Dans un entretien exclusif pour Élucid, à l'occasion de la présentation à Paris de son livre L'affaire WikiLeaks. Médias indépendants, censure et crime d’État (Agone), la journaliste d'investigation Stefania Maurizi revient sur l'affaire Assange, à quelques jours de la décision de la Haute Cour de Londres qui pourrait conduire à l'extradition du fondateur de WikiLeaks vers les États-Unis, où le journaliste australien risque 175 ans de prison.

Opinion Démocratie
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publié le 04/02/2024 Par Marco Cesario
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Marco Cesario (Élucid) : Les 20 et 21 février prochains, la Haute Cour de Londres devra se prononcer sur l'extradition de Julian Assange. Que risque le fondateur de WikiLeaks ?

Stefania Maurizi : Julian Assange risque d'être extradé vers les États-Unis, où il n'a aucun espoir de bénéficier d'un procès équitable, car il n'existe aucune défense face à l’Espionage Act, cette loi fédérale qui interdit toute interférence dans les opérations militaires américaines. Depuis sa promulgation en 1917 pour réprimer la dissidence contre l'entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale, aucun journaliste n'a jamais été jugé en vertu de cette loi, qui n'autorise aucune défense dans l'intérêt public. En d'autres termes, le journaliste ou la source journalistique qui a divulgué des documents secrets ne peut pas dire pour sa défense : « je l'ai fait pour le bien commun ».

Révéler des crimes de guerre, révéler des atrocités que le public a le droit de connaître, tout cela n'a aucun poids au regard de cette loi. Elle place sur un même pied d'égalité les traîtres qui transmettent des informations à l'ennemi pour gagner de l'argent ou pour des raisons idéologiques, et ceux qui, au contraire, pour des raisons de conscience, veulent révéler ces atrocités, veulent révéler ces crimes, pour les faire connaître au public par le biais de la presse. Ainsi, Julian Assange, si la Cour se prononce en faveur de l'extradition, n'aura d'autre défense que de saisir la Cour européenne des droits de l'Homme pour éviter d'être enfermé à vie dans une prison de haute sécurité aux États-Unis et de ne jamais en ressortir.

Élucid : S'il est extradé, Julian Assange pourra-t-il invoquer le Premier amendement américain qui, comme vous le soulignez dans votre livre, est le dernier rempart de la liberté de la presse ?

Stefania Maurizi : Julian Assange pourra faire appel à la force de la Constitution américaine qui, ne l'oublions pas, est un formidable bouclier pour la presse ainsi que le droit du public à savoir. Mais le problème est le suivant : si l'administration américaine avait eu le moindre égard pour le Premier Amendement, elle n'aurait pas inculpé Assange. Le fait qu'elle l'ait mis en accusation et que, pour ce faire, elle ait dépoussiéré la loi sur l'espionnage laisse à penser que le Premier amendement ne servira pas à grand-chose dans cette affaire.

La juge Baraitser a écarté tous les arguments de la défense, y compris le fait qu'il ne bénéficierait jamais d'un procès équitable, ou qu'il y avait un intérêt fondamental pour le public à connaître les révélations de WikiLeaks. Le seul argument qu'elle a accepté en première instance concernait le risque de suicide d'Assange une fois transféré et détenu dans des conditions particulièrement dures. Cependant, les États-Unis sont facilement parvenus à contourner cet argument en offrant des assurances diplomatiques selon lesquelles Assange ne serait pas envoyé dans la prison ADX Florence dans le Colorado, là où se trouvent des criminels comme El Chapo, la famille mafieuse Gotti et d'autres des prisonniers les plus dangereux des États-Unis. Ils ont également assuré qu'il ne serait pas soumis au régime de détention brutal appelé Special Administrative Measure (SAM), qui autorise la surveillance des communications avocat-client des prisonniers désignés.

Malgré tout, en vérité, il n'y a aucune certitude quant au fait que ces assurances soient réellement suivies de faits. Les autorités américaines affirment que cela dépendra du comportement d'Assange en prison... bref, c'est totalement arbitraire. La Cour a déjà rendu deux décisions en faveur de l'extradition, en décembre 2021 puis en juin 2023. Le gouvernement britannique a déjà signé l'ordre d'extradition ; la seule perspective réaliste pour Assange est la Cour européenne des droits de l'Homme. Toute la question est de savoir s'il pourra y faire appel avant d'être extradé car selon moi, il n'y a pas beaucoup de suspens quant à la décision de la Cour les 20 et 21 février prochains.

