Petit cours d'autodéfense intellectuelle - Normand Baillargeon

Comme un manuel ou un guide pratique, ce Petit cours d’autodéfense intellectuelle (2005-2006) présente avec humour et simplicité les outils à mobiliser pour pratiquer une lecture « critique » du monde qui nous entoure. L’enseignement est d’autant plus efficace que l’auteur accompagne ses leçons de multiples exemples et encarts, offrant un parallèle instructif entre le Canada, les États-Unis et la France.

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Ce qu’il faut retenir :

Le langage ou les mathématiques sont deux supports de manipulation qui peuvent permettre d’abuser de la population. Le Langage est un outil qui sert les intérêts de celui qui l’énonce. Reconnaître certaines structures syntaxiques particulières et les objectifs qui les sous-tendent, permet d’éviter de se laisser berner.

Plusieurs mécanismes peuvent être mis en œuvre pour lutter contre ces abus. D’abord, avoir conscience de l’utilisation d’euphémismes ou savoir reconnaître les paralogismes les plus courants permet de mieux comprendre un énoncé et donc les intentions de l’énonciateur à travers lui. Ensuite, les notions de probabilités et de statistiques permettent de vérifier la plupart des situations auxquelles nous sommes confrontés, éventuellement les relativiser voire les corriger. Les sondages et les représentations graphiques doivent faire l’objet d’une attention particulière. Enfin, le cerveau humain peut lui-même nous leurrer. Il convient ainsi de se méfier des limites de l’expérience personnelle et de garder à l’esprit les faiblesses de nos facultés à percevoir, se souvenir et juger.

L’expérience, dans le cadre des sciences, si elle est non biaisée et reproductible, est la meilleure preuve de la véracité d’une connaissance. Dans les cas où l’expérience est impossible, la méthode utilisée doit pouvoir être reproductible pour aboutir aux mêmes conclusions. Les fraudes sont cependant nombreuses. Même sans connaissance spécifique, on peut rechercher des informations sur le commanditaire (et les flux d’argent), la méthode, le chercheur, les canaux de diffusion, les répercussions éventuelles de ces conclusions.

Les médias, concentrés entre les mains de quelques individus, diffusent le point de vue des élites politiques et financières. Ils servent ainsi de support de propagande au couple État-entreprise. Mieux vaut ainsi garder du recul face aux informations qu’ils véhiculent.

Biographie de l’auteur

Né en 1958, Normand Baillargeon est canadien. Il a vécu, une grande partie de son enfance, en Afrique, entre le Cameroun et le Sénégal. De retour au Québec, il étudie la philosophie et l’éducation et obtient un doctorat dans ces deux disciplines. À l’issue de ses études, il enseigne une dizaine d’années dans un collège d’enseignement général et professionnel, puis, en 1989, il rejoint l’Université du Québec de Montréal et devient enseignant-chercheur en sciences de l’éducation.

Si Normand Baillargeon se consacre principalement à l’étude et à la philosophie de l’éducation, il est également très impliqué dans la dénonciation du système propagandiste du monde occidental. Proche des idées développées par Noam Chomsky, Normand Baillargeon consacre une partie de ses travaux à la production d’ouvrages visant à guider et aider ses lecteurs à mener leur propre résistance intellectuelle.

Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.

Synthèse de l’ouvrage

Partie I. Quelques indispensables outils de pensée critique

Chapitre 1. Le langage

Le langage est une arme puissante et multifonctionnelle. Elle permet aussi bien de commettre des dégâts irréparables que de construire, guérir, encourager, transmettre des informations, ou mener des individus.

Dès le Ve siècle av. J.-C., un groupe d’individus, appelés plus tard sophistes, comprit la force du langage. Grâce à la rhétorique, les sophistes ont réussi à domestiquer l’art oratoire et à en faire commerce. Aujourd’hui, alors que le commerce de la crédulité de la population est un marché toujours en essor et immensément lucratif (qu’il s’agisse de la “vente” des politiques publiques, des religions, des produits, etc.), cette manipulation par le langage est omniprésente dans notre quotidien. Il s’agit ici de proposer un guide pour déjouer cette rhétorique en comprenant ce qui se cache derrière le choix des termes et des paralogismes utilisés couramment.

