L'indice phare de le Bourse de Paris (le fameux « CAC 40 ») reste un indicateur largement scruté par la presse économique, les décideurs et le gouvernement – comme dans tout bon système oligarchique. Cependant, force est de constater que cet indice a clairement perdu le contact avec la réalité économique depuis une vingtaine d'années ; ceci est lié à la financiarisation du secteur et à l'apparition d'acteurs à la taille éléphantesque pouvant peser sur le marché (et donc tondre les petits porteurs à l'occasion). Après une forte correction à la baisse après le déclenchement de la guerre en Ukraine, le CAC 40 est rapidement reparti à la hausse et il vient même d'atteindre son record historique. C'est vraiment paradoxal, car la situation économique est morose et les perspectives sont sombres pour le moyen terme. On vous explique tout.

publié le 04/04/2024 Par Olivier Berruyer

1- L'évolution à long terme de la Bourse
2- Les dividendes boostent la rentabilité
3- Depuis 2010, une divergence entre les États-Unis et l'Europe
4- Les Bourses des BRICS sont beaucoup plus raisonnables
5- Des Bourses occidentales surévaluées ?
Ce qu'il faut retenir


Rappelons tout d’abord que l’indice phare de la Bourse de Paris est le CAC 40 (CAC signifiant Cotation Assistée en Continu), qui est une moyenne de la valeur des actions des 40 grandes entreprises françaises dont les échanges sont les plus abondants. Il évolue en référence à sa valeur d’origine de 1 000 points de base, fixée à sa création le 31 décembre 1987. Si le CAC 40 vaut par exemple 4 000 points, cela signifie que 1 000 € investis en 1987 dans un produit indexé sur le CAC 40 valent 4 000 €.

Depuis sa création, le CAC 40 a progressé en moyenne de 5,5 % par an. Sa composition est revue régulièrement pour qu’il reste représentatif de l’évolution des grandes entreprises.

Composition du CAC 40 suivant le secteur d'activitéComposition du CAC 40 suivant le secteur d'activité

Depuis juillet 2021, l’indice du CAC 40 est passé de 6 500 à près de 8 200 points, un nouveau record historique qui pulvérisé le précédent de 7 600 points datant d'avril 2023. Cela représente 26 % de hausse sur la période – et même 44 % par rapport au plus bas de 5 700 points en septembre 2022.

La hausse des 4e trimestre 2022 et 1er trimestre 2023 a été la plus rapide de l’indice depuis la fin des années 1990 (hors rebond Covid en 2020). Les 2 trimestres précédents ont également été nettement orientés à la hausse – sans qu’aucune raison objective ne justifie véritablement cette hausse, qui survient dans un contexte de récession et d’inquiétudes internationales.

Indice CAC 40, 2021-2024Indice CAC 40, 2021-2024 Variations mensuelles du CAC 40, 2021-2024Variations mensuelles du CAC 40, 2021-2024

Une analyse individuelle des 40 entreprises du CAC montre que sa hausse de 26 % en un an a été largement portée, sans surprise au vu du contexte de guerre, par les secteurs de la défense (+56 %), de l’industrie (+46 %) et de la finance (+26 %).

Évolution en 1 an des valeurs du CAC 40 suivant leur secteur, mars 2023 - mars 2024

Ce mouvement de hausse est encore plus frappant si on observe les cours boursiers depuis 2007.

Indice CAC 40, 2007-2024Indice CAC 40, 2007-2024

Les cours sont sur une tendance globale haussière permanente depuis 2009 – même s’il a fallu attendre 2021 pour dépasser le niveau de 2007. Une partie importante de cette hausse est notamment due aux politiques des banques centrales mondiales, qui ont massivement déversé des liquidités pour soutenir les marchés depuis une dizaine d’années. Sur la seule année 2020, la Réserve fédérale américaine, la Banque centrale européenne, la Banque du Japon et la Banque d’Angleterre ont injecté plus de 6 500 Md$ dans les marchés financiers via leurs programmes de « quantitative easing ». Mais ces politiques ont désormais cessé, et on voit bien que les cours baissent, car ils ne sont plus artificiellement soutenus par la banque centrale.

L'euphorie 2022-2023 était déjà difficilement compréhensible. Mais la hausse actuelle est ubuesque puisque les problèmes se multiplient : inflation qui reste élevée (mais bien inférieure à la hausse des cours), problèmes de pouvoir d’achat, faillites bancaires en Occident, conflit militaire à la frontière de l’UE, conflits économiques qui se multiplient avec leurs cortèges de sanctions et contre-sanctions, tensions géopolitiques, démondialisation et dédollarisation en marche…

Si on a parfois critiqué par le passé une forme de « cynisme » de la Bourse dans certaines hausses, elles n’en demeuraient cependant pas moins liées à une certaine rationalité (espérance de bénéfices futurs), qui – force est de la constater – est largement absente aujourd’hui.

