Peuple, Pouvoir et Profits - Joseph Stiglitz

Depuis plusieurs décennies désormais, qu’il s’agisse du délitement démocratique ou de la baisse des revenus, les maux dont souffrent nos sociétés modernes se multiplient et la classe dirigeante ne semble pas s’en préoccuper.

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publié le 20/01/2023 Par Élucid
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Dans Peuple, Pouvoir et Profits. Le Capitalisme à l’heure de l’exaspération sociale (2019), Joseph Stiglitz s’efforce d’expliquer ce désintérêt de nos élites, rappelant l’importance d’une mobilisation pour empêcher l’effondrement de nos institutions, démocratiques ou économiques.

Ce qu'il faut retenir :

Le système économique qui s’est développé aux États-Unis a montré ses faiblesses. Les Américains ont favorisé la voie de la rentabilité, mais une rentabilité fondée sur l’exploitation, produisant de fortes inégalités, plus fortes que dans les autres pays développés.
Mais, il est encore temps de « sauver le capitalisme de lui-même » en développant des politiques orientées vers la prospérité générale. En s’appuyant sur l’État, et plus sur le secteur privé, il est possible de restaurer la démocratie, de rétablir les fondements de la richesse et d’assurer une vie décente aux citoyens américains.

Biographie de l’auteur

Joseph Stiglitz, né en 1943 dans l’Indiana, est un économiste américain. Il enseigne à la Graduate School of Business de l’Université de Columbia. Il a été membre du Conseil économique de Bill Clinton et économiste en chef de la Banque Mondiale entre 1997 et 2000.

Pourtant, il est l’un des critiques les plus virulents des institutions internationales économiques, spécialement de la Banque Mondiale et du FMI. Il dénonce le dogmatisme libéral de ces grandes institutions, appelant à réguler davantage la mondialisation.

Il est en effet l’un des représentants les plus connus de l’école du nouveau keynésianisme, courant de pensée selon lequel le marché, loin de s’équilibrer naturellement, présente de nombreuses imperfections. Afin d’améliorer le fonctionnement de l’économie, cette école appelle notamment à renforcer l’interventionnisme étatique.

Stiglitz a publié de nombreux travaux sur l’économie du travail, le marché du crédit ou encore l’économie industrielle. Ses travaux sur l’économie de l’information lui ont valu le prix Nobel d’économie en 2001.

Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.

Synthèse de l’ouvrage

Partie 1. Nous avons perdu notre route

Chapitre I. Introduction

En 1992, dans un ouvrage maintenant célèbre, The End of History, Francis Fukuyama prédisait la victoire totale et planétaire de la démocratie, marquant ainsi la « fin de l’histoire ». Presque trente ans plus tard, sa prédiction ne semble pas s’être réalisée. Le système capitaliste n’est ni aussi stable ni aussi efficace que l’on imaginait — comme le montre la crise de 2008, ou la répartition actuelle de la croissance. Alors que la mondialisation et la désindustrialisation ont provoqué des pertes d’emplois nombreuses, le capitalisme a, au contraire, profité aux plus riches. Les dirigeants des grandes entreprises n’ont eu aucun souci à développer leurs affaires, cela aux dépens de leurs (ex-)employés.

Cette évolution a provoqué une scission entre les élites au pouvoir et le peuple, caractérisée par la baisse du niveau de confiance du peuple envers ces dernières. La fracture a atteint son apogée avec la crise de 2008, lorsque les États ont apporté leur aide aux banques plutôt qu’à leurs citoyens. Cet évènement semble confirmer l’existence d’une entente entre les élites économique et politique afin de conserver leur suprématie sur les masses.

