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Phénomène qu’on pensait terrassé, l’inflation a fait son grand retour en 2021. Bien que le niveau du pic de 2023 ait été nettement inférieur à celui des grandes crises du XXe siècle, ses effets sur le pouvoir d’achat – et donc sur l’économie – ont été particulièrement négatifs en raison de la disparition des anciens mécanismes de protection des salariés. Désormais, l’inflation reflue, ce qui laisse espérer un retour à la normale en 2024, mais seulement si les problèmes géopolitiques ne créent pas de nouveaux troubles.
1- Une inflation en baisse, mais qui reste élevée
2- La boucle prix-salaires : l'argument pour laisser faire le marché
3- Les profits des grandes entreprises expliquent 50 % de l'inflation
4- Un impact important sur le pouvoir d'achat
5- Les tendances mondiales
Ce qu'il faut retenir
Jusqu’en 2021, l’inflation semblait appartenir au passé après trois décennies de modération des hausses de prix. Comme quoi, il convient de toujours tenir compte de possibles ruptures brutales des tendances historiques.
Rappelons tout d’abord que l'inflation » désigne l’augmentation annuelle de l’indice des prix à la consommation calculé par l’Insee, qui permet de savoir « de combien les consommateurs doivent augmenter ou diminuer leurs dépenses pour maintenir le même volume de consommation ». Il ne tient pas compte de l’évolution des prix à l’investissement, comme ceux de l’achat immobilier ou des achats d’actifs financiers par exemple. C’est un indicateur très important, car il permet par exemple de négocier les hausses de revenus (salaires, pensions de retraite) et de déterminer l’évolution du pouvoir d’achat ou de la croissance du PIB.
Une inflation en baisse, mais qui reste élevée
Après deux années de déclin, l’inflation française est donc repartie à la hausse mi-2021 : elle approchait déjà les +4 % en décembre 2021. Tirée par la hausse des prix de l’énergie, elle a aussi été causée par des difficultés d’approvisionnement dans cette période toujours marquée par le Covid, avec une demande qui repartait à la hausse, mais une offre qui restait faible. La guerre en Ukraine a rajouté une couche, toujours en raison des prix de l’énergie. Le pic de 7 % a été atteint en février 2023, et l’inflation a diminué depuis. Attention, cela signifie bien que les prix continuent à augmenter, mais simplement moins fortement qu’avant.
L’inflation sur 1 an reste à +3,4 %, ce qui est le double d’avant la crise. Si le mois d’août 2023 a révélé une mauvaise surprise avec une hausse des prix de +1 % durant ce seul mois – soit le niveau d’inflation pour toute l’année 2016 par exemple –, la bonne nouvelle est que les prix n’ont que très peu augmenté depuis septembre 2023. Cela signifie que le taux d’inflation sur 12 mois devrait mécaniquement baisser au printemps.
Le détail par produit montre qu’après une forte hausse, les prix de l’énergie se sont stabilisés à un niveau élevé. Au bout de plusieurs mois, ces prix élevés de l’énergie se sont diffusés à d’autres secteurs, alimentant de nouveau l’inflation. C’est particulièrement le cas pour l’alimentation, qui coûte désormais presque 35 % plus cher qu’en 2021.
Beaucoup de prix de production ont explosé
Plus en détail, l’inflation actuelle n’est donc plus causée par l’énergie, mais par les conséquences de la diffusion des prix de l’énergie et des hausses des coûts, en particulier dans le secteur de l’alimentaire, mais aussi désormais des services. L’Insee anticipe un retour à un niveau de +2,5 % cet été, porté essentiellement par les services.
En général, les sources et mécanismes de l’inflation sont complexes et font l’objet de débats passionnés. C’est en effet un mécanisme difficile à appréhender. Pour illustrer, imaginons une hausse de l’énergie de +50 % : au vu du poids de ce poste dans l’économie, cela induit une hausse immédiate de 5 points de l’inflation. En conséquence, les entreprises qui utilisent de l’énergie voient leurs coûts augmenter (donc leurs profits se réduire) ou même des pertes apparaître. Elles vont donc être obligées de répercuter ces hausses de charges en augmentant leurs prix de vente, ce qui impacte les consommateurs et les autres entreprises clientes, qui voient leurs coûts encore augmenter.