En effet, le choix des mots poursuit un objectif défini en amont. Il faut ainsi rester vigilant à la dénotation et à la connotation des termes utilisés. La dénotation d’un mot est son sens premier, indépendamment du contexte. À l’inverse, la connotation renvoie à son poids psychologique, sa charge émotionnelle. C’est sur cette différence que jouent les euphémismes employés constamment par les hommes politiques et les médias. Par exemple, selon ce principe et en fonction de l’auteur et du destinataire de l’énoncé, on ne parlera pas de « travailleurs », mais de « salariés », pas de « bombardement », mais de « frappe de défense réactive » ou encore pas de « bébé », mais de « fœtus ».

De même, dans le prolongement de cette variation lexicale, il faut attirer l’attention sur la volonté, de plus en plus présente, d’exclure des énoncés toutes marques exprimant une différence d’ordre : « sexiste », « classiste », « âgiste », ethnocentriste, mais aussi géographique. Une rectitude politique qui va de pair avec une quête de conformisme social. Le langage permet ainsi de rendre les individus d’une population : ni riches, ni pauvres, ni hommes, ni femmes, ni urbains, ni ruraux, ni noirs, ni blancs, ni handicapés…

Par ailleurs, l’usage de termes imprécis permet quant à lui de donner l’impression de fournir une réponse précise alors que cette dernière est totalement dépourvue d’information réelle. Ce type d’énoncé est particulièrement présent dans les discours des politiciens, mais aussi dans les textes de type métaphysique (horoscopes, prémonitions, etc.). Cet art de l’imprécision est également proche de l’art de l’ambiguïté. Ce dernier met en jeu soit un terme ayant plusieurs sens possibles, ce que l’on nomme « équivoque » ; soit un énoncé entier, pouvant être compris de plusieurs façons, ce que l’on nomme « amphibologie ». De tels cas de figure se retrouvent dans des contextes humoristiques, mais aussi au sein de directives gouvernementales (comme lorsque l’on parle de « pédagogie fondée sur “l’intérêt“ », sans définir cet “intérêt“), ou bien dans les énoncés de type prémonitoire ou encore psychotest (par exemple : dans l'énoncé « Si Crésus traverse l’Halys, il détruira un grand empire », désigne-t-on l’empire de Crésus ou celui des Perses ?).

D’autres méthodes permettent également de modifier le sens d’un énoncé. C’est le cas de l’accentuation, qu’il s’agisse du choix d’un mot plutôt qu’un autre dans une phrase, ou d’un terme plutôt qu’un autre dans un discours ou un texte. L’accentuation peut tendre à attirer exagérément l’attention vers ces éléments et induire en erreur quant au sens global de l’énoncé.

L’usage intempestif de jargon chez ceux que qualifiés « d’experts » contribue tout autant à embrouiller le public et diluer ainsi le message transmis. Si l’usage d’un vocabulaire spécifique peut se justifier dans certaines disciplines scientifiques, dans la plupart des autres cas et notamment au sein des sciences humaines et des pseudosciences, l’idée peut aisément être vulgarisée. La profusion de mots compliqués cache généralement une idée assez creuse, voire erronée. On trouve également, dans ce type de discours, des « mots-fouine », qui vident de toute validité le propos tenu en délégitimant, par leur formulation, la source du propos (par exemple : “des “recherches suggèrent que… ; “des “ chercheurs affirment que…).

Aux côtés de ces artifices lexicaux, les discours sont truffés de paralogismes, ces démonstrations ou raisonnements qui tendent volontairement à induire leurs auditeurs ou lecteurs, en erreur. Ces paralogismes peuvent être formels et, dans ce cas, relèvent d’un défaut de raisonnement. Il existe trois mécanismes par lesquels un raisonnement se trouve victime d’un défaut de logique, que l’on peut identifier grâce à la structure d’un certain type de syllogisme composé de prémisses, vraies et/ou valides, d’un raisonnement, vrai et/ou valide, et d’une conclusion vraie ou fausse : si tout A est B et si tout C est A, alors C est B (schéma du syllogisme de Socrate, le mortel). Un paralogisme formel, ou défaut de raisonnement, peut se manifester par inconsistance (une contradiction) : les prémisses et le raisonnement sont vrais, mais la conclusion est fausse. Il se manifeste aussi par « affirmation du conséquent » ; par exemple : « Si les structures de base d’une société sont justes, les citoyens ne se rebellent pas. Les citoyens ne se rebellent pas donc, les structures de base de la société sont justes ». Et, enfin, par la « négation de l’antécédent » ; par exemple : « Si je suis à Londres, je suis en Grande-Bretagne. Si je ne suis pas à Londres, je ne suis donc pas en Grande-Bretagne ».

