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Alors que l’Allemagne attire massivement des liquidités de ses partenaires européens, l’Espagne et l’Italie voient ces liquidités quitter leur territoire.
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Le système TARGET2 permet aux banques commerciales de réaliser des transactions financières au sein de la zone euro via l’Eurosystème, composé des banques centrales des pays membres de la zone euro et piloté par la Banque centrale européenne.
L’Allemagne, de loin le premier pays excédentaire
Les soldes TARGET2 des banques centrales nationales de l’Eurosystème sont les dettes et les créances générées entre ces dernières. Ils matérialisent notamment les déséquilibres des balances commerciales entre les 24 pays participants à TARGET2, mais représentent plus largement les soldes des mouvements d’euros émis dans un pays de la zone euro vers un autre pays.
Ainsi, si une banque centrale nationale affiche un solde TARGET2 positif, cela signifie que le pays a plus reçu d’euros venant de pays étrangers qu’il n’a envoyé d’euros chez ces derniers, par exemple parce qu’il exporte beaucoup ou émet des prêts à destination d’entreprises étrangères. À l’inverse, si une banque centrale nationale affiche un solde TARGET2 négatif, cela signifie qu’elle envoie plus d’euros vers d’autres pays de la zone qu’elle n’en reçoit, par exemple parce que les agents du pays achètent beaucoup de produits étrangers ou placent leur argent dans d’autres pays de la zone euro.
Avant 2008, les soldes TARGET étaient quasiment nuls : en cas de besoin, les banques se refinançaient directement sur le marché interbancaire, sans l’intermédiaire de la BCE et du système TARGET. À partir de la crise de 2008, les banques sont devenues réticentes à se prêter entre elles, et ont commencé à avoir massivement recours aux financements proposés par la BCE.
Cette dernière avait en effet commencé à émettre massivement des LTRO afin d’injecter des liquidités sur le marché et éviter une paralysie du marché interbancaire, qui aurait pu mener à une grave crise financière et à une déflation. C’est donc à ce moment que les soldes TARGET2 ont commencé à gonfler.
Quatre pays affichent un solde positif depuis 2008, et captent donc une grande partie des liquidités transférées via le système TARGET2 :
- L’Allemagne est de loin le pays d’Europe dont le solde TARGET2 le plus largement excédentaire : en novembre 2021, il est ainsi de +1106 milliards d’euros, son plus haut niveau historique, soit 30 % du PIB allemand. Cela représente une multiplication par 15 depuis début 2008. Ce gonflement du solde allemand est d’abord dû aux dépôts effectués par un grand nombre d’entreprises de certains pays du sud de l’Europe (Italie, Espagne, Grèce) auprès des banques allemandes à partir de 2008.
Les entreprises de ces pays — qui faisaient face à une crise de leurs dettes souveraines — jugeaient en effet que l’Allemagne était un pays « sûr ». Par ailleurs, ce solde s’explique par l’important excédent commercial de l’Allemagne, qui exporte de nombreux produits vers les autres pays européens et récupère ainsi des liquidités. Le solde TARGET2 allemand atteint ainsi 703 milliards en septembre 2012.
Après une contraction du solde allemand entre septembre 2012 et août 2014 — due à une diminution générale du montant des liquidités fournies par la BCE — il réaugmente pour atteindre 900 milliards en novembre 2018. Après une légère contraction en 2019, la crise du Covid-19 pousse la BCE à renouer avec une politique accommodante via le Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP) qui fait réaugmenter le solde TARGET2 de l’Allemagne.
- Le Luxembourg enregistre un solde TARGET2 positif de +320 milliards d’euros en novembre 2021, le deuxième plus élevé d’Europe. Ce chiffre est cinq fois plus élevé que le PIB du Luxembourg, qui est de 64 milliards d’euros en 2020. Cela s’explique par la forte concentration d’acteurs financiers sur le territoire luxembourgeois. Depuis début 2008, le solde TARGET2 du Luxembourg a été multiplié par 14, sans connaître de période de contraction.
- Les Pays-Bas enregistrent un solde TARGET2 positif de +18 milliards d’euros en novembre 2021. L’évolution du solde hollandais est sensiblement la même que celle de l’Allemagne entre 2008 et 2014 : une augmentation jusqu’à 150 milliards d’euros en avril 2012, puis une contraction jusqu’en octobre 2014, où le solde est quasiment nul. À la différence de l’Allemagne, l’augmentation du solde hollandais entre 2014 et 2018 est suivie par une contraction qui semble se poursuivre en 2021. Depuis le début de la crise du Covid-19, il semble donc que les entreprises européennes sont plus réticentes à se financer auprès des institutions financières des Pays-Bas qu’auprès des banques allemandes et luxembourgeoises.
