Il aura donc fallu attendre 2024, après une année de long suspens, pour que l'agence de notation S&P décide finalement de dégrader à nouveau la note de la France, comme l’avait fait sa concurrente Fitch l’année dernière. En effet, les années passent et régulièrement, les agences de notation dégradent leur appréciation de la solidité de la dette publique française, sanction logique de son expansion continue. Bruno Le Maire s’en plaint, mais qu’espérait-il, lui qui a endetté la France de 1 000 milliards d’euros supplémentaires ? D’autres critiquent ces agences, mais elles ne sont que le thermomètre de la fièvre de l’endettement qui les anime. Le pire est que ces notations d’agences américaines sont en réalité probablement beaucoup trop élevées. Explications.

Graphe Économie
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publié le 04/06/2024 Par Olivier Berruyer
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1- Dégradation de la France : les arguments de S&P
2- La réponse de Bruno Le Maire à S&P
3- Où en sommes-nous ?
4- Les agences de notation : anges ou démons ?
5- Le privilège de l'Occident qui s'auto-note
Conclusion


Le vendredi 31 mai, tard dans la soirée afin de ne pas entraîner de réaction négative des marchés financiers, l’agence de notation Standard and Poor’s (S&P) a finalement dégradé la note de la dette publique française, comme l'avait fait sa concurrente Fitch le 1er mai 2023. C’est ennuyeux pour le gouvernement, car S&P est sans doute l’agence la plus prestigieuse et influente au monde.

Ce mouvement n’est pas nouveau : la France avait déjà perdu son fameux « triple A » (la note maximale) en 2011, son AA+ (la 2e meilleure note) en 2012, et en 2023, l’agence Fitch l’avait dégradée de AA à AA-, la dette française passant alors au 4e niveau de qualité. Standard and Poor’s vient donc de confirmer cette dégringolade.

degradation-agence-notation-dette-publique-france-figaro-historique

Les années se suivent et les dégradations se ressemblent...

Les agences de notation financières sont des entreprises dont le rôle est de donner une évaluation du risque de non-remboursement des emprunts d'une entreprise, d'une collectivité locale ou d’un État. Cela permet aux prêteurs de décider ou pas de prêter leur argent à ces emprunteurs, et surtout d’en fixer la rémunération : plus le risque de défaut est grand, plus le taux d’intérêt demandé sera élevé. Cette activité est en soi tout à fait logique et utile si elle est bien faite, ce qui n’était pas le cas avec les crédits subprimes en 2006 par exemple.

Le marché des agences est un oligopole : trois agences seulement se partagent 95 % des notations dans le monde. Il s’agit de Standard & Poor’s, Moody’s (40 % du marché chacune) et Fitch (15 % du marché). La grosse centaine d’autres agences se partagent les 5 % restants. Ces trois agences américaines utilisent un système de notation assez obscur composé de lettres et de signes + ou -, allant de AAA, la meilleure note possible, à D pour les défauts de paiement.

En 2023, ces notations ont été instrumentalisées par le gouvernement français pour justifier sa scandaleuse réforme des retraites. Mais cette tactique s’est retournée contre lui. Présentée comme « nécessaire » au maintien de la note française, la réforme des retraites a, au final, servi d’argument aux agences pour dégrader la note française :

Réalisé sans trucage...

Dégradation de la France : les arguments de S&P

Voici un résumé des raisons avancées par S&P dans son analyse de la dégradation de la note française. Cela nous donne un intéressant audit indépendant de la propagande du gouvernement Macron, et nous informe des engagements que le gouvernement a donné aux agences pour remédier à cette situation :

« Contrairement à nos attentes précédentes, nous prévoyons que la dette publique française augmentera pour atteindre environ 112 % du PIB d'ici 2027, contre environ 109 % en 2023.

Le déficit budgétaire de la France en 2023 a été nettement plus élevé que prévu, atteignant 5,5 % du PIB.