Les paralogismes informels, d’une très grande diversité et plus fréquents, sont cependant moins évidents à reconnaître. Il peut s’agir, par exemple, d’un faux dilemme, une méthode très utilisée en politique, qui consiste à occulter toutes les options intermédiaires possibles à un problème, pour ne réduire le choix qu’entre l’option la pire et celle que l’orateur souhaite voire accepter. Ces paralogismes peuvent également reposer sur la faculté de « noyer le poisson », c’est-à-dire de détourner le débat pour éviter d’aborder trop en profondeur un sujet. Enfin, l’« ad hominem » permet de discréditer son adversaire en tant que personne, afin de discréditer son argumentation. Un autre mécanisme est celui de l’« ad populum » ou appel à la foule par lequel on se réfère alors au plus grand nombre (mais aussi la « tradition ») pour justifier de son propos. Une multitude d’autres paralogismes informels sont également utilisés tels que l’effet domino, l’appel à la peur ou à la pitié, la pétition de principe, l’appel à l’autorité, le paralogisme de composition et de division et de nombreux autres. Si certains sont reconnaissables intuitivement, savoir identifier ces paralogismes lorsqu’ils sont dissimulés au sein de texte ou d’un discours permet au lecteur de s’en prémunir.

Chapitre 2. Mathématiques : compter pour ne pas s’en laisser conter

Si les données chiffrées avancées avec sérieux permettent d’attribuer une preuve quasi scientifique aux propos tenus, il faut se prémunir contre cet éblouissement. En effet, la population est aujourd’hui touchée, en grande partie, par le phénomène « d’innumérisme », l’équivalent de « l’illettrisme » pour les mathématiques. Outre le fait que les notions mathématiques sont généralement oubliées, les calculs basiques sont également loin d’être automatisés dans la vie quotidienne. Ainsi, il arrive fréquemment que certaines données impressionnent. Par exemple, il est souvent avancé que le nombre de décès dû à une arme à feu, aux États-Unis, double tous les ans depuis 1950. Pourtant, selon une simple formule mathématique, il est possible de démontrer que si une seule personne était décédée en 1950, le nombre de décès par arme à feu aurait largement dépassé le nombre d’êtres humains sur terre dès les années 1980. En effet, les données chiffrées sont bien souvent utilisées pour impressionner, embrouiller, tromper, sous un vernis de science exacte.

Les chiffres sont souvent trompeurs et doivent être manipulés avec précaution. Les grands nombres (à l’instar du coût de la guerre en Irak : 113 milliards de dollars en 2004) sont parfois difficiles à se représenter. Pour ce faire, il est possible, soit de les transformer en puissance de dix (par exemple, 1,13 x 1011), soit de les transformer en quelque chose de concret ou d’autres montants (par exemple, le coût de la guerre en Irak représente 2 888 245 bourses d’étudiants d’une durée de 4 ans chacune).

Il faut également prendre garde aux données « détachées » ou « semi-détachées » en cherchant toujours à quoi elles se réfèrent (par exemple : pour un produit de type pain est indiqué : « deux fois moins de glucides », par rapport à quoi ?). Les données comptables sont elles aussi nébuleuses, une même donnée pouvant être présentée de plusieurs façons différentes et ainsi induire des conclusions erronées chez un public non averti.

De même, il est toujours important de ne pas se fier aveuglément aux valeurs avancées en période de crise. Celles-ci peuvent se trouver dédoublées par les multiples comptages. Il est ainsi préférable de recourir aux statistiques afin de se représenter réellement les notions de variation, de risque, d’évolution.

