L’Hallyu, la « vague coréenne » portée par les groupes de Kpop et les Kdramas, mini séries télévisées, aurait-elle pu générer un scénario aussi alambiqué ? Voici le script. Un président désabusé s’accroche à un pouvoir qui lui échappe. Du fond de son abîme personnel, il se décide, les dés sont jetés, il utilisera tous les procédés. Son pouvoir, il le reconquerra, quoi qu’il en coûte ! Non, il ne va pas se contenter de dissoudre le parlement ; cela s’est déjà vu ailleurs sans résultat probant. Le président Yoon Suk Yeol va frapper plus haut, plus fort, plus intensément. Invoquer la loi martiale l’autoriserait à déployer l’armée dans les rues, qu’il en soit ainsi. En quelques heures, l’ordre sera rétabli, et c’en sera fini de ce « repaire de criminels » qu’est devenu le parlement infecté par la vermine communiste. Ces foutriquets ne pourront plus entraver son pouvoir. Dans la nuit du 3 au 4 décembre, Yoon passe à l’action, les troupes sortent des casernes. Leur mission, sécuriser les lieux stratégiques. Mais le coup d’État commence à peine que tout part en vrille. Retour sur un coup d'État raté en Corée du Sud.
À 22 h 15 le 3 décembre, le président Yoon Suk Yeol apparaît sur les écrans de télévision. « Je déclare la loi martiale pour protéger la République de Corée libre de la menace des forces communistes nord-coréennes, pour éradiquer les abjectes forces antiétatiques pro-nord-coréennes qui mettent à sac la liberté et le bonheur de notre peuple, et pour protéger l’ordre constitutionnel libre ». En vertu de l’article 77 alinéa 1 de la Constitution, le chef d’État coréen exerce ici ses prérogatives. « Le Président peut proclamer la loi martiale, dans les conditions prévues par la loi, pour faire face à des obligations militaires ou maintenir la sécurité et l’ordre public par la mobilisation des forces militaires en temps de guerre, de conflit armé ou d’urgence nationale similaire ».
Incrédules, les Coréens passent de la stupeur – « C’est quoi cette blague ? » – à l’angoisse, puis la colère, sinon la fureur. Pour les jeunes, la loi martiale n’existe que dans les manuels d’histoire. Les plus anciens, eux, sont glacés, c’est le grand bond en arrière. Ils se remémorent les périodes de loi martiale, surtout leurs atrocités, la dernière remonte à 1980.
Toutes classes confondues, des milliers de citoyens descendent dans les rues, nombre d’entre eux se dirigent vers le parlement. Ils protestent tandis que l’armée se déploie. Les députés ne sont pas en reste, ils se ruent vers le parlement pour mettre le holà à ce retour aux heures sombres de la République de Corée (ROK). C’est leur droit : si l’article 77 de la Constitution autorise le président à instaurer la loi martiale, l’alinéa 5 lui impose d’en informer l’Assemblée nationale. Cette dernière peut la faire lever par un vote majoritaire. Or, l’opposition détient 192 sièges sur les 300 que compte le parlement. Le temps presse, l’armée est en marche. Tandis qu’un détachement des forces spéciales tente de bloquer les accès au parlement, les députés s’y engouffrent, quitte à escalader les barrières. Des scènes confuses s’ensuivent à l’intérieur de l’édifice, les militaires sont tenus en respect par des barricades improvisées, voire des jets d’extincteurs. À l’extérieur, une jeune femme qui n’est autre que la porte-parole du Parti démocrate (DP opposition) agrippe l’arme d’un soldat par le canon, celui-ci la repousse sans la moindre brutalité et se replie. « N’avez-vous pas honte ! » lui lance-t-elle. Finalement, 190 députés réussissent à rejoindre le parlement dont douze issus du Parti du pouvoir populaire (PPP pouvoir) et à l’unanimité, ils rejettent la loi martiale. Du haut de son perchoir, le président du parlement entérine le vote en martelant son bureau avec un plaisir manifeste. Vers 4 h 40 du matin, le président Yoon réapparaît sur les écrans. « Il y a eu une demande de l’Assemblée nationale pour lever l’état d’urgence, et nous avons procédé au retrait des militaires qui avaient été déployés pour les opérations de loi martiale ». Ce rétropédalage met fin à la loi martiale la plus courte de l’histoire de la ROK.
Lisez la suite et soutenez un média indépendant sans publicité
S’abonnerAccès illimité au site à partir de 1€
Déjà abonné ? Connectez-vous
3 commentaires
Devenez abonné !
Vous souhaitez pouvoir commenter nos articles et échanger avec notre communauté de lecteurs ? Abonnez-vous pour accéder à cette fonctionnalité.
S'abonner