Même si nous pensons que la reprise de la croissance économique et les réformes économiques et budgétaires récemment mises en œuvre permettront à la France de réduire son déficit budgétaire, nous prévoyons désormais qu’il restera supérieur à 3 % du PIB en 2027. […]

Cela fait suite au résultat budgétaire de l'année dernière supérieur aux prévisions, avec un déficit à 5,5 % du PIB, contre 4,9 % estimé dans le projet de loi de programmation des finances publiques adopté en décembre 2023. Le dérapage budgétaire susmentionné était principalement dû à des recettes fiscales inférieures à celles budgétisées, tandis que les dépenses en pourcentage du PIB sont restées élevées (les plus élevées de l’UE et parmi les plus élevées de tous les États souverains que nous évaluons). Selon nous, le bilan de la France en matière de consolidation budgétaire au cours des dernières décennies a été médiocre. Elle n’a pas enregistré d’excédent budgétaire primaire depuis 2001. […]

Sans mesures supplémentaires de réduction du déficit budgétaire, à notre avis, les réformes ne suffiront pas à permettre au pays d’atteindre ses objectifs budgétaires. Une partie de la différence entre nos projections de déficit budgétaire pour 2024-2027 et celles du gouvernement est due à notre prévision d’une croissance économique plus faible sur cette période.

Nous prévoyons que les paiements d'intérêts de l'État français augmenteront pour atteindre 5,0 % des recettes publiques en 2027, contre 3,3 % en 2023. […]

La fragmentation politique rendra probablement quelque peu incertaine la poursuite de la mise en œuvre des politiques visant à remédier aux déséquilibres économiques et budgétaires.

Nous estimons que l'économie française connaîtra une croissance de 0,8 % en 2024. […] Les baisses progressives attendues des taux directeurs par la Banque centrale européenne (BCE) soutiendront l’investissement. Nous prévoyons que la BCE abaissera ses taux à trois reprises en 2024, à partir de juin, et procédera à trois autres réductions l’année prochaine, le taux de la facilité de dépôt étant fixé à 2,5 % fin 2025. […]

Nous prévoyons que le déficit budgétaire se réduira à 5,2 % du PIB en 2024, ce qui correspond globalement aux attentes du gouvernement de 5,1 %. Cette année, le gouvernement éliminera progressivement la plupart des mesures budgétaires temporaires destinées à atténuer l'impact négatif de la hausse des prix de l'énergie et de l'inflation sur les ménages et les entreprises. Le plafond des prix de l’électricité restera en vigueur jusqu’au début de 2025, selon la mise à jour du programme de stabilité 2024. Le gouvernement estime que le coût brut de ces mesures de soutien tombera à 8,5 milliards d'euros en 2024 (0,3 % du PIB) et à 900 millions d'euros en 2025 (0,03 % du PIB) contre 33,9 milliards d'euros en 2023 (1,2 % du PIB).

Par ailleurs, en février 2024, le gouvernement a annoncé 10 milliards d’euros de coupes dans les dépenses de l’État, réduisant ainsi les dépenses de fonctionnement des ministères et certaines enveloppes d’aides publiques, comme l’aide au développement. Le gouvernement prévoit de lancer un deuxième plan d'économies de 10 milliards d'euros dans les prochains mois, avec des efforts supplémentaires demandés aux ministères et aux collectivités locales, ainsi que d'éventuelles nouvelles taxes sur les rachats d'actions ou sur les bénéfices des entreprises énergétiques. »

La réponse de Bruno Le Maire à S&P

En réponse à la dégradation de S&P, Bruno Le Maire a accordé une interview au Parisien où il a déclaré les proposes suivants :

« Il n’y aura pas d’impact sur le quotidien des Français […]. Notre stratégie reste la même : réindustrialiser, atteindre le plein-emploi et tenir notre trajectoire pour revenir sous les 3 % de déficit en 2027. […] La raison principale de cette dégradation, c’est que nous avons sauvé l’économie française. »

Évidemment, la moquerie est totale vu que le pays reste désindustrialisé, que 6 millions de personnes sont inscrites à France Travail, et que le gouvernement n’a eu de cesse que de creuser les déficits.

Le ministre de l’Économie a également déclaré que « l'augmentation des impôts ne fait pas partie de la palette des options. Nous voulons réduire la dépense publique là où elle est la moins efficace et la moins juste ». Et de poursuivre : « Il y aura plus d'argent pour ceux qui travaillent sous une forme ou une autre : baisse d'impôts, moins de charges. On regardera ça avec le Premier ministre Gabriel Attal, mais c'est le cœur de ma politique économique : ceux qui travaillent doivent vivre mieux ».

