Canicules, incendies dévastateurs, tempêtes et inondations… Chaque année, ce sont les mêmes scénarios qui se répètent, mais avec beaucoup plus d’intensité. Au niveau global et malgré de fortes disparités selon les régions géographiques, l’été 2023 aura été marqué par des records de températures aussi bien dans l’hémisphère nord que dans l’hémisphère sud. L’année 2023 sera très probablement l’année la plus chaude de l’Histoire : quels sont les phénomènes qui expliquent cette situation ?

Selon l’Observatoire européen Copernicus (le programme d’observation de la Terre de l’UE), l’été 2023 a connu les températures mondiales moyennes les plus élevées jamais mesurées : « L’été boréal (juin-août) 2023 a été de loin le plus chaud jamais enregistré à l’échelle mondiale, avec une température moyenne de 16,77 °C, soit 0,66 °C au-dessus de la moyenne 1991-2020 ». Dans l’hémisphère sud, alors en pleine saison hivernale, des records de chaleur ont également été battus. L’Amérique du Sud a été largement touchée par des températures supérieures à la moyenne :
« Le Brésil a connu des températures proches de 42 °C et parfois, 19 de ses 26 États fédérés ont été soumis à des conditions de canicule. La Bolivie, le Paraguay et certaines parties de l’Argentine ont également connu des conditions plus chaudes que la moyenne. L'Australie était généralement au-dessus de la moyenne et avait la deuxième température moyenne nationale la plus chaude jamais enregistrée pour le mois d'août (depuis 1910). »
À l’échelle de l’Europe, la température moyenne était de 19,63 °C, soit 0,83 °C au-dessus de la moyenne 1991-2020. Face à ces données, l’été 2023 devient alors la 5e saison estivale boréale la plus chaude.
Quel bilan climatique pour l’été 2023 en France ?
Malgré une impression générale de temps plutôt morose sur une bonne partie de la France, l’été 2023 se classe tout de même au 4e rang des étés les plus chauds depuis 1900. « Il a été marqué par des conditions souvent maussades sur le nord-ouest de la France en juillet et en août, très orageuses du sud-ouest au Centre-Est et extrêmement chaudes sur les régions méditerranéennes qui ont subi trois vagues de chaleur », résume Météo France dans son bilan climatique. Sur l’ensemble de la saison, la température moyenne de 21,8 °C est supérieure à la normale 1991–2020 de 1,4 °C.
Ces nouveaux records de températures ne sont pas surprenants, car « on sait que la moyenne des températures globales augmente avec un taux assez constant, d’environ +0,2 °C par décennie, depuis une cinquantaine d’années », assure Gerhard Krinner, climatologue, directeur de recherche au CNRS et co-auteur du 6e rapport du GIEC. « Mais le réchauffement autour de l’Atlantique Nord et de la Méditerranée cette année était assez spectaculaire et renforcé, au niveau global, par le phénomène El Niño qui a commencé ».
L’arrivée redoutée du phénomène El Niño
El Niño, ce phénomène climatique naturel situé dans le Pacifique Tropical, est de retour. « L’arrivée d’El Niño augmentera considérablement la probabilité de battre des records de températures et de déclencher une chaleur plus extrême dans de nombreuses régions du monde et dans les océans », déclare le Secrétaire général de l’OMM.
Comme le rappelle Gerhard Krinner, jusqu’à présent, l’année 2016, fortement marquée par le dernier et puissant épisode El Niño, était l’année la plus chaude de l’Histoire : « 2023 sera très certainement l’année la plus chaude, au niveau global, jamais enregistrée et cela sera fortement lié à la variation naturelle El Niño ».
On le sait parfaitement, El Niño se produit en moyenne tous les deux à sept ans, mais la vitesse à laquelle il s’est imposé cette année est particulièrement surprenante : « Ce qui est étonnant, c’est le fait que d’autres régions dans le monde ont subi un réchauffement très fort, notamment autour de l’Atlantique Nord, augmentant très fortement le signal global », ajoute le climatologue.
Des phénomènes climatiques de plus en plus intenses
En France, au cours de l'été, un anticyclone s'est retrouvé coincé dans un « jet stream » – ces vastes courants d'air rapides qui circulent autour du globe et dont l'importance des ondulations varie en fonction de divers phénomènes comme, par exemple, les écarts de température ou la présence d'El Niño dans le Pacifique Sud. L'anticyclone a agit alors comme un couvercle de casserole sur la partie sud du pays : il a piégé l'air chaud au sol et a formé un dôme de chaleur (c'est ce même phénomène qui avait provoqué la tragique canicule de 2003).
