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Nous vous recommandons de lire notre article actualisé sur Le chômage en France daté du

Il y a trois mois, le gouvernement s’était bruyamment félicité des chiffres du chômage du premier trimestre 2023 qui apparaissaient en baisse. Les grands médias avaient alors relayé sa propagande sans recul. Pourtant, enjolivée par des interventions statistiques, la reprise de l'emploi était bien moins réjouissante que ce qu’une lecture rapide des chiffres pouvait laisser penser. A contrario, un large silence médiatique a accompagné les derniers chiffres du chômage, qui révèlent néanmoins un retournement de tendance avec la plus forte hausse mensuelle depuis 7 ans. Si l'on en croit certains indicateurs, la situation de l'emploi pourrait continuer de se dégrader. Nous suivrons de près l'évolution du chômage dans les mois à venir.

publié le 07/09/2023 Par Olivier Berruyer

Rappelons tout d'abord qu’en France, il existe plusieurs manières de définir un « chômeur » et donc de mesurer le chômage. Pôle emploi distingue ainsi cinq catégories de chômeurs, à la recherche de n’importe quel type de contrat (CDI, CDD, à temps plein, à temps partiel, temporaire ou saisonnier). La catégorie la plus utilisée dans le débat public est la catégorie A, qui désigne « une personne sans emploi, à la recherche de n’importe quel type de contrat, et tenue de rechercher activement un emploi ».

Selon Pôle emploi, en juillet 2023, le nombre de chômeurs en « catégorie A » est en nette augmentation. Le nombre de chômeurs au sens large (catégories A à E) a augmenté de 0,6 %, soit 36 000 chômeurs. Le nombre d’intérimaires a quant à lui baissé de près de 5 000, ce qui confirme la baisse d’activité.

Si on observe de plus près la variation du chômage, on se rend compte que l’embellie est terminée : le chômage a stagné au deuxième trimestre, et commence à remonter au troisième.

Si l’on considère l’ensemble des catégories définies par Pôle emploi, depuis trente ans, le nombre de chômeurs en France a augmenté significativement, particulièrement depuis la crise de 2008 : il est en effet passé de 4 millions à près de 7 millions d’inscrits en 10 ans, avant de retomber au niveau actuel de plus de 6 millions.

La seule « Catégorie A » – dont on parle généralement dans les médias – comptabilise toujours 3 millions de chômeurs.

Manipulations statistiques

Ces chiffres posent cependant différents problèmes statistiques. Le plus important saute aux yeux. Depuis 2004, un phénomène pernicieux s'est développé : on observe une forte décorrélation entre le nombre de chômeurs en Catégorie A – c’est-à-dire des « personnes sans emploi récent qui en recherchent un » – et celui des chômeurs selon la définition du BIT (Bureau International du Travail) qui est utilisée pour les comparaisons internationales, et qui est sans cesse mis en avant par le gouvernement.

Jusqu’alors, le chiffre du BIT était très stable et représentait 80 % des chômeurs de catégorie A. Mais ces 15 dernières années, il a fortement fluctué, et est passé de 100 % à 73 %, ce qui fausse évidemment la lecture des chiffres du chômage.

Le BIT définit de façon plus restrictive les chômeurs comme des « personnes sans emploi, disponibles pour en accepter un rapidement ». Concrètement, ni les chômeurs en formation ou en maladie, ni les chômeurs proches de la retraite ne recherchant pas activement un travail, ne sont considérés comme chômeurs par le BIT.

Le BIT classe d’ailleurs la plupart de ces chômeurs dans ce qu’il appelle le « halo du chômage », c’est-à-dire des quasi-chômeurs, mais ce chiffre ne nous est quasiment jamais présenté par les grands médias. Il a pourtant augmenté ces dernières années. On constate également que le nombre de chômeurs découragés (par exemple un chômeur de 61 ans qui n’a pas de droits à indemnisation, et va donc cesser de chercher du travail) a fortement augmenté depuis 2020, compensant partiellement la baisse du chômage.

Si on observe l’évolution des chômeurs, des quasi-chômeurs et des découragés, on remarque qu’il est globalement stable en moyenne depuis 2014, un peu en dessous de 4 millions de personnes. La réalité est donc bien loin de « l’objectif de plein emploi » que ne cesse d’agiter le gouvernement.