Pour sortir de cette situation insupportable, un changement sociétal profond est nécessaire. Au cours des quatre dernières décennies, la croissance a ralenti, les revenus ont stagné ou diminué pour les moins aisés tandis que ceux des plus riches ont augmenté de façon exponentielle, accroissant le fossé qui les sépare des masses. La véritable richesse des nations devrait résider dans la garantie d’un bon niveau de vie à l’ensemble de sa population, le maintien du plein-emploi et la participation aux efforts d’investissement pour l’économie et l’éducation. Une telle structure égalitaire, inspiré de l’esprit des Lumières, implique le respect des droits humains, l’instauration de contre-pouvoirs, la garantie de la justice et des libertés fondamentales, afin d’assurer le règne de la vérité. Avec un gouvernement véritablement bon, les décisions devraient être prises par un processus juste et équitable, évitant les choix intéressés et, de fait, injustes.

L’inégalité n’est pas viable – les économistes s’accordent sur cette question. Les pays inégalitaires sont en effet les moins performants. L’économie n’étant pas un jeu à somme nulle, lorsqu’une mesure a pour effet l’accroissement des inégalités, ses répercussions sur la croissance sont, sur le long terme, funestes.

Contre les thèses néolibérales qui chantent les bienfaits de sa suppression, l’imposition doit être rétablie. Les progrès technologiques financés par l’État grâce à l’impôt peuvent contribuer à soutenir l’investissement dans le secteur privé, à financer la recherche fondamentale et à agir en faveur du progrès des connaissances, essentiel à l’intensification de la croissance. Or, depuis les politiques d’offres mises en œuvre par Reagan, il y a, aux États-Unis, trop peu d’investissements dans la population, dans les infrastructures et dans la technologie. Tout semble reposer sur une confiance aveugle des marchés, qui sont ainsi peu réglementés.

Mais, depuis 2008, le monde a compris que le capitalisme à l’américaine n’était pas indestructible, d’une part, et d’autre part, qu’il profitait aux plus riches aux dépens des plus pauvres. C’est pourquoi « nous devons construire un nouveau contrat social qui permette à chacun, dans notre pays riche, de vivre décemment. »

Chapitre II. Vers une économie plus déprimante

Depuis longtemps, le système repose sur l’idée selon laquelle la rentabilité serait la fondation de l’économie. Cependant, le plus souvent cette rentabilité ne passe pas par la création de richesse, mais par une exploitation néfaste. Le passage d’une rentabilité fondée sur la création de richesse à une rentabilité fondée sur l’exploitation a constitué un changement de paradigme majeur du système capitaliste.

En 2018, la Banque mondiale a lancé un « indice de capital humain » dont l’objectif est de montrer la puissance d’investissement d’un État dans sa population. Les États-Unis se trouvent à la vingt-quatrième place, derrière l’ensemble de ses concurrents européens. Ce faible investissement a pour conséquence évidente la baisse du niveau de vie pour une grande partie de la population. Autrement dit, l’inégalité des revenus et l’inégalité des chances sont plus fortes aux États-Unis que dans tous les autres pays avancés. Le temps où les États-Unis étaient une « land of opportunity » semble révolu.

Pour unifier la nation américaine, il est indispensable de réduire ces inégalités, en particulier les inégalités liées à la race, à l’ethnie et au genre qui demeurent prépondérantes. Également, les inégalités en matière de santé doivent être combattues afin de rattraper le retard existant par rapport aux autres pays développés et d’augmenter l’espérance de vie de la population qui ne cesse de décliner. Mis en lumière par les prix Nobel d’économie de 2015, Anne Case et Angus Deaton, la baisse de l’espérance de vie chez les Américains, particulièrement chez les hommes blancs d’âge moyen sans instruction universitaire, pose un véritable problème. Les causes majoritaires des décès sont symptomatiques d’une société qui va mal : alcoolisme, overdose, suicide, et toutes ces « maladies du désespoir ». Ces maux sont intrinsèquement liés aux inégalités culturelles et d’accès à l’éducation. L’inégalité des chances ronge le pays. Seuls ceux qui naissent dans une bonne famille ont la possibilité de suivre des cursus scolaires glorifiants et les moyens de réussir dans ce système américain si spécifique.

