On le sait, le changement climatique est réel et l’Arctique se réchauffe comme le reste de la planète, provoquant la fonte de la banquise. Outre les effets sur la hausse du niveau des mers, cela va engendrer un autre problème, car des organismes pathogènes (notamment des virus) sont restés piégés dans la glace depuis des millénaires. Si le pergélisol dégèle, irons-nous vers une nouvelle pandémie ? Des équipes européennes ont déjà réussi à « ramener à la vie » des virus géants retrouvés dans le sol sibérien. Même si ceux-ci ne sont a priori pas une menace pour la santé humaine, qu’en est-il pour les autres pathogènes enfouis ?

publié le 26/04/2023 Par Rebecca Stoecker
Des virus dévastateurs bientôt libérés par la fonte du permafrost ?

Si le réchauffement climatique est déjà responsable de la migration de vecteurs de maladies infectieuses du Sud vers le Nord (notamment le moustique tigre), le danger pourrait bien venir du Grand Nord. La fonte des glaces est associée à celle du permafrost ou pergélisol, où se trouve conservés dans le froid de nombreux micro-organismes, dont des virus et autres bactéries. Or, ceux-ci pourraient potentiellement être de nouveau actifs une fois que la hausse des températures les aura sortis de leur « état léthargique ».

Cela peut ressembler à la science-fiction et pourtant, récemment, des scientifiques d’une équipe internationale sont parvenus à « réveiller » ces anciens virus âgés de 30 000 à près de 50 000 ans. Et tous avaient gardé leur capacité infectieuse ! Heureusement, et pour des raisons logiques de sécurité, l’ensemble de ces pathogène ciblait des protozoaires, organismes très éloignés de l’Homme et des mammifères en général.

Mais comment cela est-il possible ? « De la même manière que vous mettez une graine, même ancienne, dans la terre. Un virus subsiste sous deux formes dont une particulaire qui reste inerte (nommée virion) et qui doit pouvoir entrer dans des cellules spécifiques d’un organisme hôte particulier », explique Jean-Michel Claverie, professeur à l’université d’Aix-Marseille et auteur principal des travaux en question. Les chercheurs se sont uniquement intéressés aux virus infectant des amibes notamment une espèce facile à cultiver :

« On met les échantillons prélevés en contact avec les protozoaires et on regarde ce qui se passe. Si des virus sont présents, et qu’ils sont spécifiques à cet hôte, ils vont entrer dans les cellules et se multiplier. Ce qui prouve qu’ils sont encore infectieux et "vivants". »

Des virus datant de l’âge de pierre voisins de bactéries préhistoriques

Si ces virus ressuscités ne sont pas dangereux, d’autres séjournant en dormance dans le permafrost pourraient potentiellement s'avérer adaptés ou adaptables à l'Homme. En se limitant à ceux ciblant les amibes, les spécialistes ont pu démontrer que ces micro-organismes peuvent survivre jusqu’à 50 000 ans. Toutefois, cela ne signifie pas que des virus bien plus anciens n’aient pas survécus…

Le pergélisol est constitué de trois couches thermiques distinctes : la première dégèle en été ; la seconde – bien qu’elle subisse des fluctuations de températures en fonction des saisons – reste toujours en dessous du point de décongélation, et la troisième – là où la température ne varie plus – peut aller jusqu’à plusieurs centaines voire milliers de mètres de profondeur. À ce stade, les conditions sont optimales pour la préservation de l’ADN. Le milieu est froid, sombre, neutre et dépourvu d’oxygène.

« Cette limite de 50 000 ans n’est pas du tout liée à la préservation des microbes, c’est la limite de datation du carbone 14 » (1), précise le Pr Claverie. Or, plus l’on creuse profondément, plus on retourne dans le passé, et contrairement à l’idée reçue, il n’est pas sûr que l’ADN des micro-organismes restés figés dans ces couches profondes soit complètement dégradé. « Il existe aujourd’hui des évidences assez fortes que des bactéries dormantes seraient encore vivantes même au bout de 500 000 ans ». On remonte à des périodes bien avant l’apparition de Neandertal et d’Homo Sapiens, « cela nous fait basculer dans l’inconnu total ».

Même les bactéries anciennes font de la résistance !

De même que les virus, d’anciennes bactéries pourraient revenir à la vie. La survenue de cas d’anthrax en 2016 suite à un été sibérien particulièrement chaud va dans ce sens. L’hypothèse des spécialistes serait qu’une carcasse d’animal mort porteuse de la souche a été décongelée à la suite de circonstances météorologiques exceptionnelles, provoquant une épidémie.

Une autre étude à laquelle le Pr Claverie a participé a montré que le permafrost était un réservoir de gènes de résistances à certains antibiotiques. En effet, lors de ces travaux, les chercheurs ont eu recours à la métagénomique (séquençage de l’ADN total d’un échantillon), et il s’est avéré que l’ADN bactérien représentait une écrasante majorité de celui-ci. En parallèle, des gènes codant pour des enzymes de résistances nommés bêta-lactamases ont été découverts à une fréquence relativement importante :

« Cela ne signifie pas que ces anciens pathogènes sont résistants à toutes les alternatives. De nos jours, les bactéries hautement résistantes (BHRE) sont un problème, car elles ont des gènes de résistances contre plusieurs familles d’antibiotiques. Elles surgissent dans le milieu hospitalier car c’est là qu’elles sont confrontées simultanément à toutes ces molécules. »

D’ailleurs, la plupart des bactéries trouvées pour l’instant dans le pergélisol sont proches de celles bien connues de nos jours, comme les campylobacters, streptocoques ou staphylocoques… Le spécialiste renchérit :

« Même si on trouvait des bactéries plus anciennes, elles ont toutes le même ancêtre commun et partagent des machineries cellulaires semblables qui peuvent être ciblées par des antibiotiques. C’est pourquoi les virus sont plus dangereux, il n’y a pas de similarités entre eux. Il est d’ailleurs probable qu’ils n’aient pas une origine commune. »

L’Histoire même récente nous l’a montré : chaque épidémie portée par un nouveau virus a demandé des réponses spécifiques d’ampleur (antiviraux, vaccins…) et dans leur cas, il n’existe pas de traitement à large spectre.

Un risque d’exposition qui augmente

Point positif : pour survivre, un virus a besoin d’un hôte. Sans lui, une fois dégelé, il est rapidement détruit suite à un environnement extérieur défavorable (chaleur, UV, oxygène…). Cependant, avec le changement climatique, l’Arctique est de plus en plus accessible aux activités humaines avec de plus en plus d’individus présents dans les zones où des virus potentiels sont relâchés, notamment dans le cadre d’exploitation minière. « Les sols sont riches en métaux rares, et la Russie a construit des sortes de centrales nucléaires flottantes pouvant alimenter des colonies de près de 100 000 personnes » précise le Pr Claverie.

De plus, la création de mines amène à creuser le pergélisol sur plus d’un km de profondeur, « ce qui aidera aux relargage de micro-organismes inconnus ». Pour l’expert, aucune mesure de sécurité adéquate n’est actuellement mise en œuvre. Or, il faudrait un service médical avec des infectiologues compétents pour reconnaître une variole ancienne ou une nouvelle pathologie. « Les conditions sont idéales pour le démarrage d’une nouvelle pandémie. Il fait très froid, les personnes restent dans des espaces confinés », conclut le Pr Claverie. Si le réchauffement climatique est un enjeu crucial face à un avenir incertain, il nous fait craindre également des menaces du passé.

Photo d'ouverture : yingko - @Shutterstock