Macron depuis 2014 les ont propulsées à près de 6,5 % du PIB.
Cela représente en 2019 le montant presque inimaginable de près de 160 Md€ !
Il faut bien mesurer ce qu’a représenté cette hausse phénoménale de 4 points de PIB supplémentaires d’aides aux entreprises chaque année depuis l’an 2000 : c’est un soutien massif, qui n’a pas été financé par des impôts, mais essentiellement par de la dette. Et ce pour une utilisation qui ne permet aucune « amélioration » de notre économie, mais qui l’empêche simplement de passer en récession.
Il s’agit évidemment d’une très mauvaise gestion des deniers publics français, et d’une politique clairement non durable. Le macronisme est actuellement sous pression pour réduire les déficits monstrueux que sa gestion calamiteuse a créés – et il n’a pas le choix que de changer de politique. Les années à venir vont voir le déficit se réduire, mais probablement aussi l’activité économique que ce dernier soutenait.
Le macronisme a ainsi eu le même effet que la crise de 2008, sauf que rien ne justifiait ces politiques, mis à part la captation de l’État par le néolibéralisme pour le mettre au service des patrimoines, des actionnaires et des ménages les plus aisés.
Le problème, c'est que ces décisions ont par nature induit une forte hausse de certaines dépenses de l’État, alors que les gouvernements avaient fait de leur baisse le cœur de leurs discours politiques. En conséquence, pour ne pas trop augmenter le total des dépenses, les gouvernements ont délibérément choisi de couper dans leurs dépenses de fonctionnement et d’investissement, d’où la dégradation progressive de tous nos services publics.
Les dépenses au plus haut
Les 5 principales missions de l’État en 2022 concernaient la protection sociale (essentiellement sous la forme des compensations des allégements de charges sociales), l’enseignement, les interventions de soutien à l’économie et à l’emploi, le budget de fonctionnement et enfin l’énergie et les transports (en raison des différents boucliers énergétiques). 3 des 5 premières missions étaient donc largement consacrées à des aides publiques aux entreprises, LA véritable priorité de notre actuel gouvernement, contrairement aux beaux discours que tout le monde peut entendre.
Depuis 2009, les budgets de la plupart des missions apparaissent relativement stables, à l’exception des intérêts de la dette publique qui ont nettement baissé en raison de la baisse des taux depuis 2012.
Ceci a donné quelques marges de manœuvre qui ont été investies non pas dans la réduction de la dette, mais dans de nouvelles aides aux entreprises, en particulier dans les missions de soutien à l’économie.
Les recettes au plus bas
C’est cependant au niveau des recettes que l’inconséquence macroniste de la gestion de l’État apparaît le mieux. Alors que le déficit n’a cessé d’augmenter, alors que la dette est devenue un problème de plus en plus inquiétant, les recettes de l’État n’ont pas cessé de diminuer, et en premier lieu les impôts sur la production payés par les entreprises. C’est un des cœurs de la politique de Macron : baisser les impôts des plus riches et baisser les impôts des entreprises, donc in fine des actionnaires.
Alors que l’État levait encore l’équivalent de 18 % du PIB en impôts en 1985, il n’en lève plus que 13 % en 2022. Et ce alors que les dépenses n’ont guère diminué et qu'elles se situent à 19 % du PIB. Cette baisse historique de 5 points de PIB a été obtenue en diminuant les impôts sur la production, au grand bénéfice des entreprises.
Rappelons cependant que ces fortes baisses d’impôts ne concernent que l’État : au global, les impôts ont bel et bien augmenté en raison des besoins de Sécurité sociale dus au vieillissement de la population (retraite en particulier). Mais pour éviter d’augmenter les impôts au rythme des besoins liés à la formidable hausse de l’espérance de vie, les dirigeants politiques ont choisi de déshabiller l’État pour habiller la Sécu. D’où les problèmes actuels des services publics.
Un déficit incommensurable
Sur longue période, la baisse des recettes conjuguée à la stagnation voire la hausse des dépenses est manifeste. Conséquence logique de cette mauvaise gestion croissante, le budget de l’État n’est plus en équilibre depuis 1977.