- La Finlande enregistre le troisième solde TARGET2 positif le plus élevé depuis novembre 2020. Il s’établit en novembre 2021 à +56 milliards d’euros.
Les quatre pays enregistrant les soldes TARGET2 les plus largement négatifs sont les pays du sud de l’Europe :
L’Espagne enregistre un solde TARGET2 négatif depuis janvier 2008, qui s’établit à -495 milliards d’euros en novembre 2021. Le creusement du solde connaît une première phase entre 2008 et 2012 : en pleine crise de la dette, les entreprises espagnoles déposent leurs liquidités dans d’autres pays d’Europe, notamment en Allemagne. Le solde atteint -368 milliards d’euros en septembre 2012. Puis le déficit diminue jusqu’en décembre 2014, avant de réaugmenter sans interruption jusqu’en mars 2019. Alors qu’il avait commencé à diminuer à nouveau en 2019, la crise du Covid-19 l’a fait de nouveau augmenter.
Le solde TARGET2 de l’Italie se situe à -537 milliards d’euros en novembre 2021. L’Italie a connu une évolution de son solde TARGET2 très similaire à celle de l’Espagne depuis 2007. Ce n’est cependant qu’à partir d’avril 2011 que le solde TARGET2 italien est devenu négatif, et à partir de juin 2016 il est devenu inférieur au solde espagnol.
La Grèce et le Portugal connaissent également des soldes TARGET2 négatifs depuis 2007, et qui s’établissent respectivement à -98 et -82 milliards d’euros en novembre 2021. Cependant, la crise du Covid-19 n’a pas eu la même incidence sur les deux pays : alors qu’en Grèce le solde s’est creusé significativement en 2020 et 2021, il est resté très stable au Portugal, indiquant que les liquidités des entreprises portugaises n’ont pas quitté le pays.
Concernant la France, son solde TARGET2 a été négatif ou nul de juillet 2007 à juin 2020. En novembre 2021, il s’établit à 13 milliards de dollars. La Banque de France a donc connu un afflux de liquidités depuis le début de la crise sanitaire, via la politique monétaire accommodante de la Banque centrale européenne.
Avec les politiques de la BCE, une augmentation des soldes
L’évolution des soldes TARGET2 reflète les injections de liquidité dans l’Eurosystème. On le constate sur le graphique ci-dessous : l’augmentation globale des soldes coïncide avec le lancement des programmes de rachat d’actifs de la BCE entre 2008 et 2012, puis en 2015 à travers le déploiement de l’Asset purchase programme (APP).
La somme des excédents TARGET2 nationaux atteint ainsi 1 100 milliards d’euros mi-2012 puis redescend et se stabilise autour de 600 milliards d’euros fin 2014. En novembre 2021, le cumul des soldes est de 1640 milliards d’euros, soit une multiplication par 34 depuis début 2001.
L’observation des soldes TARGET2 montre ainsi que, depuis la crise de 2008, les banques centrales se sont partout substituées aux banques commerciales pour l’approvisionnement en liquidités. Ces dernières sont en effet devenues réticentes à se prêter entre elles.
Les soldes TARGET2 ont donc augmenté, ce qui — combiné à la concentration d’acteurs financiers dans certains pays de la zone euro (Allemagne, Luxembourg ou Pays-Bas) — a accentué les déséquilibres TARGET2 entre les pays européens. Cette tendance s’est confirmée à l’occasion de la crise du Covid-19 : le programme de rachat d’actifs de la BCE (PEPP) a fait augmenter le solde positif de certains pays (Allemagne, France, Luxembourg, Finlande) et dégradé celui d’autres pays (Espagne, Italie, Grèce).
L’augmentation des soldes TARGET2 met en évidence les déséquilibres financiers qui travaillent la zone euro, entre des pays qui attirent les liquidités et ceux d’où les fonds partent.
Pour certains observateurs, l’augmentation quasi continuelle de ces soldes ne peut mener qu’à la dislocation de la zone euro. En effet, l’Allemagne considère son solde positif comme une créance qu’elle peut réclamer aux pays débiteurs à tout moment. Mais l’ampleur de ces dettes rend leur règlement inenvisageable aujourd’hui.
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