« Avec Julian Assange en prison, la vérité devient un crime » - Stella Assange

Dans cette interview exclusive, Stella Morris Assange évoque la bataille pour la libération de son mari Julian : enfermé à l'isolement, éprouvé physiquement et psychologiquement, il risque, s'il est extradé vers les États-Unis, une peine pouvant aller jusqu'à 175 ans de prison.

Opinion Démocratie
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publié le 18/06/2023 Par Marco Cesario
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NAPLES. L'Institut italien d'études philosophiques est un élégant palais du XVIIIe siècle. C'est dans ce lieu riche en histoire que j'ai eu l'occasion de rencontrer Stella Assange, épouse du fondateur de Wikileaks, Julian Assange, dans le cadre de la 8e édition d'Imbavagliati, le Festival international du Journalisme civil de Naples qui donne la parole aux journalistes soumis à la censure et persécutés dans leur pays.

Marco Cesario (Élucid) : Quelle est la situation actuelle pour votre mari ?

Stella Assange : Julian est un journaliste qui a été injustement emprisonné pour avoir révélé la vérité. Il est détenu depuis maintenant quatre ans dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, à Londres, mais est en réalité privé de liberté depuis 2010. Il est physiquement très fatigué, et sa santé mentale et psychologique se détériorent de jour en jour, précisément parce qu'une menace d'extradition vers les États-Unis pèse sur lui. Cet État l'a privé de ses droits, le considère comme un terroriste et souhaite le condamner à 175 ans d'emprisonnement.

Marco Cesario (Élucid) : Que faut-il faire pour que la liberté de la presse ne soit pas continuellement menacée à l'avenir ?

Stella Assange : Il est absolument crucial, à mon avis, de rester vigilant sur le cas de Julian. Il y a eu plusieurs tentatives de le faire taire, de le faire disparaître du paysage médiatique et de la conscience publique. Nous devons agir à l'inverse, c'est-à-dire faire en sorte que le grand public soit toujours au courant de l'histoire de Julian Assange jusqu'au jour où il sera libre. Il faut exiger et demander sa libération à tous les niveaux, c'est-à-dire par le biais d'initiatives civiles, mais aussi au sein des parlements européens.

Julian a été arrêté en violation du système de valeurs de l'Europe. Aujourd'hui, la liberté des journalistes en Europe est menacée par un pays non européen – les États-Unis – qui souhaite en quelque sorte imposer son pouvoir et faire taire un journaliste qui a révélé des faits établis mais dérangeants.

Julian est venu en Europe pour publier d'énormes révélations sur des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Il est venu en Europe parce qu'il pensait que c'était un lieu sûr où il pouvait exercer son métier de journaliste sans danger. Ceux qui étaient censés veiller à sa protection en Europe ont manifestement échoué.

Julian Assange a fait l'objet d'un procès en Angleterre. Il a déposé un recours en appel devant la Haute Cour du Royaume Uni contre l’ordre d’extradition signé par le gouvernement britannique. Comment analysez-vous les poursuites et procédures à son encontre ?

Il s'agit d'un cas strictement politique, car au moment où Julian a voulu rendre publics les crimes commis par différents États – des crimes sciemment dissimulés par les États eux-mêmes – l'onde de choc de ses révélations s'est retournée contre lui, à travers des accusations politiques du gouvernement américain visant à provoquer son arrestation et son emprisonnement perpétuel.

Il est important que le public sache que parfois, même s'il y a une apparence de légalité à l'extérieur, cette légalité n'est rien d'autre que de la fumée dans les yeux, artificiellement créée pour cacher la vérité. C'est pourquoi le cas de Julian ne peut être considéré que comme purement politique et qu'il ne pas se laisser distraire par la procédure et les détails techniques d'un procès qui est avant tout politique.

« C'est une tentative de rejeter sur Julian une culpabilité fallacieuse pour réduire ses soutiens et faire oublier ce que WikiLeaks a révélé. »

En quoi la procédure du gouvernement américain contre Julian relève-t-elle d'un procès politique ?

Les États-Unis ont fait de nombreuses déclarations à l'emporte-pièce qu'ils n'ont jamais été en mesure d'étayer. Ils ont dû admettre qu'ils ne disposaient d'aucune preuve pour faire de telles affirmations. Bien évidemment, leurs bruyantes accusations ont servi de contre-feu et avaient pour but d'empêcher que la presse puisse les mettre dans l'embarras.