Deux notions mathématiques fondamentales pour penser de manière critique sont les probabilités et les statistiques. Les probabilités servent à se représenter de manière numérique la chance qu’un événement a de se produire. Savoir les calculer permet de ne pas se laisser tromper par les événements qui relèvent du hasard, mais dont on exagère la probabilité de se réaliser ou dont on amoindrit cette probabilité.

Les statistiques sont quant à elles un moyen efficace de rendre compte d’une évolution, mais aussi de caractériser une situation à travers quelques données. Les règles de calcul de base des mesures, dites « centrales », sont la moyenne (la valeur moyenne de toutes les données), la médiane (la valeur de la donnée située à la moitié du nombre total de données) et le mode (la valeur des données qui reviennent le plus souvent). Il faut ajouter à cela la mesure de l’écart-type (mesure de la dispersion des données par rapport à la moyenne).

Le champ d’application des statistiques pour le penseur critique concernera en particulier les sondages. Les sondages reposent sur des échantillons de population. Pour aborder un sondage, il convient par conséquent de s’intéresser à la validité de l’échantillon d’un point de vue quantitatif (le nombre de personnes sondées est-il suffisant au regard du sujet abordé ?) et qualitatif. Pour ce deuxième point, il faut s’assurer de l’absence d’éventuels biais : comment le public a-t-il été sondé ? Aléatoirement ou parmi les lecteurs ou auditeurs d’un journal, d’une radio ? Comment étaient posées les questions ?

Les illustrations et graphiques, qui servent à simplifier la compréhension d’un énoncé, doivent être analysés avec soin afin de vérifier qu’ils ne sont pas biaisés, trafiqués, ou bien qu’ils ne tendent pas à diffuser une compréhension erronée des données. En effet, en ce qui concerne les illustrations, l’échelle doit être proportionnelle aux données qu’elles présentent. Par exemple, en matière de graphiques, la courbe de Laplace-Gausse (en forme de colline) caractérise la plupart des lois de probabilité ou de statistique. Elle donne un aperçu visuel des mesures centrales (moyenne ou médiane, valeur la plus haute, la plus basse, écart-type…). Par convention, sa hauteur mesure ¾ de sa longueur. Pourtant en étirant ou en réduisant en largeur le graphique, cette courbe peut sembler plus haute ou plus basse (tout comme les valeurs qu’il représente).

Ainsi, face à un document, le penseur critique doit analyser la source de l’information (auteur, méthode, objectifs…), contextualiser pour évaluer la pertinence de données chiffrées choisies (d’autres ne seraient-elles pas plus justifiées ?), analyser le traitement qualitatif et quantitatif de ces données (le choix des mesures centrales : moyenne plutôt que médiane, etc. ; déterminer la présence éventuelle de biais et paralogismes dans les conclusions tirées), évaluer les illustrations et graphiques (sont-ils trafiqués ?), évaluer la pertinence et la validité du sondage.

Partie II. La justification des croyances

Chapitre 3. L’expérience personnelle

L’objectif de tout penseur critique consiste à développer une réflexion rationnelle. Pour cela, il se fonde sur des connaissances. Tout l’enjeu réside ici dans sa capacité à identifier les mécanismes et règles par lesquels une vérité, un « savoir », une opinion vraie et justifiée peuvent réellement émerger. Les trois sources de connaissances sont ici présentées à travers l’expérience personnelle, les sciences et les médias.

L’expérience personnelle est la source de connaissance que l’on estime de prime abord la plus certaine, grâce à notre capacité de perception. Il faut toutefois mettre en doute cette certitude. En effet, la « perception » constitue une construction mentale. Elle naît à partir d’informations sensorielles reçues et prend corps grâce aux inférences que l’on réalise en fonction d’un « savoir » acquis. Cette perception peut cependant nous jouer des tours par le mécanisme de la « constante perceptuelle ». Par exemple, nous percevrons toujours une pomme comme un objet rouge, même si la lumière change, car le « savoir » a un impact plus important dans notre perception que l’information sensorielle. Le cerveau tend en effet à organiser et hiérarchiser les informations sensorielles reçues en fonction de connaissances acquises. Cet automatisme est à l’origine d’une autre tromperie de la perception : la « pareidolia », notre capacité à reconnaître des visages à travers des objets quelconques (sur Mars, dans les nuages, etc.).