Il y a ainsi un cercle vicieux qui alimente sans cesse l’inflation. On le voit bien en analysant les prix de production : ils ont augmenté de +40 % dans l’agriculture et l’industrie, et de +30 % dans la construction.
C’est ce qui explique que l’inflation impacte différemment les secteurs économiques, l’alimentaire restant, hélas, le second poste le plus touché avec +16 % depuis août 2022.
C’est vraiment dramatique, car la nourriture coûte désormais tellement cher qu’on assiste à une baisse historique des volumes alimentaires vendus (en raisonnant donc à prix constants pour corriger l’inflation) avec toujours -11 % par rapport aux volumes de 2020. Un récent sondage indique que 60 % des ménages français ont réduit leurs dépenses alimentaires.
Cela explique ces chiffres terribles : désormais, près de la moitié des Français sont obligés de sauter un repas plus ou moins occasionnellement, dont près de 30 % régulièrement.
La boucle salaires-prix : l'argument pour laisser faire le marché
Quand l’inflation perdure à un niveau élevé, les salariés exigent des augmentations de salaire pour ne pas perdre de pouvoir d’achat, ce qui augmente encore les coûts des entreprises, qui les répercutent sur leurs prix et alimentent ainsi l’inflation. C’est ce qu’on appelle la boucle salaires-prix. Une fois enclenché, ce processus inflationniste est long, complexe et douloureux à arrêter.
C’est pour cette raison que la BCE, aveugle quant à la réalité de la boucle prix-profits – appelait dès le début de la crise à ne pas indexer les salaires sur les prix. Ce mécanisme d’indexation a existé en France jusqu’en 1983, quand Jacques Delors l’a supprimé pour terrasser la forte inflation, avec succès. Ceci illustre le problème de l’inflation : on n’en sort jamais sans douleur, c’est-à-dire sans perte de pouvoir d’achat et d’emploi. C’est bien pour ça qu’il faut tout faire pour éviter une forte inflation, en particulier en ne faisant pas n’importe quoi avec la monnaie…
La lutte contre l’inflation est en effet le seul objectif légal de la Banque centrale européenne. Et pour ce faire, elle n’a pratiquement qu’un seul outil à sa disposition : la gestion des taux d’intérêt, qu’elle n’a de cesse d’augmenter. Les taux à court terme sont ainsi actuellement à 4,5 % – un niveau inconnu depuis 25 ans. Le but de la BCE est de pénaliser le crédit, donc les investissements, donc l’activité économique, afin de faire augmenter le chômage dans le but de diminuer les hausses de salaire, et donc l’inflation.
Cette politique est souvent dénoncée comme étant anti-sociale – ce qui est en effet son but. Mais il y a peu d’alternatives, une inflation qui perdure diminuant le pouvoir d’achat, ce qui est aussi très anti-social. Si une indexation des salaires avait lieu, il est possible que cela entretienne l’inflation (mais nous allons voir un contre-exemple). Si les salariés en souffraient moins, cela ne serait pas le cas des autres catégories sociales, comme les retraités, les fonctionnaires, mais aussi les indépendants et les agriculteurs. Mais surtout, cela dégraderait la compétitivité internationale du pays et la valeur de la monnaie, donc le pouvoir d’achat international. Il en résulterait à terme une récession, une perte de pouvoir d’achat et plus de chômage. Bref, face à l’inflation, les dirigeants n’ont à leur disposition que de mauvaises solutions…
La politique actuelle de la BCE pourrait permettre de mieux rémunérer l’épargne, comme le livret A, mais les taux restent inférieurs à l’inflation, ce qui n’est pas juste pour les petits épargnants. Et surtout, elle est en train de faire éclater la folle bulle immobilière, les prix baissant fortement, ce qui permettra à terme d’acheter plus facilement un bien (quitte à renégocier dans le futur son taux de crédit à la baisse).
Mais cette politique de la BCE passe à côté d’un phénomène important, une autre source d’inflation pérenne : la boucle prix-profits.
Les profits des entreprises, responsables de près de la moitié de l’inflation
Les profits des grandes entreprises sont en forte hausse. Ces dernières profitent de l'inflation pour faire grimper leurs prix bien au-delà de leurs augmentations de coûts. Et ce phénomène est resté très fort en 2023.