« Le complexe militaro-industriel américain est protégé par le secret défense pour couvrir les crimes d'État. »

Dans votre livre, vous parlez d'un « pouvoir secret » qui a toujours travaillé dans l'ombre et qui, depuis le début des révélations d'Assange, a entamé un travail de démolition de WikiLeaks : quelles méthodes ont été utilisées dans ce but ?

Tout d'abord, je voudrais souligner que ce que je nomme pouvoir secret n'est pas un organe conspirateur ou occulte. Il s'agit essentiellement du complexe militaro-industriel, qui est protégé par le secret d'État pour couvrir les crimes du gouvernement. J'utilise l'expression de pouvoir secret parce qu'il ne se limite pas à l'armée, à l'industrie de l'armement et aux services de renseignement ; il inclut également une partie de la diplomatie et de la Big Tech (drones, clouds, technologies, etc.) sans lesquels la guerre moderne n'est pas possible.

La caractéristique principale de ce pouvoir est qu'il est totalement allergique à la lumière et à la transparence. Il veut opérer sans être dérangé, sans avoir un bras attaché dans le dos, pour reprendre une expression célèbre pendant la guerre du Viêt Nam. Il ne veut pas du regard des médias, ni de celui de l'opinion publique ; il reste calfeutré dans le secret d'État qui, de facto, n'a pas pour objectif de protéger les citoyens contrairement à ce qui est affirmé. En effet, les informations révélées par WikiLeaks ne peuvent en rien être considérées comme des secrets nécessaires à la protection des citoyens américains.

La sécurité des citoyens réside justement dans la révélations des secrets d'État qui protègent un pouvoir qui n'a de comptes à rendre à personne. On pourrait citer, par exemple, le fait que les autorités américaines ont fait pression sur les hommes politiques italiens, de gauche comme de droite, pour qu'ils garantissent l'impunité aux hommes de la CIA. Le prix de ces révélations est effroyablement lourd : Julian Assange n'a pas connu la liberté depuis 2010. C'est ce que Ken Loach nomme, dans la préface de mon livre, « l'injustice monstrueuse », soit une inversion de la Justice, avec des criminels de guerre en liberté d'un côté et des organisations journalistiques persécutées de l'autre.

Dans les War Logs d'Afghanistan et d'Irak révélés par WikiLeaks, toutes les violences et exactions de l'armée américaine et de la coalition de l'OTAN à l'encontre des populations civiles apparaissent au grand jour. Ces deux guerres censées « exporter la démocratie » se sont soldées, comme tant d'autres, par un basculement dans l'extrémisme politique ou le chaos. Quelles sont selon vous les véritables raisons de ces guerres ?

Les raisons, je pense, sont connues de tous, à savoir la réaction brutale – irrationnelle surtout – des États-Unis après les attaques du 11 septembre 2001. Cela les a conduits à déclencher une guerre insensée et irréfléchie contre des pays qui n'avaient, contrairement à l'Arabie saoudite, pas de lien important avec ces attaques terroristes. Les Américains n'ont donc pas pu comprendre qui était véritablement l'ennemi sur le terrain. Dans le magnifique livre du journaliste néo-zélandais Nicky Hager, Other People's Wars, une enquête sur le rôle de la Nouvelle-Zélande dans la « guerre contre la terreur », on apprend que lorsque des soldats de la force néo-zélandaise sont allés demander comment reconnaître l'ennemi en Afghanistan, leurs commandants ont répondu : « Regardez-les dans les yeux et vous pourrez certainement dire qui ils sont ». Cela en dit long sur les conditions absolument absurdes dans lesquelles s'est déroulé tout cela.

Ensuite, il y a le plan criminel d'invasion de l'Irak par les néoconservateurs américains, des membres de l'administration Bush comme Rumsfeld et Cheney – ces dangereux personnages n'auraient jamais du se retrouver dans la salle de contrôle et décider ainsi de notre avenir. Les guerres d'Afghanistan et d'Irak ont été un véritable désastre. En Irak en particulier, la guerre a causé la mort de quelque 600 000 civils et créé un flux monstrueux de réfugiés : on parle de 9,2 millions de réfugiés et de personnes déplacées, dont beaucoup sont venus mourir sur nos côtes, alimentant une crise des réfugiés que nous sommes toujours en train de subir en Europe avec une extrême-droite ascendante...