Par ailleurs, notre cerveau peut également nous conduire à percevoir des phénomènes simplement parce que nous croyons ou voulons qu’ils existent, comme a pu le montrer l’expérience de Robert Wood concernant les rayons « N » du Docteur Blondlot. Cette expérience a prouvé que ces rayons n’existaient pas, mais que le Dr Blondlot les percevait clairement, car il était convaincu de leur existence : il s’agit d’une « distorsion perceptive ».

La légitimité de notre expérience personnelle peut également être perturbée par le fonctionnement de notre mémoire. Celle-ci est influencée par nos attentes, nos désirs, nos croyances, mais aussi par le contexte, au moment duquel il s’agit de se remémorer quelque chose. L’expérience d’Élisabeth Loftus a ainsi démontré que la tournure subjective d’une question modifie notre souvenir. Cette tournure requiert en effet de mobiliser des éléments qui, en temps normal, n’auraient pas été présents dans notre mémoire. De même, si une personne ajoute des éléments à un événement ou un fait dont on a le souvenir, ces éléments vont inconsciemment s’immiscer dans le souvenir que l’on a de cet événement. C’est ainsi que certains psychothérapeutes parviennent à ce que des patients se « remémorent » des traumatismes, par exemple sexuels, alors que ces derniers ne se sont en réalité jamais produits.

Enfin, porter un jugement sur un fait, source de toute opinion personnelle, est, là encore, loin de pouvoir constituer un « savoir » véridique, quand bien même un individu aurait été témoin ou acteur de ce fait. Cette faculté de juger de manière objective est entravée par plusieurs phénomènes. La dissonance cognitive, tout d’abord, apparaît lorsque nos croyances, profondément ancrées, se heurtent brutalement à la réalité des faits. Le cerveau trouve alors des biais pour comprendre et accepter la situation, c’est-à-dire sortir de cet état de tension, de cette dissonance cognitive. Par exemple, lorsque Staline fut confronté à la fuite des paysans des kolkhozes, il n’en a pas conclu que le modèle communiste ne fonctionnait pas, ses croyances le lui interdisaient. Il soutint qu’il s’agissait d’un succès et incrimina les fauteurs de trouble.

D’autres biais perturbent également notre jugement. Le biais de confirmation, découvert par Peter Wason, montre que le cerveau se dirige plus directement vers ce qui vérifie sa thèse que vers ce qui la réfute. L’Effet Pygmalion explique que les attentes envers la réalisation d’un événement influent sur le comportement et les compétences d’un individu, lesquelles tendent à réaliser cet événement. L’expérience de Milgram réalisée entre les années 1950 et 1960, a, quant à elle, mis en lumière la propension des individus à se soumettre à l’autorité quand bien même l’ordre reçu est en contradiction avec leur conscience. De même, l’expérience de Ash a démontré l’attitude moutonnière des individus et comment, sous la pression du nombre et du groupe, les individus se conforment à l’exécution d’une action sotte et qu’ils savent telle.

Chapitre 4. La science empirique et expérimentale

L’épistémologie est l’étude des processus d’étude, des méthodes, et de la validation des résultats des sciences. Les sciences ont pour objet la découverte du réel et la constitution d’un « savoir » vrai. Pour attester de la validité d’une découverte de manière irréfutable, il existe une méthode servant de preuve catégorique dans la mesure où elle est reproductible : l’expérience.

On distingue trois méthodes d’expérimentation. L’expérimentation avec contrôle des variables tout d’abord, consiste à réaliser plusieurs fois la même expérience en supprimant à chaque essai un élément, pour déterminer ce qui cause l’accomplissement d’un événement.