Le déficit n’a fait qu’augmenter de plus en plus, au rythme de la baisse des recettes et des crises majeures qui ont propulsé les dépenses et le déficit à des niveaux historiques.
Le déficit a atteint 190 Md€ de 2023, et il dépasse toujours les 160 Md€ aujourd'hui. Pour situer, cela correspond au prix de 10 porte-avions. On peut aussi le comparer au fameux scandale des pertes du Crédit lyonnais dans les années 1990 : il avait perdu 15 Md€ à l'époque, soit le niveau du déficit de l’État pour un seul mois de 2023...
« Les 3 % de déficit » : une invention de la propagande gouvernementale française
On parle souvent du « critère de Maastricht sur la limitation du déficit à 3 % ». C’est en effet une des conditions pour faire partie de l’euro, dont on a tant parlé en 1992. Cette condition n’a pourtant presque jamais été respectée depuis 20 ans (4 fois seulement dont 3 dans les années 2000, et le record est à -2,1 % qui ne permet évidemment pas de réduire l’endettement).
Il faut cependant bien comprendre que cette notion de « 3 % » est un élément de propagande visant à dissimuler les sommes énormes en jeu. « 3 % », c’est un tout petit chiffre après tout. Le souci, c'est qu’il se réfère au ratio entre le déficit de l’État et le PIB du pays, et nullement à un ratio de deux données concernant l’État, ce qui est trompeur. Un peu comme si vous vouliez rassurer votre banquier en lui disant qu’après tout, votre découvert ce mois-ci n’est que de 0,0000000001 % du PIB…
Il est beaucoup plus logique de faire le ratio entre le déficit et les recettes de l’État pour bien apprécier la gestion calamiteuse de ce dernier. En effet, depuis 20 ans, le gouvernement dépense entre 120 € et 145 € à chaque fois qu’il encaisse 100 € d’impôt.
Ceci implique donc que l’État doit emprunter tous les ans 20 à 45 € pour chaque levée de 100 € d’impôts (ce qui génère entre 0,6 et 1,4 € de plus à payer tous les ans en intérêts, soit 21 à 47 € cumulés rien qu’au bout de 35 ans au taux actuel !). Dit autrement, l’État s’engage, un jour, à lever ces 20 à 45 € d’impôts pour rembourser sa dette qu’il a créé en une année. Ce qui est évidemment impossible. Les prêteurs devraient donc avoir de moins en moins confiance, mais ils ne se rendent pas compte de la gravité de la situation.
Comme le rappelle le haut fonctionnaire Guy Abeille, c’est lui-même (et donc la France) qui a « inventé » ce « critère de 3 % » en 1982. Mais il ne répondait alors à aucune logique économique, c’était simplement un artifice de propagande pour ne plus discuter de la valeur du déficit en francs, car celui-ci allait dépasser pour la première fois les 100 milliards de francs, soit ce qui était à l’époque considéré comme « la dernière frontière que nous sommes capables de concevoir (autre qu'en temps de guerre) à l'aune des déficits d'où nous venons et qui ont forgé notre horizon ». 100 milliards de francs en 1982 représentent moins de 40 Md€ en 2023. Le déficit 2023 représente donc 4,5 fois le déficit inimaginable « hors temps de guerre » de 1982…
Comment stabiliser la dette ?
Dernier point sur le critère de 3 %. Ce n’est pas une mauvaise cible en soi. L'objectif était simplement de garder le ratio Dette/PIB constant. Pour cela, il faut que le niveau de déficit fasse que l’évolution en valeur de la dette soit égale à celle du PIB. Et le PIB évolue approximativement comme la somme du taux d’inflation (i) et de la fameuse « croissance » en volume du PIB (c). Mathématiquement, on calcule qu’il existe bien un déficit de stabilisation du ratio Dette/PIB, qui vaut « (c+i) x (Dette/PIB) ». Dans les années 1990, l’inflation cible était à 2 %, la croissance à 3 % et le ratio Dette/PIB à 60 % : on aboutit alors au fameux 3 % (= 5 % * 60 %). C’est bien comme cela qu’on a défini en 1992 ce fameux « critère de 3 % ».