En somme, l’économie américaine n’a pas fonctionné de la manière souhaitée et pensée originellement. Elle n’a pas permis à la majorité des citoyens d’augmenter leur niveau de vie. La croissance stagne, tout comme les revenus, alors que les inégalités ne cessent d’augmenter. En « laissant faire le marché », loin d’atteindre un équilibre juste, une frange extrêmement riche de la population a pu accaparer une grande partie des richesses du pays.

Chapitre III. Exploitation et pouvoir de marché

Selon l’idéal capitaliste, la concurrence est bénéfique. Malheureusement, ce n’est qu’un mythe. En réalité, la concurrence réduit les profits, créant un certain type de chefs d’entreprise. Ceux qui réussissent dans ce système exploitent leurs travailleurs en réduisant leur salaire, pour accroître leur pouvoir de marché. Augmentant leur poids économique, ces dirigeants sont en mesure de faire pression sur le pouvoir politique. Ils usent de leur influence pour affaiblir les syndicats ou pour faire barrage à certains projets de loi. L’enrichissement ne devrait pas être fondé sur ce type de comportement, mais plutôt sur l’innovation. Les États-Unis ont besoin de personnes qui créent de nouveaux produits ou de nouveaux biens qui rapporteront des profits tout en autorisant la redistribution. Il faut « créer de la richesse pour faire grandir le gâteau économique national », et pas pour enrichir quelques individus.

Les économistes pensent le revenu national comme un gâteau partagé en trois parts : le revenu du travail, le rendement du capital et le reste. Cette dernière part est essentiellement constituée de rentes. Cependant, ces rentes ne créent pas de richesse et ne profitent ni à la croissance ni à la productivité. Elles peuvent même être nocives parce qu’elles déforment les « bonnes formes d’activités économiques ». Elles sont orientées par certains dans leur quête de profit, aux dépens de la recherche fondamentale qui pourrait, quant à elle, fournir des biens et services.

En pratique, la part du revenu national et celle du capital qui vont aux travailleurs diminuent au profit du marché. Avec l’avènement de la mondialisation, le déclin endémique des syndicats et la non-concurrence, le pourcentage de vente et de recette des quelques entreprises quasi monopolistique augmente de façon exponentielle. Elles raflent le plus gros pourcentage du revenu national et deviennent plus rentables que jamais dans l’histoire. Selon David Baqaee de la London School of Economics et Emmanuel Farhi de Harvard, une réelle concurrence pourrait augmenter d’environ 40 % la productivité de l’économie américaine. En outre, l’argent amassé par ces entreprises n’est pas investi dans une innovation utile. Les efforts des entreprises se concentrent, non pas sur la création de nouvelles méthodes de fabrication, mais sur l’élaboration de mécanismes pour maintenir leur pouvoir de marché.

Dans le même temps, le pouvoir de marché des travailleurs a diminué, tout comme leur salaire. En effet, sur le marché des biens et services, le pouvoir de monopole permet aux entreprises de fixer des prix largement supérieurs au coût de production et supérieurs à ce qu’ils auraient été sans ce monopole. La même logique œuvre sur le marché du travail. Naturellement, ces entreprises cherchent à payer les travailleurs le moins cher possible afin d’accroître leur rentabilité. Elles s’efforcent ainsi d’affaiblir les syndicats en faisant barrage aux revendications salariales et à la lutte contre les abus patronaux.

Pour répondre à ces dérives, l’État doit se positionner et user des instruments de démantèlement de l’investissement au lieu de simplement prohiber les fusions d’entreprises et les pratiques anticoncurrentielles. Il faut encadrer le pouvoir de marché afin de rétablir une véritable concurrence économique. Les pratiques anticoncurrentielles doivent être interdites par la loi et considérées comme violant les lois antitrust. Il faudrait alors interdire les fusions qui pourraient réduire la concurrence sur le long terme. Aujourd’hui, seul le court terme est pris en compte. Les fusions interdites sont celles qui entraîneraient une importante réduction de la concurrence sur le marché existant. Or, les marchés sont dynamiques, en constante évolution. Il importe donc, lorsqu’on interdit une fusion, de prendre en compte les effets sur le marché tel qu’il va devenir, et pas seulement tel qu’il est.