« La force du jet stream est liée à la différence de températures entre les courants-jets polaires et subtropicaux. Si le jet stream s’affaiblit, il fait plus de méandres et favorise alors les gouttes froides ou les remontées d’air chaud », précise Alain Mazaud, chercheur au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE).
Au niveau mondial, le mois de juillet 2023 est devenu le mois le plus chaud de toute l'histoire des relevés de températures, avec pas moins de 4 dômes de chaleur simultanés autour du globe. En France, les records continuent avec un début du mois de septembre particulièrement marqué par un épisode caniculaire sur l'ensemble du territoire, avec des températures moyennes inédites pour la période : « Avec une température moyenne sur la France de 25,1 °C degrés, le 4 septembre 2023 est la journée la plus chaude jamais observée en septembre, battant le précédent record de 24,7 °C du 4 septembre 1949 », indique Météo France.
« Il y avait un anticyclone qui était situé au-dessus de la France, bloqué entre deux systèmes dépressionnaires situés en Espagne et en Grèce », explique le climatologue, Gerhard Krinner. Ce phénomène a favorisé l'apparition de fortes chaleurs sur l'hexagone, pendant que la Grèce subissait d'importantes précipitations et inondations :
« Une fois le système de blocage disloqué, le cyclone présent au-dessus de la Grèce a commencé à bouger vers la Libye provoquant d’importants dégâts. Il était prédit que les événements de fortes précipitations allaient s’intensifier, même dans les régions qui s’assèchent. Dans ces dernières, la pluie va tomber fortement et sera perdue… »
Il y aura toujours des dépressions, des anticyclones, des cyclones, etc. Le problème qui se pose aujourd’hui est l’intensité de ces événements ainsi que la conjonction entre le réchauffement climatique et des phénomènes naturels tels que El Niño.
De plus, sous l’effet du changement climatique, les vagues de chaleur vont être de plus en plus précoces et tardives. « Il y a un décalage des saisons, la saison d’été au sens météo commence plus tôt et se termine plus tard », explique Alain Mazaud, chercheur au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE). D’après Météo France, à la fin du siècle, les vagues de chaleur pourraient être non seulement bien plus fréquentes qu’aujourd’hui, mais aussi beaucoup plus sévères et plus longues, avec une période d’occurrence étendue de la fin du mois de mai jusqu’au début du mois d’octobre.
Nous n’avons plus de temps à perdre…
Face au bilan climatique de l'été 2023 dans l'hémisphère nord, le Secrétaire général de l'ONU a une nouvelle fois alerté sur l'urgence de la situation : « L’effondrement climatique a commencé ». Avec cette phrase qui n’a pas de véritable signification scientifique, il a avant tout cherché à interpeller la population dans le monde entier. « Les conséquences graves du changement climatique ont déjà commencé », précise le chercheur Alain Mazaud.
On le répète encore et encore : la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre (GES) est la solution clé pour réduire au maximum le réchauffement climatique. Et pourtant, « les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter alors qu’elles devraient réduire de 43 %, par rapport au niveau de 2019, pour l’année 2030. Pour arriver à ce niveau-là, il faut diminuer les émissions immédiatement et nous ne sommes pas du tout sur cette voie », confirme le Directeur de Recherche au CNRS.
Il est difficile de croire que les émissions de GES vont baisser drastiquement dans les prochaines années, alors que la COP28, qui débutera à la fin du mois de novembre, sera présidée par un géant du pétrole, le Sultan Al Jaber, ministre de l’Industrie des Émirats arabes unis et PDG d’une grande compagnie pétrolière du pays. L'industrie des combustibles fossiles continue son intense lobbying pour éloigner toute idée d'urgence climatique et poursuivre sereinement le « business as usual ».
« Il faut être naïf pour s’attendre à de grandes avancées », assure Gerhard Krinner, tout en soulignant qu’« il est très frustrant que les choses n’avancent pas comme on le souhaiterait alors que nous savons que les dégâts du changement climatique sont beaucoup plus coûteux au niveau global que l’investissement dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre ».
Photo d'ouverture : Carte du monde sur le service web de météorologie Windy montrant la vague de chaleur mondiale le 17 août 2023 - Oleg Senkov - @Shutterstock