« Les GAFAM décrètent qui a le droit de parler ou non » - Anastasia Colosimo

La liberté d’expression a connu une incroyable régression depuis plusieurs décennies. Anastasia Colosimo, docteur en théorie politique et professeur de théorie politique à Science Po Paris, auteur des Bûchers de la Liberté (Stock, 2016), juge que la loi Pleven de 1972 a créé une rupture avec l’héritage des lois libérales de la IIIe République. Depuis se sont ajoutées de nouvelles menaces sur la liberté d’expression, qu'il s'agisse des GAFAM ou du retour du blasphème.

publié le 21/02/2022 Par Laurent Ottavi
Anastasia Colosimo : « Les GAFAM décrètent qui a le droit de parler ou non »

Laurent Ottavi (Élucid) : Quelle est la spécificité française en matière de liberté d’expression ?

Anastasia Colosimo : La liberté d’expression est régie par la loi de 1881, une loi très libérale pour l’époque et qui fait partie des grandes lois sur les libertés de la IIIe République. Elle précède la loi sur le droit à l’association et la loi sur la laïcité. Elle fait partie des grandes armatures de nos libertés. La loi de 1881 a plutôt bien traversé les différents régimes depuis la IIIe République jusqu’aux années 1970.

« La loi Pleven est à la fois une mise en cause de la loi libérale de 1881 et de la République dans laquelle l’État ne reconnait aucune communauté. »

Élucid : Quelle fut la première atteinte à la loi de 1881 sur la liberté d’expression ?

Anastasia Colosimo : La première grande limitation à cette loi date de 1972 avec la loi Pleven qui interdit l’insulte, la diffamation, la provocation à la haine, à la discrimination et à la violence en raison de l’appartenance ou la non-appartenance à une religion, une nation, une ethnie et une race. Cette loi votée à l’unanimité par le Parlement s’inscrit dans un contexte général d’une mise en accusation internationale de la colonisation et d’une redécouverte du passé vichyste.

Elle procède de bonnes intentions : punir un certain nombre de discours impunis auparavant. La loi Pleven ouvre, surtout, la possibilité aux associations de porter plainte au nom des communautés. Il s’agit là d’une forme de class action à l’américaine, même si c’est une notion qui n’est toujours pas admise officiellement juridiquement en France. La loi Pleven est donc à la fois une mise en cause de la loi libérale de 1881 et de la République dans laquelle l’État ne reconnait aucune communauté.

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