Qu'est-ce que la nation ? L'insaisissable définition

Le sentiment d’appartenance, qu’il soit familial ou national, ne se décrète pas. Il est fondé sur un legs antérieur à la conscience des hommes. Il est, pour cette raison même, de l’ordre de la spontanéité. Les individus le vivent dans leurs songes et dans leurs entrailles, dans leurs pensées et dans leurs veines, dans leur âme et dans leur corps.

Ils se représentent comme une partie intégrante d’un plus grand que soi qui mobilise leurs sens et les constitue dans leur identité : le Français sent résonner en lui quelque chose de familier quand il contemple Notre-Dame ou, bien plus banalement, lorsqu’il partage un pot-au-feu autour d’une bonne bouteille de Bourgogne ; de la même façon, l’Anglais vibre à l’évocation de la Grande Chartre de 1215 ou au moment d’entonner le God Save The Queen avant un match du Quinze de la Rose.

Les émigrés et, a fortiori, les exilés éprouvent, de leurs côtés, le sentiment national par la sensation d’un manque incompressible. Une composante innommable de leur être leur fait, plus ou moins consciemment, défaut. Elle est symbolisée, chez les uns, par l’art irremplaçable de la gastronomie ou par une certaine idée de la conversation alors qu’elle est condensée, chez d’autres, en une image anecdotique en apparence. Ils peuvent éventuellement retrouver, furtivement, cette part essentielle d’eux-mêmes dans telle chanson, tel tableau ou tel poème. Elle est, cependant, le mieux mesurée quand les exilés, enfin revenus sur le territoire national, disent simplement : « je suis de retour à la maison ».