« Les États-Unis et le capitalisme américain considèrent les guerres comme de grandes opportunités économiques et financières. »

Sommes-nous selon vous en état de guerre permanent ?

C'est désormais la voie empruntée par les États-Unis et le capitalisme américain, pour qui les guerres sont une grande opportunité économique. À condition de ne pas les faire chez soi, bien sûr. James Risen, lauréat du prix Pulitzer, a écrit un livre magnifique à ce sujet, Pay Any Price, dans lequel il explique comment, après la crise financière de 2008, le pouvoir capitaliste s'est concentré de plus en plus sur les investissements dans l'armée plutôt que dans la finance. Pourquoi ? Parce que c'est un domaine où l'on peut demander n'importe quel prix, et un secteur sûr pour les affaires car protégé par le secret d’État.

Voilà pourquoi le secteur financier a préféré se concentrer sur la guerre plutôt que sur la finance, qui a été en réalité très peu réglementée après la crise de 2008. Les États-Unis ne sont certainement pas la seule puissance militariste, mais il est certain qu'au cours des vingt dernières années, les guerres menées par les États-Unis ont mis le monde dans un état tel que nous nous trouvons dans une situation très grave.

Vous avez travaillé en tant que partenaire média de WikiLeaks. Vous avez pris de nombreux risques. Vous avez également subi un vol anormal de documents. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Soyons clairs : si je compare les problèmes que j'ai eus avec ceux de Julian Assange, les miens sont presque négligeables. Julian, lui, n'a pas connu la liberté depuis qu'il a révélé les documents secrets du gouvernement américain en 2010. J'ai eu d'autres types de problèmes. Tout d'abord, j'ai rompu avec mon journal. J'ai démissionné de La Repubblica notamment parce que lorsque j'ai demandé une assistance juridique pour l'espionnage dont j'ai été victime, et ce afin de déposer une plainte juridique comme l'avaient fait d'autres collègues visés par ces opérations, je n'ai reçu aucune forme de soutien de la part de mon journal et je me suis donc retrouvée complètement seule, que ce soit pour payer des avocats ou pour obtenir une assistance. Personne ne m'a forcé à démissionner mais il était devenu très difficile de travailler sur ce dossier. J'ai donc choisi de démissionner en février 2020, le tout premier jour de l'audience d'extradition à la Westminster Magistrate Court. Mes revenus se sont effondrés et c'est un prix que j'ai payé, mais je le répète : comparé à ce que Julian Assange a payé, c'est peu de chose.

J'ai été en revanche intimidé, j'ai été suivi à plusieurs reprises et même récemment. Vous arrivez dans un hôtel et vous vous rendez compte que quelqu'un vous attend. Non seulement il vous attend, il fait tout pour que vous vous en rendiez compte ou il vous appelle pour vous montrer qu'il sait qui vous êtes. Ou bien vous allez à un rendez-vous dont seuls vous et la personne que vous rencontrez êtes au courant, et qui porte en fait sur WikiLeaks. Et soudain, une personne arrive dans un café complètement désert, se place à côté de vous et commence à vous photographier ou à vous filmer de manière flagrante. Ce sont des formes d'intimidation.

En plus d'avoir été suivie à plusieurs reprises, j'ai été agressée physiquement et on m'a volé mon sac à dos. Je me rendais de l'aéroport à Rome. J'avais sur moi des documents très importants. C'était quatre mois avant que WikiLeaks ne révèle les interceptions de Silvio Berlusconi par la NSA.

Stefania Maurizi - @MarcoCesario

Nous avons également découvert en 2019 que j'ai été lourdement espionnée à l'intérieur de l'ambassade de l’Équateur à Londres alors que je rendais visite à Julian Assange. Nos rencontres étaient non seulement filmées à notre insu, mais aussi enregistrées et mes appareils électroniques étaient espionnés. Nous nous en sommes rendus compte car la personne, sans doute pressée par le temps, a involontairement pris des photos avec mon appareil, ce qui m'a mis la puce à l'oreille. Nous savons désormais que c'est la société en charge de la sécurité de l'ambassade – une société espagnole appelée UC Global – qui est responsable de cet espionnage pour le compte de la CIA. Je suis loin d'être la seule à avoir été touchée : Julian Assange, sa femme Stella, leur premier enfant Gabriel, les journalistes de WikiLeaks et surtout les avocats de Julian, ont tous été espionnés par cette société pour le compte de la CIA.