Cette logique antitrust doit être élargie au marché de l’information. Avec un régime de droits de propriété intellectuelle plus équilibré et un marché encourageant l’innovation, la qualité de l’information s’améliorera naturellement. Or, la bonne information des citoyens est primordiale pour que la démocratie fonctionne correctement. Il faut impérativement en finir avec le système en place aujourd’hui, dans lequel la concurrence capitaliste a conduit au monopole du marché de l’information par quelques-uns. « Si une poignée de grandes compagnies ou de riches contrôlent tous les médias, leurs idées domineront le débat national. »

Chapitre IV. L’Amérique en guerre contre elle-même

La mondialisation est responsable de la crise économique américaine. Aux États-Unis, la mondialisation a désavantagé les travailleurs qui ont vu leurs salaires baisser drastiquement, alors que les accords commerciaux « ont servi les intérêts des grandes entreprises au détriment des travailleurs ». Partant de ce constant, deux camps s’opposent quant à la résolution de cette question : les mondialistes et les protectionnistes.

Donald Trump s’est fermement opposé à la mondialisation. Sa démarche a cependant un défaut majeur : celui de rejeter intégralement la faute sur le système mondialisé. En réalité, « nous » sommes coupables, « nous [qui] avons mal géré la mondialisation et le progrès technologique ». En se concentrant sur les quelques avantages de la mondialisation, nous n’avons pas su voir qu’elle avait impacté fortement l’emploi et les salaires des Américains. En effet, les importations ont détruit de nombreux emplois.

Le mythe de l’économie du ruissellement défendue par les partisans de la mondialisation et du libre-échange doit être déconstruit. La mondialisation a avant tout permis aux entreprises de profiter des rivalités interétatiques pour obtenir de plus faibles taux d’imposition. « Elles ont persuadé les gouvernements que, s’ils ne réduisaient pas leur taux d’imposition sur les sociétés, elles se relocaliseraient à l’étranger. » Les profits des entreprises ainsi obtenus n’ont pas profité à d’autres qu’aux ultra-riches. Ces derniers, entourés de conseillers compétents, ont pu placer leur fortune dans des paradis fiscaux, ou créer des montages financiers pour éviter l’imposition. Leur influence sur le pouvoir politique leur a permis de conserver ces avantages, en empêchant toute régulation. En effet, « la politique [et] la mondialisation sont inextricablement liées dans la genèse des problèmes d’aujourd’hui. ».

Suivant une logique protectionniste, les États cherchent à protéger leurs économies contre des produits financiers dangereux en provenance de l’extérieur. Cependant, pour les États-Unis le protectionnisme ne peut pas fonctionner puisque le pays importe plus qu’il exporte. La démondialisation promue par Trump ne peut que conduire à une disparition d’emplois qui dépendent de l’exportation. La démondialisation n’est pas viable. Nous sommes allés trop loin pour faire marche arrière. Il ne faut pas se retirer du système, mais le réformer en favorisant la coopération internationale – le seul remède aux guerres commerciales.

Chapitre V. La finance de la crise américaine

« Aucune économie moderne ne peut prospérer sans un marché financier fonctionnel au service de la société ». Ainsi, dès lors que le marché financier est manipulé pour servir l’intérêt d’une minorité, le marché entre crise – ce qui a été le cas aux États-Unis. Le renflouement post-crise de 2008 fournit une illustration exemplaire de la puissance de cette minorité, constituée par les sociétés financières. Alors qu’elles ont été à l’origine de la crise, l’État a agi pour les sauver, sans les tenir pour responsables.