Cependant, comme la dette atteint aujourd’hui 110 % du PIB, contre 60 % selon un autre critère de Maastricht, ce critère de 3 % a lamentablement échoué. Mais pour une raison très simple : pour être efficace, ce critère doit être respecté en moyenne. Or, ce niveau de déficit est immédiatement devenu une cible annuelle. Mais si on est à 3 % quand tout va bien, il est évident qu’on sera à 5 ou 6 % quand tout ira mal, et que la moyenne sera bien supérieure à 3 %. Depuis 2017, la moyenne du déficit de l’État est de 4,6 % ; depuis 2010 c’est 4,4 % et depuis 2000, 3,9 %. C’est la raison de l’échec à stabiliser la dette.
Actuellement, avec un ratio Dette/PIB de 110 %, une croissance de 1 % et une inflation de 2 %, le déficit de stabilisation est toujours proche de 3 %. Mais pour diminuer la dette, il faudrait avoir un déficit d’environ 2 % en moyenne, donc de 0 à 1 % les années sans grosse crise – comme actuellement. Pour mémoire, les prévisions font état de déficits de plus de 5 % en 2024 et 2025. Les finances de l’État ne sont donc clairement plus maitrisées.
Apprenez vous aussi à élaborer des budgets calamiteux
Pour mieux comprendre les lourds problèmes de gestion des finances de l’État, il suffit d’observer le Budget 2024 qui a été voté imposé par 49-3 en décembre 2023. Il se résume assez simplement : 312 milliards de recettes, 459 milliards de dépenses, d’où un déficit de 147 milliards, soit 47 % des recettes. Ne tentez surtout pas ce genre de cascade financière avec propre budget mensuel !
Mais il y a bien mieux lorsque l’on essaie de comprendre la façon dont ont été construits les budgets 2023 et 2024, à partir de prévisions initiales dont le devenir rend la situation plus que comique… Mettons-nous pour cela à la place de Bruno Le Maire au ministère des Finances à Bercy.
Pour mémoire, le budget initial 2022, voté donc fin 2021, aboutissait à un déficit de 154 Md€. C’était un déficit gargantuesque, et qui ne se justifiait pas, vu que la crise du Covid était alors clairement terminée. Pour mémoire, 3 % du PIB 2022 représentait un déficit cible maximum de 79 Md€. Le gouvernement ciblait donc un déficit de près de 6 % du PIB, soit le double.
La guerre d’Ukraine est alors survenue début 2022, ainsi que la crise inflationniste. Le gouvernement a alors, à raison, soutenu l’économie pendant cette grave crise : les dépenses ont été augmentées de 12 %, soit près de 50 Md€ de plus (pour le bouclier énergétique, les augmentations de salaire des fonctionnaires, etc.). Comme les recettes ont également très fortement augmenté de 50 Md€, le déficit est finalement resté stable à 151 Md€.
Cette forte hausse des impôts (+ 20 % !) est directement liée à l’inflation pour une part (hausse de TVA et d’impôt sur le revenu), aux surprofits des entreprises profiteuses de crise (22 Md€ d’impôt sur les sociétés de plus que prévu, soit + 55 % !) et aux « aides du plan de relance de l’Union européenne ». Rappelons que ces « aides européennes » sont également de la propagande, puisque ce ne sont en rien de vraies recettes, mais de simples avances sur les impôts qu’il faudra payer plus tard à l’UE. Et comme ils coûteront au pays bien plus que les sommes perçues en retour, il aurait mieux fallu que l’État les emprunte lui-même.
Budget 2023 : un trou de 8 milliards d'euros
Fin 2022, la crise est relativement sous contrôle, et le gouvernement prépare donc le Budget 2023. Il base son budget sur une hypothèse d’inflation de 4,3 % et une hypothèse de croissance du PIB de 4,6 % en valeur (et 1,0 % en volume, c’est-à-dire l’évolution en valeur moins l’inflation du PIB).
Il prévoit une hausse des recettes de 2,5 % (+ 7 Md€, correspondant à une baisse des recettes de 2 % en volume) et décide une hausse des dépenses de l’État de 4,7 % (c’est-à-dire une stagnation en volume malgré les 20 Md€ de plus, le gouvernement a choisi de ne pas diminuer son soutien à l’économie).
