Barbara Stiegler : « Le néolibéralisme méprise le pouvoir du peuple »

La démocratie indirecte est une contradiction dans les termes. Dans Démocratie ! Manifeste (Le Bord de L’eau, 2023), la philosophe Barbara Stiegler, qui enseigne à Bordeaux-Montaigne, signe avec l’historien Christophe Pébarthe, maître de conférences en histoire grecque dans la même université, un ouvrage qui refuse l’assimilation de la démocratie au gouvernement représentatif. Ils réfléchissent aux conditions d’un gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, incompatibles d’après eux avec le néolibéralisme et le capitalisme, en s’appuyant notamment sur l’expérience athénienne, loin des idées reçues qui l’entourent.

publié le 14/04/2024 Par Laurent Ottavi

Laurent Ottavi (Élucid) : La démocratie, écrivez-vous, est un régime que nous connaissons très mal. En quoi se distingue-t-elle du gouvernement représentatif, pourtant considéré en général comme l’une de ses modalités si ce n’est la seule possible aujourd’hui ? À quand remonte également cette distinction ?

Barbara Stiegler : L’amalgame se fait à la fin du XVIIIe siècle. Il n’existait absolument aucune confusion à Athènes entre le régime de la démocratie d’un côté et le gouvernement représentatif de l’autre, car le gouvernement représentatif n’existait pas. Il n’avait pas été théorisé ni pensé contrairement à la démocratie, inventée par les Athéniens, avec toute sa spécificité, c’est-à-dire un dêmos (qui sait qu’il est un dêmos) qui exerce un kratos (et qui sait qu’il l’exerce). Le gouvernement représentatif se fabrique tout doucement au XVIIIe siècle, du fait des pères fondateurs américains au minimum et des révolutionnaires français qui se trouvent dans la roue de la révolution américaine.

Sous la poussée des révolutions et du retour en grâce de la notion de démocratie, la réponse qui va s’imposer est la suivante : la démocratie est impossible, car le pays est trop grand, car le dêmos est trop inculte, et toute sorte de raisons à la fois fausses et de l’ordre de la mauvaise foi, donc la solution réside dans une démocratie indirecte au sein de laquelle les élites gouvernent à la place du dêmos. Ce n’est donc pas une démocratie !

L’expression de gouvernement représentatif, parfaitement compatible avec une monarchie constitutionnelle, est par conséquent beaucoup plus honnête que celle de démocratie indirecte. S’ouvre alors toute une série de questions. Dans quelle mesure représentent-ils et que représentent-ils ? Représenter signifie-t-il ressembler aux représentés ou porter les intérêts d’un peuple qui n’est pas capable de défendre lui-même ses intérêts ?  

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