Ensuite, l’expérimentation avec groupe de contrôle vérifie l’impact d’une découverte. Il s’agit de constituer deux groupes, l’un « expérimental », l’autre « de contrôle », pour comparer la validité d’une proposition. Pour que cette expérience soit valide, ces deux groupes doivent être identiques et ne pas avoir connaissance du groupe duquel ils font partis. Une expérience, par exemple, a été conduite pour déterminer le caractère paranormal d’une certaine pyramide censée capter les énergies et, en l’occurrence, rallonger la durée de vie de lames de rasoir. Deux groupes de lames de rasoir sont constitués, l’usage est similaire, un groupe est entreposé dans cette pyramide après chaque usage. Finalement, l’expérience révèle qu’elles s’usent de manière équivalente.

Le dernier type d’expérimentation est dit en « double-aveugle ». En plus des sujets de l’expérience, les personnes l’encadrant ou qui analysent les résultats sont également laissés dans l’ignorance des caractéristiques des groupes étudiés (expérimentaux ou de contrôle). Cette méthode peut être pratiquée au stade expérimental d’un traitement médical. Les volontaires ne savent pas s’ils reçoivent le traitement ou le placebo et les médecins qui analyseront les résultats ne sauront pas si le sujet a reçu ou non le traitement ou le placebo. Cette expérimentation assure une plus grande validité, car le résultat de l’expérience ne peut être biaisé.

La méthode fondée sur l’expérimentation, dite hypothético-déductive, permet d’obtenir un résultat valide, mais qui peut à tout moment être remis en question par de nouvelles découvertes. Certaines sciences ne peuvent pas faire appel à l’expérimentation, mais seulement à l’observation, puis au classement, et éventuellement à l’élaboration de lois ou de théories issues de généralisations. La validité des résultats provient alors d’une évaluation par les pairs. Ces sciences empiriques sont soit formelles, si elles reposent sur l’élaboration de propositions (mathématiques), soit factuelles, si elles reposent sur l’observation des phénomènes naturels (biologie, chimie, zoologie, etc.). Elles présupposent l’existence d’un monde réel indépendant de l’être humain et de découvertes liées à des éléments observables, vérifiables objectivement et communicables. Elles se distinguent en cela des « proto-sciences » telles que les sciences humaines (économie, sociologie, politique, psychologie, histoire…) et des pseudosciences (astrologie, médiumnité, etc.).

Malgré cela, les sciences empiriques ne sont pas immunisées contre les vices humains (notamment la corruption) et le contexte économique, social et politique. Ainsi les fraudes dans les recherches scientifiques sont très nombreuses. 52 % de ces fraudes sont concentrées dans le milieu médical. Les exemples qui l’attestent ne manquent pas. Citons seulement l’industrie du tabac qui finança des études médicales prouvant le caractère non cancérigène de la cigarette.

Par conséquent, face à un document scientifique, il est important de s’intéresser à l’auteur (chercheur sérieux ? Présence d’un commanditaire ?), à la revue où le document est publié (réputation ?), à la problématique (biaisée ? Présence de présupposés ?) à la méthode utilisée (échantillon représentatif ? Choix de l’expérience ? Limites éventuelles ?) et enfin à la conclusion (quelles autres interprétations possibles ?)

Chapitre 5. Les médias

Traditionnellement, les médias sont considérés comme un organe d’information neutre et objectif. Pourtant dans le monde occidental, ils sont aujourd’hui accusés de mettre en scène les informations et, de cette manière, de transformer les citoyens en simples spectateurs de la vie politique.

Les médias sont intimement liés aux agences de relations publiques auxquelles font aussi appel les entreprises, les groupes de pression, les gouvernements ou tout groupe souhaitant influencer largement la population. L’exemple du témoignage public de Nayirah al-Sabbah en 1990 est révélateur de la puissance de ces agences : cette prétendue infirmière d’un hôpital koweïtien racontait, devant le Congrès, comment son hôpital avait été attaqués par les forces iraqiennes. Cette jeune fille était en réalité la fille de l’ambassadeur du Koweït. Le Koweït avait demandé à l’entreprise Hills and Knowlton, pour un montant de 10 millions de dollars, de mettre en scène cet épisode, afin de préparer l’opinion américaine à l’entrée en guerre contre l’Irak.