L’économie est alors en plein freinage à cause des chocs énergétique et inflationniste, le gouvernement anticipe bien une division par 3 de la croissance, mais il estime très étrangement que les recettes vont quand même augmenter en valeur (avec une simple baisse en volume de 2 points, et ce par rapport à une année de bénéfices très élevés). Cela semble très optimiste et, malgré ceci, le gouvernement fait voter un déficit en nette augmentation à 165 Md€.
Comme le montre le graphique ci-dessous, la réalité a été beaucoup plus cruelle : les impôts se sont écroulés, baissant de 2,5 % (au lieu d’augmenter de 2,5 % comme annoncé) et près de 8 Md€ ont manqué à l’appel ! Pour situer, cette somme représente près de 3 fois l’Impôt Sur la Fortune supprimé par Macron ou la moitié de l’ancienne taxe d’habitation – il s’agit donc de montants colossaux.
Mais en bons gestionnaires irresponsables, Macron et le Maire ont choisi de ne pas diminuer les dépenses prévues ni d’augmenter les impôts. Les 8 Md€ de recettes en moins se sont donc transformés en 8 Md€ de déficit de plus, et 2023 s'est conclu par un déficit quasiment record de 173 Md€. C’était pour mémoire 178 Md€ en 2020 et 171 Md€ en 2021, des montants qui pouvaient s’expliquer en partie par les confinements et l’arrêt de l’économie. Or cette situation était totalement inexistante en 2023, ce qui rend donc ce gouffre budgétaire injustifiable économiquement.
Un budget 2024 fantaisiste
Fin 2023, la crise énergétique est terminée et la crise inflationniste est sous contrôle ; le gouvernement prépare donc le Budget 2024. Il base son budget sur une hypothèse d’inflation de 2,5 % et une hypothèse de croissance du PIB de 4,0 % en valeur (et 1,4 % en volume), ce qui est un peu optimiste pour la croissance. Il vient de gravement échouer à tenir le déficit 2023, et craint fortement une dégradation de la note de la France par les agences de notation. Mais cela ne l’incite nullement à la plus grande prudence pour son budget 2024.
Le gouvernement a en effet décidé une baisse des dépenses de l’État de -0,3 % (c’est-à-dire une baisse de 4 % des dépenses en volume ; 20 Md€ environ vont manquer par rapport à 2023, soit près d’1 point de PIB). Pourquoi pas, il avait dépensé sans compter en 2022 et 2023. Mais ce qui est assez incroyable, c’est qu’il prévoit dans le même temps une hausse des recettes d’environ 9 % (+ 25 Md€, soit une hausse des recettes de 5 % en volume).
Cette situation appelle deux grandes remarques, qui ont été largement passées sous silence dans les grands médias.
La première concerne cette hausse faramineuse des impôts de 5 % en volume, soit 25 Md€ de plus qui se répartissent en +5 Md€ de TVA, +5 Md€ d’impôt sur le revenu et surtout +15 Md€ d’impôt sur les sociétés de plus (soit +15 %). C’est ce dernier impôt qui est censé apporter la majeure partie des recettes supplémentaires, car c’est finalement le symbole du macronisme fiscal.
En effet, la politique de Macron vise à enrichir sans cesse les entreprises en augmentant leurs profits, ce qui augmente aussi les recettes de l’impôt sur les sociétés (dont Macron diminue pourtant régulièrement le taux). Ces 72 Md€ d’IS espérés en 2024 sont à comparer aux 28 Md€ de 2018 et 32 Md€ de 2019. Cette augmentation est manifeste si on représente, ce qui est rarement fait, l’évolution du bénéfice taxable des entreprises françaises.
L’impact du macronisme est très clair : le bénéfice des entreprises atteint des niveaux inconnus depuis au moins des décennies, explosant le record de 2007 qui avait été le prélude à la crise de 2008. Cet indicateur est d’ailleurs sans doute prédictif de crise, quand les entreprises réalisent des profits trop importants, obligeant la masse des salariés à moins consommer et à s’endetter. En tout cas, on voit bien à qui profite la politique macroniste – et ce n’est clairement pas au pouvoir d’achat des salariés !