L’évolution à long terme de la Bourse

On entend souvent que les investissements en actions ont une rentabilité élevée. Le CAC atteint environ 8 200 points, 36 ans après sa création à 1 000 points : cela signifie qu’il a progressé en moyenne de 6 % par an depuis 1987 en nominal, soit 4 % net, corrigé de l'inflation.

C’est un très joli résultat, mais qu’il convient de nuancer avec le risque pris en raison de la volatilité de son évolution. On est en effet frappé par l’alternance de hausses quasi-délirantes, suivies de baisses vertigineuses. Le niveau actuel est pour la première fois supérieur à celui de l’exubérante 2008, et plus très loin du record absolu (corrigé de l’inflation) de 2000.

Indice CAC 40, 1970-2024Indice CAC 40, 1970-2024

Ces mouvements sont notamment dus aux crises financières à répétition, qui ont jalonné le début du XXIe siècle, et à l’hyperspéculation qui s’est saisie de ce marché, désormais essentiellement contrôlé par des robots.

Les conséquences ne sont pas minces : les investisseurs en Bourse de 1998-1999 et 2006-2007 sont bien loin d’avoir connu une hausse spectaculaire de la valeur de leur épargne investie, bien au contraire. A contrario, ceux de 2012 ont constaté une hausse moyenne de la valeur de leurs titres de 8 % par an (en nominal, 6 % net d'inflation) – jusqu’à ce qu’un prochain retournement du marché vienne effacer une partie de ces gains.

Le problème de la Bourse est donc de savoir entrer quand elle est en baisse, et d'en sortir quand elle est haute, c’est-à-dire qu’il faut à tout le moins pouvoir se permettre de ne pas toucher à son épargne pendant 2, 3 ou 5 ans, le temps que le marché se remette de ses éventuelles années de baisse, qui surviennent régulièrement.

Variations annuelles du CAC 40, 1970-2024Variations annuelles du CAC 40, 1970-2024

Et encore, nous ne parlons ici que de l’indice CAC 40, c’est-à-dire de la moyenne des cours de 40 entreprises. Il existe des supports permettant d’investir directement sur cet indice, mais beaucoup d’investisseurs choisissent d’investir uniquement sur quelques-unes des entreprises du CAC. En s’éloignant d’un investissement « moyenné », ces choix augmentent alors la volatilité, et s’apparentent alors plus à de la spéculation.

En effet, une analyse rétrospective montre que les cours individuels des entreprises peuvent diverger très fortement. La fortune peut alors être au bout du chemin (par exemple pour ceux qui ont investi sur LVMH en 2013 : le cours a été multiplié par plus de 5), tout comme la ruine (pour les malheureux ayant plutôt accordé leur confiance à Unibail à la même époque : le cours a été divisé par 3).

Évolution du cours de l'action de 10 entreprises du CAC 40, 2013-2024Évolution du cours de l'action de 10 entreprises du CAC 40, 2013-2024

Les dividendes boostent la rentabilité

Précisons un point très important, rarement abordé. Ces chiffres concernent donc l’évolution du CAC 40, c’est-à-dire de la valeur nominale des actions. Ils ne tiennent pas compte du fait que chaque action procure le droit de percevoir tous les ans un dividende, c’est-à-dire une rémunération issue du partage des bénéfices réalisés. Il convient donc, pour avoir une vision juste de la rentabilité d’un investissement en Bourse, de corriger ce manque.

Il existe donc un indice CAC 40 GR (« gross return »), qui tient compte des distributions de bénéfices. Cet indice rajoute à la valeur des actions celle des dividendes versés, en les supposant réinvestis immédiatement en actions de ces mêmes sociétés. L’indice allemand DAX est un des rares indices phares qui fonctionne ainsi (il ne doit donc pas être comparé directement aux autres).

Comme les actionnaires ne réinvestissent pas souvent leurs dividendes, le CAC 40 GR est une sorte de « majorant » de la rentabilité réelle moyenne, mais elle est bien plus proche de la réalité que le seul indice CAC 40. C’est ce qu’indique par exemple l’Autorité des Marchés Financiers sur son site : « Pour connaître la performance à long terme d’un investissement dans les 40 sociétés composant ces indices, référez-vous au CAC 40 GR, plutôt qu’au CAC 40 “classique” ».

