Dans La Fabrique du crétin. La mort programmée de l’école (2005), Jean-Paul Brighelli fait une critique acerbe du milieu éducatif qui, en plus de produire des crétins, a été lui-même produit par des crétins.

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Selon Brighelli, un grand projet se cache derrière la faillite de l’enseignement. Ce projet n’est pas le résultat d’un complot, mais la conséquence inévitable du développement de la conception néolibérale de l’individu, entendu comme « un être sans passé, sans histoire et sans bases ».
Ce qu’il faut retenir :
Aujourd’hui, on a mis l’élève au centre du système. Cependant, pour remplir véritablement son rôle, l’école ne doit pas se concentrer sur l’élève en tant qu’individu, mais sur le savoir qu’il faut lui transmettre.
La dégradation du système scolaire n’est pas le fruit du hasard, mais une des conséquences du projet néolibéral à l’œuvre depuis les années 1970. L’école a abandonné sa mission première, celle de former des consciences éclairées, et ne produit plus que des individus adaptés au marché, des futurs soldats du libéralisme.
On refuse d’imposer quoi que ce soit à l’élève, y compris les tâches les plus basiques (préparer un devoir, réciter sa leçon, etc.). On n’apprend plus l’orthographe, ni la littérature, ni l’histoire. Pour cacher la baisse de niveau conséquente, le système éducatif préfère baisser le niveau d’exigence des examens – du Bac en particulier –, réduire le contenu des manuels scolaires, etc.
Cependant, l’école s’est dédoublée : les élites reçoivent une éducation correcte dans les « bons » lycées, tandis que le reste de la population, à qui l’on fait suivre un programme éducatif lacunaire, est laissé pour compte (les ZEPs constituant un exemple frappant). Ces populations n’ont plus accès à la culture, n’ont plus de mémoire historique et ont ainsi perdu toute possibilité de se révolter. En conséquence, les inégalités se creusent.
Biographie de l’auteur
Enseignant et essayiste marseillais agrégé des lettres modernes, Jean-Paul Brighelli fut également président de la première université de Corse localisée à Corte. Il est surtout connu pour ses critiques du système éducatif français. Ancien partisan de la gauche, en 2015, il rejoint Debout la France et sera élu comme délégué national à l’École de la République.
Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.
Plan de l’ouvrage
I. Au centre du système
II. Spontex
III. Désapprendre, mode d’emploi
IV. L’ennui
V. L’échec scolaire
VI. L’orthographe
VII. De la lutte des classes et autres vieilleries
VIII. Du nouveau Bac de français
IX. Des ZEP
X. Baisse de niveau et manuels scolaires
XI. De la violence en milieu scolaire et alentour
XII. Maillon faible et chaînon manquant
XIII. Rhétorique
XIV. L’école de l’intolérance
XV. La France enseignante contre l’Europe ?
XVI. Éloge de l’élitisme
XVII. Quelle école pour demain ?
Synthèse de l’ouvrage
I. Au centre du système
La gauche défend l’idée selon laquelle l’élève doit être au centre du système. Cependant, ce n’est pas l’élève lui-même, mais le savoir qu’il doit recevoir qui doit nous intéresser. Dans cette perspective, l’élève est en droit d’exiger une éducation sérieuse et, en contrepartie, a le devoir de travailler sérieusement ; de même, l’enseignant a le devoir de l’instruire et le droit d’exiger un climat digne d’une salle de classe.
L’enseignant ne doit pas être considéré comme un parent de substitution ; il n’a pas pour mission d’éduquer ses élèves, mais de leur enseigner. Or, parce que l’on décide de favoriser la parole des élèves au détriment du savoir qui doit leur être transmis, certains enseignants sont relégués au rôle de nourrice. Les élèves agissent ainsi comme des enfants et reproduisent, dans les salles de classe, les comportements qui leur réussissent à la maison. Les enfants abandonnés par leurs parents, en revanche, ont une vision plutôt négative de l’adulte et refusent de jouer ce jeu.
II. Spontex
Le libéralisme et la mondialisation ont pris une véritable ampleur en France dans les années 1970, sous le gouvernement Pompidou. En conséquence, plus de deux millions de Français furent mis au chômage et près d’une dizaine de millions d’emplois précaires et incertains furent créés. Face à une telle situation, la droite et la gauche, dont les intérêts économiques sont en réalité identiques, profitaient de la gravité de la situation pour mettre en place un projet plus ambitieux : construire des consciences d’esclaves.