La Commission Creel, instaurée durant la Première Guerre mondiale pour préparer les esprits à l’entrée en guerre des États-Unis, est la mère des firmes de relations publiques. Selon l’un de ses membres, Walter Lippmann, son objectif était de permettre au gouvernement de créer le consentement de la population. Plus tard, Edward Bernays, qui perfectionna ce type d’entreprise en améliorant les méthodes de propagande, définissait cette activité comme l’art de discipliner l’esprit du peuple. Si la démocratie existait bel et bien, elle ne devait pas empêcher l’élite (politique ou financière) de gouverner ; le peuple étant incapable de connaître son intérêt.

C’est ainsi que ces firmes se spécialisèrent dans l’art d’orienter la pensée de la population au bénéfice d’intérêts privés ou gouvernementaux. Elles créent le lien entre la vie démocratique théorique (l’illusion de toutes les libertés qui l’accompagne) et la vie démocratique réelle (les choix de la population sont orientés par les élites), via les médias. Par exemple, Edward Bernays parvint à augmenter les ventes de cigarettes en faisant de celles-ci un élément émancipateur pour les mouvements féministes. Il intégra certaines complices, fumant au sein d’une manifestation. Dans une société, où voir une femme fumer était très mal considéré, cet acte devint symbole d’émancipation de la femme.

Les médias sont aujourd’hui d’autant plus assujettis aux élites qu’ils sont désormais soumis aux lois du marché et par conséquent à un certain nombre de limites liées directement ou indirectement à une question de « rentabilité ». Lorsqu’une poignée d’individus se partage les actions de la totalité des médias de masse (incluant le cinéma), aucune idée risquant de fragiliser le système sur lequel ces élites ont construit leur domination ne peut circuler. Ainsi, si l’information ne provient pas d’un groupe de pression, du gouvernement, d’une entreprise ou d’une agence de presse, les autres sources d’informations procèdent d’une sélection qui s’opère au fil du temps. Les voix discordantes sont peu à peu écartées pour ne conserver que les sources extérieures qui seront en accord avec la doxa. Les individus consultés régulièrement acquerront alors le statut « d’expert » et une réputation de « fiabilité » dans les médias.

La nécessité de rentabilité les rend également à la merci des annonceurs. En effet, la publicité représente 70 % des revenus d’un journal et 90 % d’une chaîne de télévision. Cette exigence implique que les médias garantissent un haut niveau d’audience. Certains programmes ne servent ainsi qu’à cela, garantissant ainsi que les lecteurs ou auditeurs seront exposés aux annonces publicitaires. C’est ainsi qu’un arbitrage s’opère entre les sujets abordés et du traitement réservé à chacun de ces sujets. À cet égard, le site Project Censored a recensé les sujets qui n’ont pas été couverts par les médias. Pour l’année 2004 au Canada, on y trouve par exemple : la commercialisation des élections, la création d’un virus mortel par les États-Unis, l’espionnage de citoyens par des agences de sécurité, le procès d’une veuve suite aux attentats du 11 septembre 2001 contre le gouvernement et autres nombreux sujets.

Face à cela, plusieurs attitudes peuvent être choisies. Par exemple, il est important de prendre l’habitude d’identifier les sources des informations. Dans le cas des « grands médias », celles-ci sont récurrentes. Or, pour accéder à une information objective, il est nécessaire de varier ses sources. Il est également essentiel de repérer les connivences et renvois d’ascenseur. Les journalistes ont ainsi leurs interlocuteurs privilégiés parmi les élites et réciproquement dans le monde médiatique. De même, il est nécessaire de porter son attention sur le traitement des sujets. À ce titre, retranscrire le nombre de mots ou chronométrer le temps consacré à certains sujets au sein d’un journal télévisé est une expérience instructive. Cette attention permettra en outre de repérer tous les paralogismes, les euphémismes, les biais de présentation des images ou des présentations scientifiques.

Conclusion

Il est important de garder un équilibre entre lucidité, scepticisme et ouverture aux idées neuves, à un idéal. Toute personne qui ne serait que critique deviendrait détestable. Toute personne qui serait exagérément ouverte, c’est-à-dire crédule, ne saurait discerner la valeur des propos, toute information étant d’une égale validité.

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