On rétorquera pour commencer que « le cœur de sa politique économique » n’a pas été « ceux qui travaillent », mais bien les retraités qui ne travaillent pas, vu que c’est son électorat.

Le Maire veut donc se concentrer sur la réduction « des dépenses publiques », qu’il a lui-même fait exploser. Mais réduire les dépenses sans réduire les impôts (ce qui n’est pas possible si on veut réduire le déficit) n’a qu’une seule conséquence : réduire le PIB de quasiment le même montant. Ce qui a pour effet de réduire les recettes, et donc de contrarier l’objectif de réduire le déficit...

Enfin, malgré les gigantesques déficits de 2023 et 2024, Bruno Le Maire persiste à dire qu’il ne va pas augmenter les impôts, alors qu’il a prévu de les augmenter fortement en 2024, comme nous l’avons vu dans notre article consacré au budget de l’État et au déficit public en France.

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Assurément, l'un des critères d’embauche fondamentaux en Macronie est donc la capacité à raconter strictement n’importe quoi avec la plus grande assurance. On rappellera que Bruno Le Maire est, de très très loin, le ministre qui a le plus endetté la France, avec près de 1 000 Md€ de dette « Le Maire » sur les 3 000 Md€ de dette publique − un autre record inégalé...

Augmentation annuelle de la dette publique française, 1950-2023Augmentation annuelle de la dette publique française, 1950-2023

Le taux moyen des emprunts d’État étant actuellement, et sans doute pour longtemps, de 3 %, la politique de Bruno Le Maire correspondra donc à terme à un surcoût de 30 Md€ chaque année, soit deux fois et demie les économies (à terme) de la réforme des retraites ou le coût de deux porte-avions.

Enfin, si le ministre parle d'un ratio dette/PIB qui pourrait un peu baisser, c'est uniquement à cause de l’inflation élevée qui accélère (fictivement) le PIB plus vite que la dette n’augmente : c'est donc tout sauf une réelle diminution de la dette, conséquence d’une saine gestion.

Pour terminer, laissons « SuperBruno, sauveur de la France » nous exposer les raisons de cette situation :

« Si aujourd'hui nous avons un niveau de dette élevé, c'est pourquoi ? C'est parce que j'ai sauvé l'économie française. […] J'ai sauvé les usines, j'ai sauvé les restaurateurs, j'ai sauvé les hôteliers, j'ai sauvé le monde de l'événementiel, j'ai sauvé des emplois, des compétences, la filière aéronautique. Moi, je suis fier d’avoir sauvé Renault […] et Air France. »

Il vaut mieux rire face à des propos aussi ridicules... et ce compte humoristique sur X résume très bien le grotesque de la situation.

Où en sommes-nous ?

Suite à la dégradation de la note de la France (en considérant que la note d’un pays est la note minimale des 3 agences), la situation est la suivante :

Notation des dettes souveraines par les trois grandes agences américaines, 2005-2024Notation des dettes souveraines par les trois grandes agences américaines, 2005-2024

On observe bien les effets de la crise de 2010-2012 sur les notes des États. Mis à part l’Espagne, aucun grand État n’a vu sa notation être relevée depuis 10 ans : les notes ont baissé ou au mieux stagné. C’est logique, l’endettement public n’a fait qu’augmenter hors de toute raison – sauf en Allemagne.

Dette publique de pays occidentaux, 1975-2023Dette publique de pays occidentaux, 1975-2023

Lorsque l'agence S&P dégrade la France, elle passe sa note d'environ 17/20 à 16/20. On pourrait dire que c'est une différence risible et que les notes restent très hautes. Mais on parle ici d'États, donc de structures qui sont censées avoir la meilleure note possible. Et de ce niveau découlent les notes des entreprises, partant des meilleures, qui seront 1 ou 2 crans en dessous de celui de l'État, aux moins solides. 16/20, cela commence donc à être vraiment faible pour un État : c'est le signe d'une très mauvaise gestion.