Après la Seconde Guerre mondiale, le système éducatif mis en place, fondé sur le savoir, avait formé un grand nombre de chercheurs, d’enseignants, de cadres et de dirigeants. Mais à partir des années 1970, il ne s’agissait plus de former des élites éclairées, mais des personnels acculturés, adaptés au système de marché. Ces dernières années, la demande de travailleurs non qualifiés a alors explosé ; le nombre d’offres de CDD également, au détriment des CDI, facilitant ainsi le pouvoir psychologique des entreprises sur leurs employés. Le résultat est une classe ouvrière dépourvue d’éducation et de moyen de pression, incapable de se rebeller.
Auparavant, « on entrait dans la vie avec un certificat d’études (niveau cinquième) qui sanctionnait un savoir réel. On intégrait une école normale d’instituteurs avec le brevet. Et on savait assez de choses pour avoir l’ambition de les enseigner à d’autres. Avec le Bac (moins de 20 % d’une classe d’âge au cours des années 60), on accédait à un système universitaire que le monde entier nous enviait. » Aujourd’hui, si plus de 80 % d’une classe d’âge obtient le Bac, ce n’est pas le fruit d’une augmentation du niveau de connaissance des élèves, mais le résultat de la baisse du niveau du Bac.
Désormais, il ne s’agit plus d’imposer aux élèves ce qu’ils doivent apprendre, mais de les laisser choisir ce qu’ils veulent apprendre. L’apprentissage doit venir du désir spontané d’apprendre de chacun. En d’autres termes, l’élève est devenu plus important que l’enseignant. En somme, « on a orchestré la baisse de niveau en interdisant tout simplement de faire apprendre. »
III. Désapprendre, mode d’emploi
Le système éducatif s’est métamorphosé en une génération : l’école, ancien lieu des règlements (désormais qualifiés de grotesques et moyenâgeux), est devenue un « lieu de vie », c’est-à-dire un lieu où il est inacceptable d’imposer quoi que ce soit à l’élève qui est désormais libre de se vêtir comme bon lui semble ou de fumer dans la cour. « Préparer un devoir, lire un texte, ou même des extraits de texte, rédiger un commentaire, repasser sa leçon deviennent des exigences non seulement maximalistes, mais politiquement incorrectes. »
Outre les gouvernements, les associations de parents d’élèves sont également responsables, en se préoccupant plus du confort de leurs enfants que de la qualité des enseignements. Face à ce type de demandes, les gestionnaires sont ravis, car la diminution du nombre de surveillants entraîne une baisse des coûts.
L’instruction a ainsi été remplacée par diverses activités ayant pour objectif de transformer l’élève en citoyen. La nouvelle pédagogie recommande plutôt la sortie scolaire, présentée comme sésame de l’éducation ; « tout est bon pourvu que l’on puisse extraire “l’apprenant” de son environnement scolaire restrictif et contraignant. » Ainsi délaissés par les institutions, sans le moindre désir de révolte, ces adolescents avachis et déjà fatigués de vivre, deviennent, au plus grand bonheur des confédérations patronales et des partis qui les soutiennent, les futurs soldats du libéralisme.
« L’école fabrique désormais à flux tendu des anabolisés de la pensée, gavés aux “activités”, aux animations et aux sorties diverses, constamment stimulés à se disperser dans l’éphémère. Un divertissement qui ne les divertit même pas. Ce déploiement fébrile d’activités tue le désir d’apprendre – il a même été inventé à cette intention. »
IV. L’ennui
Il n’existe rien de plus formateur que l’ennui, car il est le champ libre de l’imagination. Quand les enfants s’ennuient, ils songent, réfléchissent, et imaginent. Cependant, l’excès de temps libre provoque un ennui néfaste. « Les bons élèves s’ennuient bien plus encore que les autres, puisqu’ils ont compris avant les autres. » Les mauvais élèves s’ennuient également, d’un ennui existentiel, qui reflète le vide des discours imposés par leurs enseignants face à leur propre vacuité. L’ennui se combat par la connaissance. Le savoir doit être à tout prix au centre du système éducatif. On ne respecte pas l’élève en lui donnant constamment raison ou en tolérant ses incongruités, mais au contraire, en l’obligeant à reconsidérer sa vision du monde ainsi que ses certitudes.