Dans les faits, l’évolution très favorable du taux de chômage « façon BIT » – que les médias présentent comme une réussite gouvernementale – n’a pas été suivie par une baisse aussi forte du taux de chômage « façon Pôle emploi ». Un nombre croissant d'inscrits en catégorie A ne sont plus comptabilisés par la définition du chômage au sens du BIT.

Ainsi, en 2017, 44 % des inscrits en catégorie A à Pôle emploi n’étaient pas considérés comme chômeurs au sens du BIT. Ceci est en particulier lié aux politiques visant à pousser les chômeurs vers des formations, et au vieillissement de la population active qui a multiplié les séniors sans emploi.

Exemple des différences de comptabilisation entre le BIT (« Chômage BIT = 2,6 M) et Pôle emploi (« CAT A » = 2,7 M)

Il n’est donc pas surprenant que nos dirigeants politiques préfèrent communiquer le taux de chômage du BIT, bien moins élevé, puisqu'il ne comptabilise pas une grande partie des chômeurs situés dans le halo du chômage ou considérés comme « inactifs ».

Le second problème statistique s’observe en 2022, avec une baisse du nombre de chômeurs en catégorie A qui ne correspond en rien à une baisse du chômage au sens du BIT. Ce phénomène est simplement lié à un retraitement statistique opéré par Pôle emploi, qui a basculé des dizaines de milliers de chômeurs de la Catégorie A, très scrutée, vers d’autres catégories, sans aucun impact sur le total des inscrits à Pôle emploi. Et cela génère des discordances étonnantes entre les catégories. Ainsi, depuis 2021, le nombre d’inscrits en catégorie A a beaucoup baissé, mais pas celui en catégories B et C, qui sont pourtant proches (ce sont des chômeurs ayant plus ou moins travaillé au cours du mois).

Ces discordances s’observent bien en analysant l'évolution en nombre des catégories de chômeurs au fil des mois, surtout depuis mi-2022. Elles deviennent même flagrantes lorsque l'on compare avec les périodes précédentes de forte baisse du chômage, en 2000 ou 2007. À l’époque, les catégories A, B et C baissaient bien ensemble. Or, en 2022, elles avaient des tendances opposées. Ce phénomène pourrait possiblement être un signe d'une plus grande précarisation de l’emploi en France. Quoi qu'il en soit, ces discordances ont cessé en 2023, et les chiffres de juillet font craindre une nette dégradation du chômage dans les mois à venir.

Une baisse « pas si historique »

Ces manipulations statistiques posent un vrai problème, car l’Insee utilise cette définition restreinte du BIT pour calculer le taux de chômage, que la plupart des médias et des dirigeants politiques reprennent. Au printemps dernier, le président Macron et la majorité se sont ainsi vantés que le « niveau du chômage » était au plus bas depuis 40 ans, et que le « plein emploi est atteignable, plus proche que jamais ».

Source : Twitter

Après, tout consiste à savoir quelle définition on donne au mot « chômage ». Si on considère le seul « taux de chômage au sens du BIT », qui a atteint 7,1 % au 1er trimestre 2023, après 7,2 % fin 2022, c’était alors vrai : il n’avait plus été atteint depuis 1982.

Il faut quand même avoir une certaine vision de la parole publique pour oser parler de « plein-emploi » quand 6 millions de personnes sont toujours inscrites à Pôle emploi, dont 3 millions en Catégorie A.

Si l'on souhaite corriger les imperfections de la méthode du BIT liées à la hausse de la proportion de chômeurs très âgés, il suffit simplement de se baser sur les chiffres de Pôle emploi. Avec la seule Catégorie A, le taux de chômage n’est alors plus de 7 %, mais plutôt de 10 %. Et si l'on prend tous les inscrits à Pôle emploi, on dépasse les 20 % ! 

Au final, le niveau de chômage — qu’il soit mesuré par Pôle emploi ou le BIT — est donc assez proche du niveau enregistré à la veille de la crise de 2008. Nous vous renvoyons à notre récente chronique vidéo où nous avons démonté la propagande gouvernementale au sujet du chômage.