Il est évident que notre système économique ne peut pas fonctionner si la confiance ne règne pas entre les différentes franges de la société, entre la frange des travailleurs et celle des dirigeants. Or, le système financier américain a négligé les domaines où l’intermédiation est nécessaire. Moins il y a d’intermédiation, plus il y a de paris sur les marchés financiers. Les paris se multipliant, s’appliquant même à la faillite des entreprise, le système a dérivé. L’État est responsable de cette dérive. En effet, les risques de ce type de pari ont été pris en charge par l’État, puisqu’on sait qu’il renflouera les banques en cas de grosses pertes. Ces dernières jouent ainsi sans risque : « si l’affaire tourne à leur avantage, elles empochent les profits, sinon, l’État vient les sauver ».

Avec la disparition des intermédiaires, l’argent peut passer directement du secteur des entreprises à celui des ménages les plus riches, sans redistribution. L’argent sortant des entreprises pour enrichir quelques individus, nous assistons à une baisse du taux d’investissement.

En privilégiant les gains à court terme, et en n’investissant pas suffisamment sur le long terme dans les technologies, dans la compétence et dans l’éducation, les dirigeants ont créé une économie à croissance lente. Cette « courte vue a infecté notre économie, notre politique et notre société ». Elle a accru la tendance égoïste de certains Américains, tout en annihilant leur idéalisme. Plus grave encore, les dirigeants politiques sont désormais « plus à l’écoute des banquiers que de ceux dont les systèmes politiques et financiers sont censés servir les intérêts ».

Chapitre VI. Le défi des nouvelles technologies

Le progrès technologique est une réalité à laquelle nous devons aujourd’hui faire face. La substitution de machines aux travailleurs entraîne à la fois une baisse des salaires – spécialement ceux des moins qualifiés – et une hausse du chômage. En utilisant des machines, les entreprises créent un nouvel écosystème dans lequel ces travailleurs-machines ne font pas grève, ne revendiquent pas de meilleures conditions de travail ou une augmentation de leurs salaires. Le facteur humain est sorti de l’entreprise. Cette situation est le produit d’une innovation non encadrée qui n’est plus dirigée vers la satisfaction de l’intérêt général.

Une autre conséquence est la création d’un marché pour les nouvelles technologies. Le marché du big data, rassemblant les géants de la tech, devient alors la préoccupation principale des autorités de la concurrence. Le ciblage des données permet de diriger l’attention des citoyens. En effet, l’économie du numérique « a donné plus de possibilités [aux entreprises] de cibler ceux dont elles pourront tirer profit par d’autres moyens ». En jouant sur l’émotion et le désir, les entreprises du big data pourraient dans un futur plus ou moins proche se faire une idée des dynamiques de marché — avec pour conséquence la possibilité d’ajuster leurs pratiques et leur marketing pour maximiser leurs profits. Il devient alors urgent de contrôler cet accès aux données pour protéger le citoyen.

Les compagnies du big data ne sont pas les seules menaces en matière de données. Depuis les différentes révélations faites par les lanceurs d’alertes, nous savons que l’État collecte également des données sur la vie privée de chacun. Or, « la vie privée, c’est du pouvoir. » Tant les États que les compagnies du big data l’ont bien compris.

L’idée qui revient avec insistance lorsqu’il est question de ces fameuses données est de « donner à chacun la propriété de ses données personnelles ». Cette mesure permettrait à chacun de conserver ses données ou alors de les vendre aux entreprises sous certaines conditions. Une seconde solution, plus radicale, serait de considérer les données comme un bien public et ainsi, accessible à tous. Les entreprises qui amassent ces données perdraient leur avantage.