V. L’échec scolaire
L’échec scolaire n’est pas une faille du système, mais son objectif ultime. Nous ne devons pas nous intéresser aux 80 % d’élèves d’une même classe d’âge qui ont eu le Bac, mais aux 20 % qui n’ont pas obtenu ce Bac pourtant d’un niveau médiocre. Pour l’ensemble de sous-qualifiés généré par l’échec programmé, des centaines de formations diverses sont proposées, pour combler une formation scolaire préprofessionnelle qui n’est plus adéquate. Mais, ces formations – BEP, Bac pro et autres options – sont trop spécialisées. Cependant, « si l’homme a survécu, c’est qu’il est la bête la plus polyvalente qui soit. » Notre capacité de réflexion générale, et notre aptitude à comparer, déduire et, surtout, à transmettre, constituent l’essence de l’homme. « Ce qui nous rend forts, ce n’est pas le surentraînement d’un réflexe précis. »
Or, « le seul Bac encore généraliste (le Bac S, en l’occurrence […]) qui représente environ 15 % du total, fournit les gros bataillons des futurs cadres. » Autrement dit, si des années 1950 aux années 1970, nous pouvions encore prétendre avoir regroupé des bacheliers de tous les horizons sociaux, le système s’est aujourd’hui fermé sur lui-même et n’offre une véritable éducation qu’à la classe dirigeante, une élite composée d’héritiers.
VI. Orthographe
Alors que les logiciels de correction se sont démocratisés, l’orthographe est devenue un concept dépassé. Perçue comme un signe de promotion sociale au XIXe siècle, l’orthographe est aujourd’hui considérée comme une discipline rétrograde. Désormais, il n’est plus question de choquer les élèves avec des exercices de dictée jugés « source de traumatismes ».
Or, le génie de la langue française se trouve précisément dans les difficultés orthographiques et grammaticales qu’elle présente. Une réforme de la langue est tout aussi impensable aujourd’hui qu’un siècle auparavant. Pourtant, les « néo-pédagos » décident d’ignorer l’histoire et ne cessent de simplifier les règles de la langue française. Tolérer les fautes revient à encourager le désordre. Les enfants sont une potentielle clientèle pour les orthophonistes et le Crétin créé par les contempteurs de l’orthographe ne sera même plus en mesure d’écrire aux prud’hommes pour protester contre un licenciement potentiellement abusif.
VII. De la lutte des classes et autres vieilleries
« Un enfant des banlieues défavorisées a autant de chances d’accéder aux grandes écoles qu’un Noir de Harlem de devenir Michael Jordan : la probabilité existe, sur le papier, mais elle est nulle, dans la réalité. […] Mais les ghettos du paysage urbain français ne produisent que de la misère, parce que l’école du quartier a pour but ultime de fabriquer de la pauvreté intellectuelle. »
À la fois modèle et anti-modèle, la littérature permet de former son propre jugement à partir de ce qui s’est écrit de plus brillant au cours des années. L’Histoire, quant à elle, renseigne l’avenir en racontant le passé. Lorsque des matières sont négligées, la désertification des cerveaux est déclarée. Les jeunes ont été ainsi coupés de la culture et sont « confinés dans le ghetto d’une langue raréfiée ». Dans ce contexte d’appauvrissement général, les inventions verbales mettent en lumière une véritable menace d’extinction de la langue. Les mots “branchés” n’enrichissent en rien la langue, au contraire, les nouvelles générations sont devenues incapables d’organiser leur pensée, car ils n’ont plus les mots pour cela.
VIII. Du nouveau Bac de français et d’autres calembredaines
À la fin des années 1990, un nouveau Bac fut institué dans lequel l’épreuve de rhétorique, jugée trop difficile, fut remplacée par un « sujet d’invention ». Ce « sujet d’invention », parfaitement adapté à la société du Crétin, constitue un véritable défilé d’un cortège d’acteurs et de sportifs qui viennent présenter « leur œuvre », au même titre qu’un grand auteur ou philosophe. En d’autres termes, cette réforme a consacré la disparition de la hiérarchie littéraire. Désormais, il n’y a plus de distinction entre les Mémoires de Loana et les Confessions de Rousseau.
Par ailleurs, les programmes éducatifs s’étant appauvris, ces « sujets d’invention » ne sont qu’une restitution d’idées reçues, construisant un consensus mou. Dit simplement, on invite les élèves à penser comme les autres.