Ainsi, près de la moitié de l’inflation en France a été causée par des hausses de profits. Ce phénomène joue encore plus que les hausses de salaire. Il est très présent en Europe et faible aux États-Unis. S’il peut dans certains cas être compréhensible en France – puisque les profits avaient baissé en 2021 et 2022 – on constate malgré tout des hausses de profits totalement injustifiables, que ce soit en France ou dans la plupart des pays voisins.
Il est donc important que le gouvernement se saisisse du sujet des superprofits, dont nous avons parlé dans cet article. Ils ne concernent d’ailleurs qu’une partie des entreprises, principalement des secteurs de l’énergie et de l’alimentaire.
Cette hausse moyenne des profits ne doit pas faire oublier que beaucoup de petites et moyennes entreprises souffrent de l’inflation et de ses conséquences économiques : les faillites ont ainsi beaucoup augmenté ces derniers mois, revenant au niveau de 2009.
Un impact important sur le pouvoir d’achat
L’évolution du pouvoir d’achat résulte donc de la différence entre le salaire perçu et l’inflation. Si on s’intéresse au salaire mensuel de base, la situation est problématique depuis 2021.
Plus largement, si on prend l’ensemble des salaires, l’évolution du pouvoir d’achat par personne est exceptionnellement mauvaise depuis 2021 avec de nombreux soubresauts.
La plupart des pays de l’OTAN ont été lourdement frappés par l’inflation, en particulier l’Europe de l’Est. Le phénomène inflationniste a été bien plus modeste en Suisse par exemple.
La Belgique vient de retrouver une inflation d’environ +3 %. C’est remarquable, car c’est un des rares pays où les salaires restent indexés sur l’inflation. Comme quoi, la spirale salaire-prix, bien que réelle n’est pas systématiquement handicapante pour l’inflation nationale (en Belgique, l’inflation dans le secteur des services reste élevée). Ce pays est donc le champion du pouvoir d’achat de la zone euro : il y a augmenté de plus de 7 % depuis un an, alors qu’il reste en décroissance dans la plupart des pays de la zone.
Le bilan reste toutefois dramatique pour le pouvoir d’achat des salariés – calculé sur la base du salaire horaire –, qui reste loin, voire très loin, de son niveau de 2020 : -1 % en Belgique, -5 % en France, -12 % en Italie. C’est souvent en travaillant plus, que les salariés ont limité la perte finale de leur pouvoir d’achat – au grand profit de leur employeur.
Une inflation forte, mais bénigne par rapport aux grandes crises du passé
L’épisode inflationniste actuel est remarquable si on l’analyse sur les trois dernières décennies. Il est en revanche deux fois moins important que celui lié aux chocs pétroliers des années 1970 avec son pic à +14 %.
Cependant, si le pic d’inflation de 2023 n’a été « que » de +7 % en France contre +10 % en zone euro, c’est que les interventions du gouvernement pour limiter les hausses du prix de l’énergie ont entraîné une baisse de l’inflation de 2 à 3 points dans notre pays. Mais cette inflation « gagnée » a simplement été reportée sur plus de dette publique.
Ce « gros » épisode inflationniste des années 1970-1980 marque toujours les esprits, essentiellement parce que le temps a effacé le traumatisme majeur des années 1945-1948 où chaque année, l’inflation était de +50 %.
Le graphe ci-dessous illustre également la comparaison avec la situation au XIXe siècle, avant la création des banques centrales, avec un système monétaire basé sur l’or. Il en résultait l’impossibilité de très fortes inflations, mais avec en revanche de fréquentes petites périodes déflationnistes, ce qui aboutissait à une inflation quasi nulle en moyenne. Comme on le voit, le XXe siècle a été beaucoup plus agité au niveau de l’inflation, en particulier entre 1914 et 1950, surtout en Allemagne et en France.
Cela est dû aux larges créations monétaires durant les deux Guerres mondiales, qui ont été rendues possibles par la large utilisation du papier-monnaie par la population. Il était évidemment beaucoup plus compliqué de créer de l’or ou de l’argent précédemment. Rappelons cependant que les techniques, d’ampleur limitée, par lesquels les souverains altéraient frauduleusement la valeur des monnaies métalliques (non-purification, ajout de cuivre, rognage…) sont apparues en même temps que les monnaies, il y a 2 500 ans. Pour comprendre le lien entre l'inflation et la création de monnaie, nous vous renvoyons vers cet article sur la masse monétaire en France.