Mais le pire dans tout cela, c'est qu'à l'évidence, les États ne valent même plus 16/20. Il est très étonnant que les notes des États n’aient pas continué à diminuer depuis 2015, alors que leur endettement ne cessait d'augmenter. Surtout celui de la France, qui a désormais un niveau de dette équivalent à celui de l'Espagne : qu'est-ce qui peut donc justifier 4 ou 5 niveaux d'écart entre la notation de ces deux grands pays ? Aucun ne va volontairement faire défaut sans raison, et ce sont les mêmes mécanismes de défiance des prêteurs qui pourrait les y pousser, d'ailleurs probablement en même temps. On voit bien qu'il y a un souci avec ces notations bien trop clémentes.

Quoiqu’il en soit, la situation en Europe est actuellement la suivante.

Notation financière à long-terme des États européens, Juin 2024

Les pays permettant un investissement relativement sécurisé se réduisent donc comme peau de chagrin, et se limitent désormais principalement à l’espace d’influence allemand et à la Scandinavie.

Les agences de notation : anges ou démons ?

Les agences de notation sont largement critiquées, mais souvent de façon exagérée. On confond en effet parfois le thermomètre – qui certes fait parfois un peu monter la fièvre – et la maladie.

Tout comme les agences évaluent les risques de défaut des entreprises, elles évaluent également ceux des États. Cependant, ces notations ne sont généralement pas sollicitées par ces derniers, et les agences ne sont donc pas rémunérées pour ce travail. Elles le font plus comme une forme de publicité, et les États jouent en général leur jeu pour maximiser leur note et rassurer les investisseurs. Chacun y trouve son compte.

Cependant, si la notation des entreprises obéit à des règles relativement simples en fonction de critères objectifs de l’entreprise, la notation des États est beaucoup plus subjective, puisque contrairement à une entreprise, le défaut de paiement d’un État est beaucoup plus de nature politique qu’économique.

En effet, un État n’est techniquement jamais en faillite puisqu'en théorie, il pourrait toujours lever tous les impôts nécessaires et saisir tous les actifs des particuliers. Cependant, en pratique, quand la charge est trop lourde, il préfère ruiner ses créanciers que sa population. C’est exactement ce qui est arrivé en Grèce en 2012 ; c’est pourquoi les facteurs institutionnels (politique, économique, gouvernance, etc.) représentent une part importante et subjective de la note (le tiers chez S&P par exemple).

Précisons un point très important. Si les notes des États baissent, cela va renchérir le coût de leurs prochains emprunts. Mais il y a un seuil très important, car ces notations ont été intégrées dans la réglementation. Quand une notation passe de BBB- (niveau actuel de l’Italie) à BB+, on passe de titres de la catégorie « investissement » à celle de « spéculation », c’est-à-dire que les investisseurs institutionnels, type assureurs ou fonds de pension, n’ont plus le droit d’en posséder. Ce qui détruit une part importante de la demande et ne peut que créer de grosses difficultés pour l’État en question à se financer.

Les agences ont été beaucoup critiquées pour leur rôle dans la crise grecque, en ayant longtemps été laxistes avec ce pays, trop bien noté, et en ayant procédé trop tard à de multiples dégradations rapprochées. C’est vrai pour le laxisme, mais les dégradations ont en fait plutôt suivi le mouvement des marchés, elles ne l’ont pas précédé. Et sans les agences, la crise aurait très probablement eu lieu de la même façon, la dette et les manipulations du gouvernement grec ne pouvant monter jusqu’au ciel.

Il est cependant vrai que les dégradations participent au soutien de mouvements spéculatifs contre les États en difficulté. Mais ces derniers ne sont en difficulté que parce que leur endettement atteint des niveaux insoutenables, car ils n’ont pas voulu appeler les impôts nécessaires à leur politique.

Elles sont également critiquées comme « agents du néolibéralisme », car les gouvernements se retranchent derrière elles pour justifier leurs réformes néolibérales. Ces agences ne sont certes pas des bastions communistes et ne désapprouvent nullement les politiques néolibérales, mais il ne faut pas confondre « assainissement budgétaire » et « austérité » : les prêteurs ont intérêt, pour la sécurité de leur épargne, à lutter contre les déficits et l’augmentation de la dette, c’est vrai. Mais cela peut parfaitement passer par une augmentation des impôts (des plus riches), compatible avec une politique sociale. Bref, cet argument est souvent une nouvelle malhonnêteté des gouvernements, comme nous l'avons vu avec la réforme des retraites.