Par ailleurs, l’accès à ces données facilité par les nouvelles technologies a eu un effet dramatique sur la démocratie. Si ces technologies ont créé un nouvel espace public, elles ont également permis de nouvelles ingérences. Il faut donc exiger la transparence des sources pour garantir une information fiable. Si « les journaux sont juridiquement responsables de ce qu’ils publient, les géants technologiques ont usé de leur influence politique pour ne pas l’être ». Ni la qualité ni la véracité des informations qui circulent sur leur plateforme ne peut être contrôlée.

Toutefois pour veiller à ce que ces contenus soient véridiques, et limiter la propagation de fake news, une collaboration entre les États semble nécessaire. Mais, bien que la mondialisation soit effective et souhaitée par les pays les plus puissants, tous n’ont pas les mêmes intérêts. Des divergences de point de vue existent ainsi en matière de vie privée, constituant un obstacle important. Nous nous dirigeons vers un « splinternet », un internet éclaté, où la Chine, les États-Unis et l’Europe ne partageront pas les mêmes cadres juridiques.

Chapitre VII. Pourquoi l’État ?

La Constitution des États-Unis est la preuve que les citoyens des États indépendants comprenaient la nécessité de l’action collective. Son Préambule contient la déclaration suivante :

« Nous, le Peuple des États-Unis, en vue de former une Union plus parfaite, d’établir la justice, de faire régner la paix intérieure, de pourvoir à la défense commune, de développer le bien-être général et d’assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, nous décrétons et établissons cette Constitution pour les États-Unis d’Amérique. »

Ce n’est qu’ensemble que les Américains peuvent réaliser l’ensemble de ces buts. Ils ont un intérêt commun à s’unir. Cependant, cet intérêt est parfois entré en conflit avec l’individualisme américain. Pour garantir un fonctionnement social harmonieux, il est ainsi nécessaire de trouver un équilibre entre action individuelle et action collective. Si certains biens doivent rester dans le cercle privé de chacun, d’autres bénéficient à tous et doivent être fournis collectivement. La Défense en est l’exemple le plus probant. Nous avons besoin d’un État qui organise au mieux la production et la fourniture des services en reprenant le pas sur le privé. L’idée selon laquelle le secteur privé sera en toute circonstance « meilleur que l’État est fausse et dangereuse ».

Les opposants à l’intervention étatique affirment que l’État est un mauvais remède aux maux sociaux. Mais, en nous passant de l’État, nous sommes condamnés à « retourner dans la jungle ». En structurant la société, en émettant des règles, l’État empêche qu’une minorité profite du reste de la population. De surcroît, les marchés, orientés exclusivement vers le profit, ne sont pas capables de préserver l’environnement, d’investir dans l’éducation et dans la recherche.

« La confiance ne peut exister que si l’on est convaincu que le système politique est juste, que nos dirigeants ne travaillent pas dans leur seul intérêt personnel ». Or, le système crée tellement d’inégalités en matière de justice, de revenu, de fortune et de pouvoir, qu’il est normal que le peuple ne l’accepte pas.

Partie 2. Reconstruire la politique et l’économie des États-Unis, la bonne voie pour avancer

Chapitre VIII. Restaurer la démocratie

Les Américains ont vu deux des trois derniers présidents accéder au pouvoir en étant minoritaires en voix. Cette domination de la majorité par une minorité apparaît profondément antidémocratique. Pour restaurer la démocratie, il faut repenser le vote pour qu’il soit véritablement démocratique.

En maintenant notre système de contrôle et de contre-pouvoirs, nous pourrons empêcher les abus par le pouvoir politique. « L’objectif de la démocratie est de faire en sorte qu’aucun personnage ni aucun groupe n’ait un pouvoir excessif ». Cependant, les républicains ont usé des mécanismes à leur disposition pour s’installer au pouvoir de façon pérenne. Ils sont parvenus à investir la Cour suprême pour s’assurer, s’ils venaient à être évincés du pouvoir, qu’ils ne le seraient pas véritablement. Une mesure importante serait de limiter dans le temps le mandat des juges de la Cour Suprême — aujourd’hui élus à vie.