La comparaison avec les États-Unis est éloquente, car ils n’ont pas recouru à une large création monétaire au XXe siècle, ce qui leur a évité de connaître de douloureuses périodes d’hyperinflation. L’inflation annuelle moyenne y a été de +3 % au cours du siècle passé, contre près de +8 % en France – ce qui aboutit à des écarts colossaux en un siècle (x 20 contre x 1 500…).
Les tendances mondiales
La situation en janvier 2024 est la suivante : alors que la France avait connu une inflation parmi les plus faibles d’Europe, elle figure désormais parmi les pays les plus lents à voir refluer l’inflation.
Le Royaume-Uni connaît également ce problème, alors que les États-Unis, moins profondément touchés par les conséquences de la Guerre d’Ukraine, sont déjà revenus à un niveau normal.
Dans le détail, la baisse de l’inflation a été particulièrement rapide et marquée en Espagne et surtout en Italie :
La Suisse et le Japon, moins touchés par la crise inflationniste, ont également retrouvé des niveaux normaux d’inflation.
Enfin, la situation est plus contrastée dans les BRICS, avec une inflation qui reste très élevée en Russie en raison de la guerre, élevée en Inde et au Brésil et, beaucoup plus inquiétant, avec une inflation négative (déflation) en Chine.
Enfin, au niveau de l’inflation moyenne dans le monde, il apparaît que les +8 % d’inflation en 2022 ont été du même ordre de grandeur que celui des +10 % des années 1982, 1994 et 2008. Il semble donc à ce jour que, comme en 2008, la crise inflationniste aura heureusement été de relativement courte durée.
Monnaie et inflation
Pour terminer, revenons sur l’épisode inflationniste de 1938-1945. En cumulant ces années (dont les 4 ayant dépassé les +45 %), il apparaît que l’inflation a alors dépassé les 1 000 %, ce qui signifie une division par 10 de l’épargne et des rentes. Cela a ruiné les systèmes d’épargne retraite par capitalisation, et a largement participé à la création de la Sécurité sociale, gérée en répartition, seul système à même de garantir le pouvoir d’achat à très long terme.
Un tel traumatisme – qui avait été causé par une création monétaire débridée pour financer la reconstruction du pays – a entraîné par la suite une gestion rigoureuse des finances publiques et une cessation de la création monétaire par la banque centrale jusqu’en 2015-2020…
Si la raison majeure de l’inflation récente a été le choc énergétique, la création monétaire n’est pas sans lien avec celle-ci : elle a permis de financer une large spéculation sur les prix, qui ont ainsi été tirés par le haut, et ont donc généré une inflation majorée. Que la guerre en Ukraine entraîne une hausse des prix de l’énergie, c’est normal ; mais que les prix augmentent de +50 %, ça n’a rien de naturel : c’est bien le résultat de flux spéculatifs provenant du secteur financier, nourri par l’argent créé par les banques centrales.
Après de lourds échecs entre 1910 et 1980, les banquiers centraux pensaient avoir trouvé la recette magique d’une inflation constamment faible, qui leur a probablement donné le sentiment de pouvoir de nouveau jouer avec la monnaie à la fin des années 2010. C’était une grave erreur qu’ils ne referont sans doute pas de sitôt.
Cela veut donc dire que le système financier et les États ne pourront plus compter à l’avenir sur des politiques de création monétaire. À eux de gérer seuls leurs propres risques désormais. Cependant, leur sentiment d’irresponsabilité, renforcé par une fréquente incompétence, laisse craindre de lourds problèmes dans le futur.
Ce qu’il faut retenir
La guerre en Ukraine a montré à quel point les économies bâties sur l’énergie fossile à bas coût sont fragiles face aux tempêtes géopolitiques. En quelques mois, la France est passée d’une inflation quasi nulle à une inflation de +7 % – bien moindre que dans d’autres pays européens grâce à une très forte (et très coûteuse) intervention de l’État.
Comme les prix de l’énergie se sont stabilisés à des niveaux élevés, l’inflation reflue actuellement, mais elle reste à des niveaux assez élevés. Les économistes s’attendent à un retour à des niveaux plus habituels d’ici la fin de l’année 2024, si d’autres problèmes n’apparaissent pas d’ici là.
Cette analyse graphique originale d'Olivier Berruyer pour Élucid est une mise à jour de notre suivi régulier et actualisé des grands indicateurs économiques.