Le résultat est éloquent : alors que le CAC 40 vaut environ 8 000 points, le CAC 40 GR vaut environ 24 000 points, soit 3 fois plus ! Cela correspond à une rémunération nominale moyenne de 9 % par an depuis 1987 (et 11 % depuis 2012).

Indice CAC 40 GR (avec dividendes réinvestis), 1985-2024Indice CAC 40 GR (avec dividendes réinvestis), 1985-2024

Un fois corrigée de l'inflation – afin d’obtenir une évolution en termes de « points constants » – et avec comme base les 1 000 points de 1987, la valeur de 2024 donne la progression exacte de l’épargne : elle a été multipliée par plus de 12 en 36 ans, en termes réels !

Cela représente un incroyable rendement annuel réel de 7 % par an, correction faite de l’inflation, c’est-à-dire qu’il s’agit bien ici d’un enrichissement pur – et pas des moindres, puisqu'on parle d'un doublement de la fortune réelle tous les 10 ans. Depuis 2012, ce rendement net est même de 9 % par an : les plus fortunés disent donc merci à la banque centrale et au gouvernement !

La différence avec les 0 % voire 1 % en termes réels du Livret A (doublement de la fortune en 70 ans dans le second cas) est saisissante ; ce mécanisme mathématique explique comment les riches s’enrichissent toujours plus, ce qui creuse d’autant les inégalités.

Indice CAC 40 GR réel (avec dividendes réinvestis), 1985-2024Indice CAC 40 GR réel (avec dividendes réinvestis), 1985-2024

AVERTISSEMENT : il est vrai que les chiffres du CAC 40 laissent rêveurs, et sont même de nature à faire tourner les têtes. Cependant, nous ne recommandons pas d’y investir rapidement une partie importante de son épargne. Les niveaux actuels sont stratosphériques, et s’ils peuvent encore monter, il est plus probable qu’une correction finisse par survenir. La Bourse n’est pas un placement miracle : si sa rentabilité moyenne est réelle, elle reste risquée et d’abord réservée aux spécialistes fortunés. Et bien sûr aux spéculateurs de tout poil – à leurs risques et périls…

On peut enfin se demander quel est le niveau actuel de la Bourse en France, mais pour cela, jetons d'abord un regard sur la situation des autres Bourses mondiales.

Depuis 2010, une divergence entre les États-Unis et l’Europe

Jusqu'à la fin des années 1990, les indices boursiers européens et américains croissent sensiblement au même rythme, tandis que l’indice japonais Nikkei 225 suit une pente décroissante, à cause des lourds problèmes de ce pays depuis une trentaine d‘années.

On observe aussi l’effet positif qu’ont eu les politiques monétaires des banques centrales (et notamment de la Fed), qui ont fourni des liquidités en masse aux investisseurs entre 2009 et 2021, via des politiques de quantitative easing.

Principaux indices boursiers mondiaux, 1985-2024Principaux indices boursiers mondiaux, 1985-2024

Une analyse des dernières années montre que les Bourses occidentales connaissent des trajectoires parallèles, seule l’intensité des hausses et des baisses les différencient. La crise liée à la pandémie de Covid-19 de 2020 n’a pas fait plonger très longtemps les grands indices occidentaux. Au contraire, le S&P 500 a même connu une accélération de sa croissance depuis un an.

Principaux indices boursiers mondiaux, 2020-2024Principaux indices boursiers mondiaux, 2020-2024

Là encore, on peut avancer que les investisseurs ont été soutenus par la politique monétaire mise en place par la Fed dès le mois de mars, ainsi que par les « plans de relance » décidés par le gouvernement américain.

Les Bourses des BRICS sont beaucoup plus raisonnables

La Bourse chinoise de Shanghai est désormais la quatrième Bourse mondiale en termes de capitalisation – fulgurante progression sachant que les investisseurs étrangers n’ont été autorisés à acheter ou à vendre des actions sur l’une des bourses chinoises qu’en 2002. Depuis 2013, l’indice chinois est globalement stable, comme l’indice du Mexique ou celui du Brésil. Pour sa part, l’Indice indien est sur une pente croissante depuis 10 ans.

Grands indices boursiers mondiaux, 2013-2024Grands indices boursiers mondiaux, 2013-2024

Ainsi, alors que les BRICS et autres pays émergents sont encore en plein développement, avec de belles perspectives pour la décennie à venir, on constate que leurs Bourses ne connaissent pas une euphorie identique à celle de l’Occident ; beaucoup sont même relativement prudentes. On peut dès lors se demander si les Bourses occidentales ne sont pas surévaluées…

Des Bourses occidentales surévaluées ?