Le défaut le plus flagrant du système tient aux forts liens entre pouvoir et argent. Ceux qui disposent de moyens financiers importants l’utilisent pour entrer dans le système politique et augmenter encore leur capital. Face à ce phénomène, il est nécessaire de limiter le pouvoir de l’argent en réduisant le besoin de financements privés, en accroissant la transparence et en limitant les contributions d’autres sources d’influence des puissances d’argent. En outre, il faudrait égaliser les dépenses de campagne pour que plus de candidats aient l’opportunité de présenter au peuple leur vision politique et leur programme.

Chapitre IX. Restaurer une économie dynamique qui offre à tous des emplois et des chances

Pour restaurer l’économie, il faut prendre en compte les mutations sociétales afin de rétablir les fondements de la richesse présentés au chapitre 1. Il faut également faire face aux défis du XXIe siècle que sont l’économie de service innovante et la protection de l’environnement. Pour faire face à ces défis, il faut s’intéresser à la façon dont sont gérés les emplois, à la possibilité de progression sociale et à la façon de protéger socialement les individus tout en respectant notre environnement.

En premier lieu, il faut noter que la population active est de plus en plus nombreuse, et que le taux de participation ne s’aligne pas sur cette augmentation. Les gens sont de moins en moins en bonne santé. C’est pourquoi il faut absolument repenser l’industrie alimentaire. Celle-ci est profondément nocive pour l’être humain, usant de trop nombreux additifs et autres produits chimiques.

Deuxièmement, il semble nécessaire de créer une véritable société de l’apprentissage. « La véritable source de richesse d’un pays passe par ses gains de productivité et son niveau de vie ». Or, pour augmenter la productivité, il faut encourager la recherche, notamment par l’élaboration d’une politique fiscale pour financer les universités. En parallèle, il faudrait taxer les entreprises américaines qui n’investissent pas aux États-Unis, ne créant ainsi pas d’emplois. Cette taxe permettrait alors de financer l’investissement dans la technologie et la science.

En outre, il est urgent de s’occuper de la protection sociale – l’un des principaux facteurs de dégradation du bien-être individuel – et par conséquent, de la croissance et de la productivité. Pour cela, il faut assurer le plein-emploi en investissant dans les infrastructures. Les investisseurs privés, attirés par un cadre optimal garantissant de bons rendements, seront incités à s’impliquer davantage. Autrement dit, la dépense publique encouragera la dépense privée. L’État doit également s’engager à proposer un emploi si l’individu n’en a pas trouvé sur le marché sur lequel il évolue ou si les politiques budgétaires et monétaires n’y sont pas parvenues non plus.

Enfin, il faut s’intéresser au rôle de la transmission intergénérationnelle de l’avantage et du désavantage. Ceux qui sont parvenus à avoir suffisamment de revenus et un capital culturel important souhaitent transmettre cette éducation à leurs enfants afin de les avantager, perpétuant l’inégalité sur plusieurs générations. Une solution évidente serait de mettre en place un système d’enseignement public, gratuit et d’excellence afin de mettre chacun sur un pied d’égalité. Cela permettrait, de surcroît, de promouvoir une certaine cohésion sociale. De même, il faut mettre un terme à toute forme de discrimination, qu’elles soient raciales ou sexuelles.

Chapitre X. Une vie décente pour tous

Lorsque l’on constate que, dans le pays le plus prospère au monde, les salaires de la majorité de la population stagnent ou baissent, il est clair que les États-Unis sont en difficulté. Dans l’histoire, les autres pays ont appris des États-Unis, imitant les innovations américaines ; au tour des États-Unis de s’inspirer de l’étranger pour améliorer les secteurs dans lesquels leur système présente des lacunes.