D’ailleurs, au second semestre 2023, le taux de chômage est revenu à 7,2 % - et la propagande du « au plus bas depuis 40 ans » a disparu, tout comme les promesses de « plein-emploi »...

La fin d’une baisse historique des entrées à Pôle emploi

Beaucoup d'indices montrent que le gouvernement a mis une énorme pression pour forcer les chiffres du chômage à atteindre ce bas niveau – le quotidien La Marseillaise a par exemple publié des témoignages édifiants.

Sur longue période, les entrées mensuelles à Pôle emploi sont passées de 400 000 en 1996 à 550 000 début 2023. Les motifs d’entrées (démissions, recherches de premier emploi, fins de contrat d’intérim ou de CDD…) n’ont pas varié dans de grandes proportions ces 25 dernières années. La baisse du chômage depuis 2021 a été le résultat d’une forte baisse des entrées, et d’une relative stabilité des sorties. Ce phénomène positif semble s’être terminé en juillet 2023.

On comprend mieux l’origine de cette baisse des entrées en observant le taux d’emplois vacants, c’est-à-dire la proportion d’emplois (nouvellement créées, inoccupés ou occupés) pour lesquels des démarches actives sont entreprises pour trouver le candidat convenable. Il saute aux yeux que la situation est exceptionnelle : ce taux est près de 5 fois supérieur à sa moyenne 2003-2013. Près de 2,5 % des emplois sont vacants, soit 360 000, essentiellement en raison de difficultés à trouver un remplaçant.

Après la crise du Covid, au vu des difficultés de recrutement, de très nombreuses entreprises ont préféré ne pas se séparer d’employés, de crainte de ne pouvoir en retrouver à court ou moyen terme. C’est cela qui explique que les entrées à Pôle emploi sont tombées à un très bas niveau en 2021, ce qui a mathématiquement beaucoup joué dans la baisse du chômage. Mais on observe bien que ce phénomène est désormais terminé. La question qui se pose désormais est donc : combien de ces postes excédentaires les entreprises vont-elles garder à moyen terme ?

Tout comme le nombre d’entrées, le nombre de sorties de Pôle emploi a également progressé depuis 1996, passant de 350 000 à 560 000 actuellement.

On note une forte augmentation de la part des défauts d’actualisation dans le nombre de sorties : elles représentaient 90 000 personnes en 1996, soit moins de 30 % des sorties, contre 250 000 mi 2023, soit 45 % des sorties.

Cette explosion historique des radiations s’accompagne d’une très brutale chute des sorties pour reprise d’emploi, qui revient à un niveau inconnu depuis 10 ans. Contrairement à la propagande gouvernementale, la situation de l’emploi, bien que longtemps en amélioration, n’est en rien radieuse.

La hausse des radiations administratives est également notable : entre 1996 et 2007, les radiations administratives de Pôle emploi ont été multipliées par 6, passant de 8 000 à 50 000 par mois. Elles fluctuent depuis entre 40 000 et 56 000 par mois, un maximum historique qu’elles viennent d’atteindre.

Cette forte augmentation des radiations et des défauts d’actualisation, même après la présidentielle 2022, confirme bien les actions menées pour embellir fictivement les chiffres du chômage, soi-disant « au plus bas depuis 40 ans ».

Un nombre d’offres d’emplois élevé, mais insuffisant face au chômage de masse

Alors qu’en 2019 le nombre d’offres d’emplois collectées par Pôle emploi chaque mois oscillait autour de 280 000, il se situe désormais autour de 350 000 en 2022 – c’est une des conséquences des problèmes actuels de recrutement.

Cependant, avec 15 fois plus de demandes que d’offres d’emploi, même si toutes ces offres étaient pourvues en un instant, il resterait toujours plusieurs millions de chômeurs en France.

Réalités statistiques

Il existe de vastes différences au niveau local : les départements du nord de la France et ceux du pourtour méditerranéen sont fortement frappés par le chômage, et plus encore ceux des Départements d'outre-mer.

Au niveau du chômage en fonction de l’âge, et compte tenu des grandes réserves précédentes sur générales sur les calculs selon les normes du BIT, on peut noter que la diminution concerne toutes les tranches d’âge, mais qu’elle a été plus prononcée chez les jeunes. Cependant, à près de 20 %, le chômage des jeunes reste un vrai problème. On note aussi une hausse non négligeable du chômage des séniors, après une longue période de baisse.