Savoir si les Bourses sont surévaluées ou sous-évaluées fait évidemment toujours l’objet de longs débats entre investisseurs financiers. Parmi les nombreux critères d’analyse possibles, il en existe cependant deux qui sont très souvent utilisés.

Le premier est lié au Price-Earnings Ratio (PER, ou Price-to-Earnings, P/E). Il s'agit d'un indicateur utilisé en analyse financière et boursière, qui correspond au ratio entre la capitalisation boursière et les bénéfices. Il indique donc combien d’années de bénéfices il faut pour rentabiliser l’achat de l’action – il faut généralement une vingtaine d’années.

De ce calcul découle le TR CAPE (Total Return Cyclically Adjusted Price-to-Earnings ratio) ou TR Shiller PE (du nom de l'économiste américain Robert Shiller qui l’a créé), qui divise la capitalisation boursière par la moyenne du résultat net sur 10 ans, ajusté avec l'inflation.

On peut le représenter en fonction de son écart à sa propre moyenne, afin de mieux positionner la « valeur de la Bourse » à une date donnée, avec son écart-type (c’est-à-dire la moyenne des écarts à la moyenne). On constate ainsi que, selon ce ratio, le marché américain reste surévalué malgré une forte baisse récente.

Ratio TR CAPE (ou Shiller PE) de la Bourse américaine, 1950-2024Ratio TR CAPE (ou Shiller PE) de la Bourse américaine, 1950-2024

Comme ce calcul ne tient évidemment pas compte des scénarios économiques futurs, qui s’annoncent clairement moins favorables que ceux des 10 dernières années, on peut donc en conclure que, selon cette analyse, le marché américain reste objectivement nettement surévalué.

Souvent, la Bourse évolue à l’opposé des taux d’intérêt à long terme. En effet, quand une banque centrale augmente ses taux, en général pour combattre l’inflation, son but est de « ralentir » l’économie, ce qui aura des effets négatifs sur les profits des entreprises et donc sur le cours. Le Shiller PE permet justement de bien observer ce phénomène.

TR CAPE (Shiller PE) de la Bourse américaine et Taux d'intérêt à 10 ans, 1880-2023TR CAPE (Shiller PE) de la Bourse américaine et Taux d'intérêt à 10 ans, 1880-2023

On note également que le ratio de novembre 2021 était le deuxième plus élevé de l’histoire de la Bourse américaine, devant le pic de 1929, ce qui en dit en dit long sur l’effet de dopage procuré par les injections monétaires de banques centrales.

Le second calcul fréquemment utilisé est la capitalisation boursière exprimée en pourcentage du PIB, ou indicateur de Buffett, le milliardaire américain Waren Buffet l’ayant longtemps promu comme le meilleur outil d’analyse boursier. Il conclut comme le Shiller PE que le marché est bien surévalué.

Capitalisation boursière en % du PIB aux États-Unis (Indicateur de Buffett), 1951-2023Capitalisation boursière en % du PIB aux États-Unis (Indicateur de Buffett), 1951-2023

En 2022, la Banque de France pointait déjà un risque de crise boursière et financière à moyen terme, au regard du « niveau d’exubérance persistant » de certains indicateurs de valorisation boursière. On observe cependant que, malgré leur baisse récente, les Bourses restent surévaluées. Après la nette hausse du CAC 40 survenue depuis lors, le moins qu’on puisse dire est que cette alerte de la Banque de France reste toujours d’actualité.

Ce qu'il faut retenir

Sur le court terme, la Bourse française a connu une forte hausse entre octobre 2022 et avril 2023, portée par les secteurs qui ont bénéficié de la crise (énergie, défense…). Une correction à la baisse de près de 10 % a ensuite eu lieu, l’économie réelle ayant été rattrapée par les conséquences négatives de l’inflation. Mais depuis la fin de 2023, le marché a été pris dans une frénésie haussière sans réelle justification, qui vient de lui faire atteindre son record historique.

Sur le long terme, le CAC 40 a connu une forte croissance quasiment continue depuis 2010, de plus de 6 % par an. En raison d’une économie plus florissante, la Bourse américaine a connu une croissance encore plus importante qu’en France. En conséquence, et malgré la récente correction, les cours restent nettement surévalués, sans même tenir compte des perspectives moroses. Une correction plus importante est donc assez probable à l'avenir.

Cette analyse graphique originale d'Olivier Berruyer pour Élucid est une mise à jour de notre suivi régulier et actualisé des grands indicateurs économiques.