IX. Des ZEP
En 1981, les fameuses ZEP, Zones d’Éducation Prioritaires, sont créées par le ministre de l’Éducation de l’époque, Alain Savary. Loin de « réduire les inégalités sociales », leur but officiel, les ZEP deviennent des laboratoires généraux du Crétin. Entre leurs murs, on expérimente diverses techniques éducatives qui excluent parfaitement les élèves auxquels elles sont appliquées.
« Une ZEP est un ghetto organisé, en général sur les périphéries des grands centres urbains, de façon à ce que les meilleurs élèves étudient tranquillement les “bons” lycées du centre-ville, sans être dérangés par une “racaille” descendue de quelque banlieue louche. De façon, aussi, à contrôler, étape par étape, les élèves “naturellement” destinés à alimenter les gros bataillons analphabètes. »
Pour adoucir la peine des enseignants qui supportent les insultes et la violence caractéristiques des ZEP, on leur accorde des primes, en échange desquelles ces derniers renoncent à toute sorte de promotion. En effet, l’inspection, chargée de décider de ces promotions, ne se déplace jamais jusqu’à ces ZEP.
En matière d’enseignement, on a considéré qu’il fallait donner à ces jeunes de ZEP, des textes contemporains, écrits directement pour eux – une façon de les humilier. En mettant en œuvre des programmes adaptés, ces élèves sont en réalité traités comme « des débiles », les distinguant ainsi de leurs camarades des beaux quartiers. « Sous prétexte de s’occuper spécifiquement des exclus, on les a définitivement enclavés. » Or, ce dont ont besoin ces jeunes, c’est avoir accès à une véritable culture, la même que les élèves des « bons » lycées. De cette manière, nous offririons peut-être à ces ados « initiés dès le primaire à la culture du shit », à ces « filles promises à des mariages forcés », un moyen de s’exprimer, de s’insérer et, finalement, de se libérer.
X. Baisse de niveau et manuels scolaires
Dans les années 1980, les manuels de français étaient encore d’excellente qualité, fabriqués pour être des « objets de désir » pour les élèves. Cependant, à partir des années 1990 et de la montée au pouvoir des néo-pédagogues, les objectifs furent revus à la baisse et les manuels furent vulgairement résumés en un seul volume, valable pour deux ans. Ces manuels modernes ont la prétention d’égaler en 350 misérables pages, le savoir contenu dans les 2 500 pages des anciens manuels. En définitive, les nouveaux élèves n’apprennent plus que 15 % de ce qu’on enseignait auparavant.
La chute du niveau des manuels tous frais payés par nos impôts a permis le succès du « parascolaire ». Les éditeurs scolaires se sont ainsi réjouis à la vue de l’explosion des ventes des fameux « cahiers de vacances ». Les parents, forcés de constater que leurs enfants étaient de piètres lecteurs, sont poussés à acheter ces ouvrages. Achetant ces livres pour leurs enfants de l’école primaire jusqu’au Bac, les parents sont en réalités plus taxés qu’à l’époque des anciens manuels. « L’aménagement des programmes, en tirant vers le bas les objectifs, a généré des profits considérables pour les éditeurs, et a transformé les parents et les enseignants en vaches à lait – névrosées de surcroît. »
XI. De la violence en milieu scolaire et alentour
La violence scolaire est trop souvent minorée. Cela est frappant lorsque l’on voit les tabassages de professeurs ou le vandalisme être qualifiés de simples incivilités. Pourtant, depuis les réformes successives de l’école, la violence chez les jeunes ne cesse de s’aggraver – sans compter les effets de la violence télévisuelle, des jeux vidéo et de la pornographie qui augmentent encore ce phénomène.
La banalisation de la violence s’explique par l’absence de rite de passage à l’âge adulte, comme l’étaient le service militaire et le Bac, qui constituaient une reconnaissance d’un apprentissage et d’un savoir acquis. Le Bac était alors un véritable rite de passage qui marquait le départ du nid familial, symbolisant la transition des jeunes vers le monde adulte. Aujourd’hui, le Bac est devenu « un théâtre où se joue une comédie de convention : les enseignants font semblant de corriger, l’administration consigne doctement les résultats, puis les bidonne jusqu’à obtenir une statistique convenable. » Il est urgent de rétablir des examens qui ne soient pas des plaisanteries.