La deuxième remarque est liée au profil « McKinsey » des gestionnaires actuels de Bercy. Ce profil est déjà néfaste dans les entreprises. On connait la figure du PDG « cost-killer », qui coupe dans toutes les dépenses possibles pour augmenter rapidement le résultat. C’est comme cela que les salariés se retrouvent moitié en télétravail et moitié en banlieue sans bureau fixe à essayer de faire tourner une entreprise sans investissements informatiques. C’est évidemment mauvais à long terme pour l’entreprise – une telle gestion à courte vue et à la portée de n’importe qui. Mais à court terme, ça marche, car le fait que l’entreprise compresse ses dépenses n’a alors pratiquement aucun impact sur ses ventes.
Mais il n’en va pas de même de l’État, qui est un acteur majeur de l’économie française. S’il dépense moins (tout en prélevant au moins autant d’impôts), il va ralentir l’économie. C’est logique, puisqu’il est intervenu quand ça allait mal, justement pour booster l’économie en dépensant plus. Mais en retour, ce ralentissement économique va évidemment diminuer les recettes fiscales. Diminuer les dépenses, c’est toujours diminuer le PIB, quelle que soit la structure ; mais quand c’est l’État qui le fait fortement, l’impact s’en ressent toujours au niveau national. Bref, il y a un net lien de dépense entre l’évolution du PIB et celle du budget de l’État, pour des raisons volontaires (politiques, pour soutenir l’économie) et involontaires (impact récessif d’une baisse des dépenses).
On ne peut donc être que pantois quand le ministre des Finances explique sans tiquer qu’il va diminuer de 4 % les dépenses en volume de l’État (soit 1 point de PIB), tout en s’attendant à percevoir 5 % de recettes en plus en volume.
Et ça n’a pas loupé : dès le mois de mars 2024, le gouvernement a constaté que les recettes de la fin 2023 rentraient mal, en raison du ralentissement marqué de l’économie. Le ministre du Budget, Thomas Cazenave, a alors déclaré :
« On a constaté en fin d'année, notamment dans les recettes fiscales, l'impôt sur les sociétés, l'impôt sur le revenu, la TVA, une forte baisse. On a perdu en fin d'année près de 8 milliards d'euros de recettes. […] C'est difficile à prévoir, les recettes. » [Thomas Cazenave, BFM, 07/03/24]
Alors, certes, « c'est difficile à prévoir, les recettes », mais il est quand même plus facile d’imaginer qu’elles ne vont pas exploser alors que l’économie tourne au ralenti.
Il est évident que les prévisions du Budget 2024, dont l’encre est à peine sèche, ne pourront pas être tenues. Dès lors, la logique démocratique consisterait à se rendre devant le Parlement pour faire voter une loi de finances rectificative pour adapter le budget. C’est ce qu’a proposé Bruno Le Maire, mais Macron a tout simplement refusé.
Et la justification du Président illustre bien le problème :
« J’entends parler de projet de loi de finances rectificatives. Je n’en vois pas l’intérêt. Le gouvernement doit faire les choses avec sérieux pour tenir nos objectifs. Nous n’avons pas un problème de dépenses excessives, mais un problème de moindres recettes. Dans les prochains jours, chacun sera responsabilisé sur ses propres dépenses. Il ne faut pas que ça soit la foire à la saucisse. Il faut le calme des vieilles troupes. » [Emmanuel Macron cité par Le Figaro, 08/04/2024]
Le budget voté ne peut pas être tenu, mais comme ce n’est pas à cause de « dépenses excessives », mais de « moindres recettes », tout cela ne serait pas grave – cette argumentation est tout simplement ridicule. Le gouvernement a alors annoncé en février qu’il revoyait sa prévision de croissance pour 2024 de 1,4 % à 1 %, ainsi qu'un plan massif de réduction de dépenses avec « un effort immédiat de 10 milliards d’euros d’économie ». Encore un nouvel exemple de l’incapacité de Macron à gérer correctement et démocratiquement les finances de l’État.