Les jeunes ne constituent cependant qu’une faible partie du nombre de chômeurs. Les séniors, également surreprésentés, en constituent une part bien plus importante.

Concernant les séniors, rappelons que leur situation est souvent très difficile : une personne de 55 à 69 ans sur six est ni en emploi ni à la retraite, la plupart n’étant pas non plus au chômage faute de droits. À 60 ans, près de 5 % des personnes sont au chômage et près de 25 % en inactivité, dont la moitié pour raison médicale.

Au niveau du chômage en fonction de la catégorie socioprofessionnelle (CSP), on peut noter que la diminution concerne toutes les CSP, mais qu’elle a été plus prononcée chez les ouvriers non qualifiés. Cependant, à plus de 15 %, leur chômage reste également un sérieux problème. On observe aussi que le taux de chômage des ouvriers qualifiés est très proche de celui des employés.

Rappelons aussi que les ouvriers et les employés représentent 45 % de la population active. Mais ces différences au niveau des taux de chômage font qu’ils représentent près de 70 % des chômeurs.

Terminons par une observation du chômage de longue durée, que nous avons étudié en détail il y a quelques mois dans cet article. Celui-ci n’a cessé d’augmenter entre 2009 et 2021. Une décrue a enfin lieu depuis 2 ans, mais elle reste insatisfaisante, le nombre de chômeurs de longue durée reste en effet identique à celui de 2015. Et le mouvement de baisse semble être désormais terminé.

Cette baisse s’est logiquement ressentie sur la durée moyenne passée au chômage. Passée en une décennie de 13 mois à 23 mois, elle vient de baisser d’à peine 2 mois.

Ceci montre bien, là encore, la fumisterie du gouvernement qui tente de nous vendre « le meilleur taux de chômage depuis 40 ans ».

Cette notion de durée moyenne au chômage de 21 mois est aussi très importante, car elle influe fortement sur l’indemnisation. Rappelons que l’indemnisation au taux de 75 % est limitée à une durée variant de 18 à 27 mois selon l’âge (+ 15 à 22 mois de fin de droits). Ceci explique une partie de la baisse de la proportion de chômeurs indemnisés.

Rappelons enfin que la baisse récente du taux d’indemnisés s’explique aussi par les réformes régressives de l’assurance chômage impulsées par le président Macron.

Le retournement se confirme

Au niveau de la tendance récente, nous annoncions au trimestre dernier que les chiffres du chômage commençaient à se retourner. Et les derniers chiffres de l’Insee confirment bien notre analyse.

Ce retournement est particulièrement flagrant au niveau du halo du chômage (les quasi-chômeurs, comme beaucoup de séniors) qui recommence à augmenter, alors que le sous-emploi stagne désormais. Il semble donc que le point bas ait été atteint et que le chômage recommence (hélas !) à augmenter en 2023-2024.

On note aussi une très étrange décorrélation entre l’évolution du chômage et du halo depuis 2016-2017 alors que précédemment, les évolutions étaient logiquement parallèles, dépendantes du climat économique. Cela confirme de nouveau que l’embellie de l’emploi de 2017-2022 était très différente des précédentes, devant plus à des actions sur les postes de travail et les travailleurs (d’où la baisse de la productivité analysée dans cet article) qu’à une réelle amélioration intrinsèque du marché.

En conclusion

Comme on le voit, l’analyse de la situation du chômage est complexe. Le chômage baisse depuis quelques années, c’est vrai. Mais il baisse moins que ce que le gouvernement prétend, et de nombreux paramètres sont bien loin « des plus bas depuis 40 ans », quand ils ne demeurent pas à des niveaux toujours historiquement hauts.

En juin, nous écrivions à propos du chômage du premier trimestre : « Il est à craindre que les prochains chiffres soient nettement plus mauvais ». Les derniers chiffres publiés semblent bien marquer un clair retournement de tendance, en raison de la dégradation du climat économique. Il est donc probable que les prochains chiffres confirment le retour à une tendance haussière du chômage.

Cette analyse graphique originale d'Olivier Berruyer pour Élucid est une mise à jour de notre suivi régulier et actualisé des grands indicateurs économiques.

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