WikiLeaks a toujours pris soin de publier des révélations solides et étayées, que ça soit sur l'assassinat de familles entières, le meurtre de civils dans les rues de Bagdad, sur des dizaines de milliers d'autres en Irak ou sur des actes de torture, etc. On parle de cas concrets, de noms réels d'innocents qui ont été tués, et pourtant rien n'a été fait. Il s'agit donc d'une tentative de détourner l'attention du grand public vis-à-vis de tous ces crimes réels, et de rejeter sur Julian une culpabilité supposée et fallacieuse pour réduire ses soutiens et faire oublier ce que WikiLeaks a révélé.

Plusieurs fédérations journalistiques européennes ont symboliquement remis une carte de presse à Julian Assange. Au-delà de ce geste fort, le soutien public de la part de ses confrères reste néanmoins rare, et son statut de journaliste est régulièrement remis en cause par ses détracteurs...

Il est absolument crucial que la communauté des journalistes soit solidaire de Julian et qu'elle le reconnaisse en tant que journaliste. Rappelons qu'en Australie, Julian est membre de l'Ordre des journalistes depuis 2007. Les attaques dirigées contre lui, niant son rôle de journaliste, avaient justement pour but de l'isoler de cette communauté. Le gouvernement américain a toujours nié la nature journalistique de son travail, mais quel gouvernement peut décider qui est journaliste et qui ne l'est pas ?

Il est clair que Julian est un journaliste, mais même en tant que journaliste, il a été accusé d'avoir obtenu des informations de la part de sources qu'il ne voulait pas donner (c'est le droit fondamental de tout journaliste) et d'avoir révélées ces informations au grand public. C'est très encourageant de voir des dizaines de pays du monde entier faire preuve d'unité en soutien à Julian. Il n'est pas seulement un journaliste : c'est, aux yeux de beaucoup, l'un des plus importants journalistes vivants.

« Si Julian est emprisonné, c'est précisément parce qu'il est un symbole du courage, de la liberté de publier et du droit du public à savoir. »

Julian Assange est en effet considéré par beaucoup comme un héros de la liberté de la presse. Le monde du journalisme n'a-t-il pas intérêt à soutenir d'une seule voix le combat de Julian face aux dérives actuelles ?

Julian est admiré dans le monde entier pour son courage personnel et son courage d'éditeur. Et si Julian est emprisonné, c'est précisément parce qu'il est un symbole du courage, de la liberté de publier et du droit du public à savoir. Les journalistes devraient donc, bien sûr, suivre ses traces, mais ils devraient aussi œuvrer à sa libération, car le but de l'emprisonnement est de dissuader d'autres journalistes de suivre ses traces.

Selon moi, la libération de Julian serait un fait historique tel que de nombreux journalistes du monde entier pourraient voir leurs conditions de travail et de sécurité améliorées une fois ce précédent créé. La dérive actuelle – et qui devient peu à peu la norme – est de voir des journalistes censurés, licenciés, « grillés » voire emprisonnés pour des raisons politiques. De plus en plus de gouvernements souhaitent être libres de mettre des journalistes en prison. Et si les États-Unis le font librement, alors pourquoi d'autres pays ne pourraient pas le faire ?

Le combat de Julian Assange est-il également un combat pour la vérité ?

En tant que citoyens, nous devons avoir une mémoire longue basée sur des informations vraies. L'information évolue rapidement dans une direction que nous ne pouvons pas prévoir. Les informations sont communiquées et arbitrées par des algorithmes, par de tierces parties qui jouent le rôle de courtier dans notre compréhension du monde.

Lorsque Julian a créé WikiLeaks, il comprenait le fonctionnement de l'Internet et percevait déjà la capacité révolutionnaire qu'il représentait pour les communications. Mais il a également perçu la grave menace qui pèse sur notre civilisation, où l'information est extrêmement centralisée.

Actuellement, nous vivons dans un monde où la vérité est diabolisée, où la vérité est considérée comme dangereuse et où elle reste la chasse gardée du pouvoir dans certains pays. Avec Julian en prison, le message est clair pour le reste du monde : la vérité devient un crime.

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