« La protection des sources par le cryptage a permis de sortir de l'obscurité du secret d'État de nombreux scandales et crimes qui n'auraient jamais été divulgués sans cela. »

WikiLeaks est la première organisation journalistique au monde à avoir placé la protection des sources au centre de ses préoccupations, en s'appuyant sur le cryptage, sur des sites d'hébergement dispersés dans le monde entier et sur la non-territorialité. WikiLeaks a-t-elle changé radicalement la manière de faire du journalisme ?

Toutes les organisations de journalistes cherchent à protéger leurs sources. Mais WikiLeaks a été la première au monde à le faire systématiquement avec la cryptographie. Et on parle d'une époque où la cryptographie n’était pas très friendly. Elle n'était utilisée que par ceux qui l'avaient étudiée : les militaires, les services de renseignement. Le cryptage de WikiLeaks a révolutionné le journalisme : pour la première fois, une organisation disposait des compétences techniques pour assurer une protection solide à ses sources. Ceux qui, comme Chelsea Manning, travaillaient dans la communauté du renseignement, voulaient avoir la certitude que les médias auxquels ils confiaient leurs documents disposaient d'une protection fiable.

Auparavant, ces sources n'avaient pas envie de s'exposer parce qu'elles risquaient clairement leur tête, mais avec un système très solide et très fiable pour recevoir des documents de manière anonyme, elles se sont mis à franchir le pas. Cela a permis de sortir de l'obscurité du secret d'État de nombreux scandales et crimes qui n'auraient jamais été divulgués sans cela. Depuis lors, si vous savez quelque chose de très sérieux, quelque chose de très important que le public doit savoir, vous avez le droit de le dire et d'être protégé en tant que lanceur d'alerte (« whistleblower »).

Le pionnier de tout ceci est sans aucun doute le grand et regretté Daniel Ellsberg avec ses Pentagon Papers. Ensuite, le principe selon lequel les révélations d'intérêt public constituent quelque chose d'éthiquement important et à protéger s'est progressivement imposé. C'est d'ailleurs ce qui a effrayé le pouvoir en place, à savoir le fait qu'il pourrait y avoir un effet domino et que d'autres  lanceurs d'alerte pourraient exposer les secrets du gouvernement. Et cette crainte s'est confirmée avec les révélations d'Edward Snowden, de Reality Winner et de Daniel Hale.

Comment la machine à boue a-t-elle agi contre WikiLeaks avec la connivence de grands médias comme le New York Times ou le Washington Post ?

Tout d'abord, je tiens à préciser que je n'ai jamais travaillé pour WikiLeaks ; j'ai toujours travaillé pour mon journal en tant que partenaire média de WikiLeaks. Qu'est-ce que cela signifie ? Nous recevions des documents qui n'étaient pas encore publics. On travaillait sur ces documents en tant que journalistes, en essayant de déterminer s'ils étaient authentiques. On triait les informations importantes pour nos enquêtes, nos articles, et on les publiait pendant que WikiLeaks mettait en ligne les documents originaux. Cette méthode de travail de Julian Assange et de WikiLeaks permettait aux journalistes d'obtenir des informations et au public d'avoir accès aux sources primaires, de sorte qu'il ne soit pas obligé de se fier uniquement à ce que les journalistes écrivent, mais qu'il puisse avoir accès aux documents originaux.

L'accès du public aux sources primaires d'information est révolutionnaire, car il permet de vérifier le fonctionnement des médias. Il s'agit d'une forme de démocratisation de l'information que j'ai particulièrement appréciée dans le travail de WikiLeaks. En ce qui concerne les grands médias, tout le monde a bénéficié de cette documentation en termes de révélations, de scoops et d'enquêtes, même ceux qui n'ont pas travaillé directement sur les documents ou qui ne soutenaient pas WikiLeaks. Il est donc particulièrement affligeant et terrible de voir qu'après les scoops, tous ces journalistes ont disparu soudainement, sans penser à ce qui arriverait à Julian Assange.