En premier lieu, il est nécessaire de garantir l’accès aux soins médicaux pour tous. Obama avait proposé l’Affordable Care Act, inaugurant, pour la première fois dans l’histoire du pays, un programme de sécurité sociale à l’échelle nationale. Cependant, Trump et son administration ont supprimé l’obligation individuelle de s’assurer rendant l’Obamacare désuet. Les dirigeants républicains freinent volontairement toute mesure dont l’optique est de satisfaire l’intérêt général.

Également, il est impératif de régler la question de la retraite. Aujourd’hui, le système de retraite américain fonctionne par répartition. Chaque travailleur américain peut bénéficier d’une pension de retraite de base versée par la Sécurité sociale américaine. En complément, les travailleurs américains souscrivent selon leurs moyens à des fonds de pension professionnels pour lesquels ils cotisent tout au long de leur carrière. Cependant, en l’état actuel, les Américains n’ont pas les moyens de déposer plus que ce qu’ils donnent déjà à la Social Security. En proposant une option publique pour la retraite, les dirigeants créeraient alors une concurrence à l’option privée. En conséquence, les fonds s’appliqueraient davantage à trouver de meilleurs produits financiers, tout en réduisant leurs coûts de service.

Un dernier point, et pas des moindres, tient au système éducationnel américain, hautement impliqué dans la montée des inégalités. À nouveau, il est question de reproduction sociale. En effet, aux États-Unis, le système scolaire repose en grande partie sur l’impôt local. Ainsi, les enfants des quartiers riches ont accès à de meilleures conditions d’enseignement que les enfants des quartiers plus pauvres.

En ce qui concerne l’ensemble de ces demandes élémentaires, le capitalisme « a trahi de vastes composantes de notre population ».

Chapitre XI. Reprendre l’Amérique

Avant de faire face à l’ensemble des maux dont souffre l’Amérique, il nous faut examiner nos valeurs et reconnaître que notre classe politique nous met en danger.

L’économie modélise souvent l’individu de façon trop simpliste. L’individu n’est pas seulement un être égoïste et matérialiste. Si l’être humain souhaite amasser de l’argent, ce n’est pas par cupidité ou par avidité outrancière de biens matériels. L’être humain tend également à admirer la gentillesse, la générosité, l’entraide, l’attention. Nous voulons plus que l’amas de richesses. « Nous sommes beaucoup plus complexes que l’Homo economicus si bien étudié par les économistes. »

L’attachement à la démocratie est au fondement des valeurs américaines. Or, pour garantir un fonctionnement social proprement démocratique, le débat public doit être dirigé par la raison. Si les dérives du capitalisme ont conduit à remettre en cause la science ou la technologie, les Américains ont conscience que ce sont des domaines essentiels pour comprendre le monde et avoir un débat public de qualité.

Pour restaurer un débat public raisonné, il faut restructurer l’État selon l’idée que se faisaient les Pères fondateurs. Ils avaient compris qu’il fallait « construire un système de gouvernement qui garantirait les libertés individuelles, mais qui les mettraient en balance avec l’intérêt collectif ». À cette fin, l’État doit assurer une protection sociale efficace – ce que le marché n’est pas capable de faire. Pour améliorer la qualité de vie de chacun, il faut s’appuyer sur deux piliers : la compréhension de la société afin de l’organiser et la compréhension de la nature de la société pour la faire évoluer. Ces deux piliers ont été fragilisés par les multiples attaques engagées par l’administration Trump.

Si les États-Unis se retrouvent dans cette situation, ce n’est pas le fruit du hasard. Des années de politiques économiques libérales dans l’intérêt exclusif des élites sont à l’origine de ces dérives. Les États-Unis ont fait fausse route économiquement et politiquement. « Une économie distordue et une politique distordue ont été soutenues par des valeurs distordues et les ont exacerbées ».

Pour se sauver, il faut entamer ce programme alternatif dont l’objectif final est de « développer la prospérité générale ». L’État au cœur de ce projet doit soutenir et unir l’ensemble de la population derrière un idéal commun. « Il n’est pas encore trop tard pour sauver le capitalisme de lui-même ».

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