Cependant, comme le rappelle Christopher Dembik, analyste chez Saxo Banque, « la vraie capacité aujourd'hui de contraindre un gouvernement, ce sont les marchés financiers ». D’un côté, cela pose un problème démocratique, mais de l’autre, comme le disait Napoléon, « la main qui donne est au-dessus de la main qui reçoit ». Un gouvernement ne peut « en même temps » se mettre en état de forte dépendance envers les marchés financiers pour son financement (car il refuse de lever les impôts nécessaires) et vouloir être souverain. La souveraineté de l’État commence par l’indépendance financière, et cela tombe bien, c’est parfaitement possible à obtenir pour la puissance publique si elle le veut.

Le privilège de l’Occident qui s’auto-note

Le principal problème avec les notations des États par les agences est en réalité tout autre. Puisque les trois agences sont américaines et qu’elles travaillent pour le secteur financier occidental, elles ne vont donc pas sciemment prendre le risque de le mettre à terre en étant sévères avec les grands États systémiques, à commencer par les États-Unis et le Royaume-Uni, centres financiers mondiaux. Un jugement trop négatif pourrait déclencher une crise financière cataclysmique.

Les pressions sont d’ailleurs très fortes sur ces agences. Ainsi, le 6 avril 2012, la petite agence américaine Egan-Jones a, pour la seconde fois en quelques mois, dégradé la note des États-Unis, la plaçant à AA. Dès le 24 avril 2012, le régulateur américain (SEC) portait plainte contre elle sur des sujets réglementaires. L’agence estimait que « l'action de la SEC est inexplicable si ce n'est comme une volonté de nous faire taire et de maintenir le statu quo du monopole des agences payées par les émetteurs ». Le patron de l'agence, Sean Egan, ajouta : « Nous nous défendrons vigoureusement contre ses accusations [et] nous ne laisserons personne nous intimider ».

Le 12 septembre 2012, l’agence dégrada de nouveau la dette américaine à AA- en raison du lancement des opérations de planche à billets. Le 22 janvier 2013, le contentieux avec les autorités fut résolu par un accord amiable sur le paiement d’une amende et une interdiction pour l’agence de noter des États pendant 18 mois. Le message a été entendu : l’agence Egan-Jones a ensuite repris ses notations... à l’exception des États-Unis qu’elle ne note plus depuis 2013.

La SEC interdit à l’agence de notation de noter les États.

La Chine n’a évidemment pas ces problèmes, et son agence la plus connue, Dagong, ne se prive pas de noter les États occidentaux sans complaisance depuis 2012. On le voit ainsi pour la France, notée A+ par Egan-Jones et seulement A par Dagong.

Notation de la dette de la France par les agences de notation, juin 2024Notation de la dette de la France par les agences de notation, juin 2024

Les écarts entre agences peuvent cependant être bien plus importants. Dagong et Egan-Jones notent en effet plus durement la plupart des pays.

Notation des dettes souveraines par les agences de notation, juin 2024Notation des dettes souveraines par les agences de notation, juin 2024

Un article de 2012 des Échos était titré : « Dagong est dur avec les Occidentaux, clément avec la Chine ». C’est sans doute assez vrai, mais à cette époque, la dette publique chinoise ne représentait que 34 % du PIB. Ella a cependant doublé en 10 ans sans que la notation de Dagong soit changée, ce qui n’est pas normal.

Cependant, le vrai problème est que la presse ne relève jamais que les agences américaines sont « dures avec les pays émergents, clémentes avec les Occidentaux ». Leurs notations ne sont en effet pas réalistes, ce dont convenait d’ailleurs Patrick Artus en 2011 :

Source : Natixis

Considérant tous ces biais toujours en faveur des États, un investisseur prudent devrait donc ne prendre en compte pour la note d’un État que la notation minimale des 5 agences dont nous avons parlé. Cela donnerait le résultat suivant, qui semble beaucoup plus proche de la réalité, tout en sachant que cette vision est probablement encore trop optimiste :

Notation des dettes souveraines par les agences de notation, juin 2024Notation des dettes souveraines par les agences de notation, juin 2024

Conclusion

La dégradation récente de la note française par S&P est hélas parfaitement logique au vu du laxisme budgétaire d’Emmanuel Macron, qui gère les finances du pays comme il a géré ses finances personnelles.