Ils ont dit que c'était un violeur, qu'il essayait de se cacher derrière le risque d'être extradé vers les États-Unis parce qu'il voulait échapper à la justice suédoise. Ils ont donc mené une véritable campagne de diabolisation à son encontre. Ils ont cru aux accusations du Pentagone selon lesquelles il avait mis des vies en danger alors qu'aujourd'hui, 14 ans après la publication, il n'y a pas une seule victime dont les documents de WikiLeaks sont la cause. Et pourtant, les grands médias n'ont cessé de répéter cette accusation. Quant à l'affaire suédoise de viol qui a détruit sa réputation, les médias se sont contentés de rapporter les propos de l'accusation et de la défense dans un ping-pong sans fin, sans chercher à connaître les faits ou à s'interroger quant à sa non-inculpation. Les grands médias ont donc malheureusement largement contribué à la persécution d'Assange orchestrée par les États-Unis.

« Pour la première fois, nous avons pu comparer ce que la machine à propagande nous racontait avec ce qui se passait réellement sur le terrain. »

Fin 2010, le « Cablegate » a vu cinq journaux internationaux publier un grand nombre d’articles sur les révélations de plus de 250 000 câbles diplomatiques américains. Ce n'est pas seulement l'hypocrisie de l'ambassade américaine qui est alors apparut au grand jour, mais aussi son cynisme et l'énorme pression qu'elle a exercée pour convaincre des hommes politiques à l'autre bout du monde de raconter des mensonges à la population afin de la persuader d'entrer en guerre...

Oui, la machine à propagande qui accompagnait la guerre a été très lourdement exposée par ces documents, d'où la colère du complexe militaro-industriel. Pour la première fois, nous avons pu comparer ce que la machine à propagande nous racontait avec ce qui se passait réellement sur le terrain. Ces documents nous ont permis de reconstituer l'ensemble du théâtre de guerre : ils nous ont donné des informations sur la diplomatie, et ils ont révélé des informations couvertes par le secret auxquelles les correspondants de guerre n'ont évidemment pas accès.

Les reporters de guerre vont certes sur place (quoique cela devient malheureusement de plus en plus rare), ils interrogent différentes personnes, ils rapportent ce qu'ils voient, mais ils n'ont pas accès aux documents secrets de l'armée. Ces documents étaient donc exceptionnellement importants, d'autant qu'ils sont arrivés pendant que la guerre se déroulait, et non quarante ans plus tard, lorsque la guerre n'est plus qu'un lointain souvenir.

Selon vous, le combat de WikiLeaks peut-il se poursuivre avec Assange en prison ? Et de quelle manière ?

Le fait qu'il résiste constitue un message fort pour le complexe militaro-industriel, pour cette puissance secrète qui n'est pas seulement celle des États-Unis. Car attention, ce n'est pas que les autres pays n'ont pas de complexe militaro-industriel. Même la Russie et la Chine ne sont pas très heureuses lorsque WikiLeaks dévoile des secrets américains, car elles pensent que tôt ou tard, elles pourraient elles-mêmes être victimes de cette méthode journalistique. Ce que je veux dire, c'est que cette puissance secrète au sein des grandes puissances considèrera toujours WikiLeaks comme une menace existentielle.

Si Assange reste en vie et avec la capacité de s'exprimer publiquement, il deviendra un intellectuel dangereux pour le pouvoir, car capable d'expliquer ce qu'il a fait et pourquoi il l'a fait. Et la mobilisation de l'opinion publique sera certainement perçue comme quelque chose d'extrêmement irritant pour ce pouvoir, notamment qu'il a investi des ressources collossales pour détruire la réputation d'Assange et en faire un paria, un bon à rien et un violeur. Ce pouvoir visera certainement toujours la destruction d'Assange ou de WikiLeaks, précisément parce que tant qu'il restera en vie, capable d'exposer, de raconter ce que lui et les journalistes de WikiLeaks ont fait, il sera toujours une épine dans leurs pieds.

Propos recueillis par Marco Cesario.

Photo d'ouverture : Des sympathisants et des militants brandissent des pancartes devant le tribunal de Westminster à Londres, le 20 avril 2022, pour demander la libération de Julian Assange (Photo JUSTIN TALLIS / AFP)

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