Qui veut tuer son État l’accuse d'avoir la rage
Les néolibéraux appellent sans cesse à des réductions massives de dépenses publiques pour réduire le déficit, mais il faut bien comprendre que, comme ces dernières ne s’accompagnent évidemment pas de réductions de recettes équivalentes (dont on pourrait discuter des effets positifs si elles existaient) sinon le déficit ne se réduirait pas, cette politique n’a que des effets négatifs à court terme : 10 Md€ de dépenses publiques en moins, c’est pratiquement 10 Md€ de PIB en moins, et c’est tout, il n’y a aucun effet positif pour compenser.
Le gouvernement vient donc de retenir une prévision de croissance de 1 % pour 2024, sachant que les estimations vont de 0,6 % à l’OCDE à 1 % pour le FMI ; la Banque de France prévoit 0,9 % tandis qu’un consensus d’économistes interrogés par l’agence Bloomberg s’attend à 0,7 %. Au vu des dérapages continuels et des incertitudes, on voit qu’un bon gestionnaire aurait sans doute retenu 0,6 % ou 0,7 %. Et ceci ne tient pas compte des 10 Md€ d’économies annoncées, qui représentent près de 0,4 point de PIB en moins.
Lorsque le Gouvernement dispose d’estimations de croissance de 0,6 % à 1,0 %, il retient 1,0 %. C’est en fait une politique constante en France de bâtir les budgets avec les hypothèses les plus optimistes – hypothèses très rarement confirmées, comme on le voit année après année. On observe sur le graphe suivant que la croissance réelle (en rouge) est quasiment toujours inférieure aux prévisions du gouvernement (sans même parler des périodes de crise).
En conséquence, les recettes sont quasiment toujours inférieures aux prévisions, et donc le déficit public est quasiment toujours supérieur aux prévisions du gouvernement.
La France parmi les cancres budgétaires d’Europe
Comme Emmanuel Macron est un adorateur de l’Union européenne, il est assez logique de le juger à l’aune d’une simple comparaison des déficits en Europe. Il ressort qu’en 2023, la France se classe royalement à la 24e place sur 27, jute devant la Roumanie, la Hongrie et l’Italie, 3 pays qui subissent beaucoup plus fortement le choc énergétique de la guerre d’Ukraine.
Si on analyse depuis 2010 les finances de l’État des grands pays européens, la France fait pâle figure. L’Allemagne et les Pays-Bas ont une gestion vraiment saine (mais ces pays profitent largement de l’euro au détriment des pays du sud). La France est nettement derrière l’Espagne ou la Belgique et remporte certainement le bonnet d’âne de la gestion publique en Europe.
En moyenne, l’Italie a certes fait un peu moins bien que la France (depuis 2019 seulement), mais elle a des circonstances atténuantes (économie pénalisée par l’euro, dette plus lourde, etc.).
Ce qu’il faut retenir
Le macronisme, stade ultime du néolibéralisme, vise à rançonner l’État au bénéfice des entreprises et des plus aisés. Cela s’est traduit par une explosion des aides publiques aux entreprises qui atteignent 160 Md€. À ce prix, on comprend mieux que le chômage ait un peu diminué.
Ce prix n’a d’ailleurs pas été payé, mais emprunté, car si les dépenses ont augmenté, les recettes ont diminué en raison des choix du gouvernement (suppression de l’impôt sur la fortune, baisse de l’impôt sur les sociétés, etc.).
Cette politique pose de nombreux problèmes, mais le principal est sans doute que la dette augmente de plus en plus, ce qui rend sa stabilisation toujours plus compliquée, puisque son évolution dépend cruellement du niveau de la croissance, de l’inflation et des taux d’intérêt. Les perspectives sur ces points sont moroses, et la gestion de l’État (et donc de l’économie du pays) va s’avérer périlleuse dans les 15 ans à venir. Nous la surveillerons donc de très près sur Élucid.
Cette analyse graphique originale d'Olivier Berruyer pour Élucid est une mise à jour de notre suivi régulier et actualisé des grands indicateurs économiques.
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