Quelles en sont les conséquences ? Les grands médias, comme à chaque fois, ont tout fait pour relativiser les conséquences de ces décisions :

Un jour ou l'autre, on risque la cessation de paiement de l’État, à la grecque - et alors ?

À court terme, les taux d’emprunt de l’État français devraient s’écarter de ceux de l’Allemagne. Mais probablement assez peu. Les marchés financiers ont de facto déjà dégradé la France.

Taux d'intérêt de l'emprunt d'État de pays de la Zone euro, 2000-2024 Taux d'intérêt de l'emprunt d'État de pays de la Zone euro, 2000-2024 Spread des taux d'intérêt de l'emprunt des État de pays de la Zone euro, 2000-2024 Spread des taux d'intérêt de l'emprunt des État de pays de la Zone euro, 2000-2024

Mais en augmentant le taux des emprunts d’État, les marchés augmentent donc le taux « sans risque » (en théorie) en France, ce qui signifie que les taux d’emprunt de toutes les entreprises vont augmenter, et que leur valeur à l’achat va diminuer. Et les intérêts supplémentaires à payer vont alourdir encore plus les déficits (effet boule de neige), ce qui servira de nouveau de justification au gouvernement pour lancer d’autres « réformes » néolibérales et antisociales.

Une telle situation enlève une brique de plus au mur de la confiance des marchés. Or, de telles actions ne sont pas linéaires : on peut enlever plein de briques sans que le mur bouge, mais un jour, une brique en moins le fait s’écrouler. Car finalement, la confiance est fondamentalement binaire, elle est là où elle n’est plus là. C’est exactement ce qu’on a vu avec la Grèce ou l’Italie. Soulignons que cette dernière était notée en 2007 comme la France l’est aujourd’hui. Cinq ans plus tard, elle était presque à terre...

Dans un article sur la dette publique, l’économiste Éric Heyer écrit : « Si la France reste bien notée, c’est parce qu’il n’y a pas de récession en vue à court terme, que le pays sait lever l’impôt, qu’il n’y a pas de leader extrémiste au pouvoir ». Cette phrase est très intéressante pour comprendre la problématique actuelle. Oui, tant qu’il n’y a pas de « leader extrémiste » tout va bien (en théorie). Mais s’il en arrive un que se passe-t-il ? Surtout qu’avec les néolibéraux, « l’extrémisme » se cache derrière chaque opposant...

Imaginons que Macron démissionne cette année et qu’on arrive à un second tour Mélenchon/Le Pen, que se passera-t-il dans les mois qui suivront au niveau des marchés financiers ? Il n’est pas besoin d’être devin pour anticiper une explosion des taux d’intérêts français, qui feront fuir la confiance, précipitant une crise comme en Grèce en 2012, dont on aura du mal à se sortir cette fois.

Oublions l’aspect politique, et raisonnons sur l’aspect notation. Si une telle crise arrivait, la notation de la France serait alors dégradée, ce qui permettrait aux investisseurs par exemple de ne pas prêter à la France en 2024. Mais que se passerait-il pour les prêteurs de 2023 sur 10 ans, qui avaient fait confiance aux agences notant le pays AA ? On voit bien que la notation les aurait induits en erreur. Elle devrait tenir compte de ces risques, ce qu’elle ne fait pas, à l’évidence.

C’est comme si vous prêtiez 10 000 € à un célibataire pouvant rembourser. Mais que vous appreniez que, si par hasard il se mariait, alors il ne vous rembourserait pas, dilapidant l’argent dans le mariage. Tant qu’il est célibataire, il est « AAA », mais s’il se marie, il devient « C ». Allez-vous vraiment prendre le risque de prêter ? Et donc, un tel emprunteur est-il vraiment AAA ? Non, à l’évidence... et c'est la même chose pour les États.

Même si c’est peu populaire à dire, au final, c’est finalement la complaisance des agences de notation envers les États occidentaux, bien plus que leur sévérité, qui risque d’aboutir à la crise du siècle. Combattre le surendettement (notamment par l'imposition des plus riches et non pas par l’austérité), c’est combattre au final les politiques néolibérales et les crises des dettes publiques, et retrouver une vraie souveraineté politique.

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