La dévaluation constante des examens a toutefois profité à certains, et plus largement, à l’économie de marché. En privant volontairement les travailleurs des connaissances historiques, on les a également dépossédés d’une mémoire historique. Le travailleur ne sait plus qui il est, ce qu’il est censé défendre ou ce contre quoi il doit protester. « Il était autrefois membre d’une communauté, avec une histoire, faite de luttes, de succès et de replis, une dialectique de l’affrontement permanent. Coupé de sa propre histoire, le peuple n’est plus qu’une masse sans identité. Un objet entre les mains de ses maîtres. »
XII. Maillon faible et chaînon manquant
La carence créée dès l’école primaire a des effets délétères, mais pas homogènes. La faillite du savoir ne touche pas tous les élèves de la même manière. Chez les plus démunis, par exemple, elle provoque une surconsommation des produits informatiques. Si un ordinateur est un excellent outil pour un savant, dans les mains d’un Crétin, il devient « un revolver manié par un aveugle au milieu de la foule, comme disait Chester Himes ».
Plutôt que de chercher à remonter le niveau, les pédagogues modernes préfèrent prétendre qu’il n’a jamais baissé. Ainsi, ils suggèrent d’interdire les redoublements, jugés trop traumatisants pour les élèves. Mais, « à vouloir épargner à l’enfant la plus petite peine (au double sens du terme, travail pénible et souffrance morale […]), ne fabrique-t-on pas des êtres inadaptés à une société qui ne fait aucun cadeau ? »
XIII. Rhétorique
En août 1999, la rhétorique est devenue la « machine à tout faire » des enseignants littéraires, puis de l’ensemble du corps des enseignants. Ils s’intègrent désormais parfaitement à ce « monde où le médium est le message » et où « les procédés se substituent [ainsi] au sens ».
La logique techniciste qui sous-tend la rhétorique ne permet pas à la littérature de montrer tout ce qu’elle a de créatif. Le rôle d’un écrivain est celui d’un « décrocheur d’étoiles », œuvrant pour la beauté et l’émotion. Or, en se pliant aux nouvelles instructions officielles, qui privilégient la rhétorique au reste, les enseignants ne sont plus en mesure de transmettre ce « sentiment » de la littérature. « Du corps littéraire, qui était amour, ruse, volupté ou révolte, [les nouveaux pédagogues] ont fait un cadavre. »
XIV. L’école de l’intolérance
Le retour du sentiment religieux en France depuis une vingtaine d’années est une conséquence directe de l’éradication de la Raison et de l’Histoire dans les écoles. En effet, cette évolution éducative a privé l’élève du savoir nécessaire pour connaître son « être » et son « authenticité », devenant ainsi incapable de construire un véritable « projet personnel » à la fin du cycle d’études. Cet enseignement de l’ignorance mis en place par le système éducatif fait des jeunes populations de parfaites recrues religieuses. L’absence de culture et la distorsion du principe de laïcité par la pédagogie moderne ont constitué un terreau idéal pour la superstition.
S’il ne rejoint pas un schéma religieux, l’adolescent comble le vide par la consommation : chaque chose qu’il achète et qu’il consomme lui permet de se sentir vivre, à défaut d’exister par lui-même. « Buvez Coca-Cola » ou « Tuez les infidèles », quel que soit le slogan, il s’agit d’une apologie de la renonciation à soi-même.
XV. La France enseignante contre l’Europe ?
Après s’être majoritairement opposés au projet de Constitution européenne, les enseignants ont pourtant été forcés de voir le projet de l’Europe libérale s’infiltrer dans leurs écoles. À Bruxelles, le mot d’ordre est « d’adapter les systèmes d’éducation et de formation à la société et à l’économie de la connaissance ». En d’autres termes, il s’agit de faire évoluer conjointement le système social et le système éducatif, c’est-à-dire d’adapter l’enseignement à un environnement économique hautement imprévisible et à un marché du travail où les niveaux de qualification tendent de plus en plus à baisser.
L’industrie a tout autant besoin d’une poignée de techniciens et de cadres supérieurs que d’une masse de travailleurs « non qualifiés » plus polyvalents, qui savent au moins lire, écrire, calculer et bafouiller quelques phrases en anglais. Malheureusement, l’enseignement voulu par l’Europe se présente alors sous la forme d’un système qui se dédouble : un type de formation est assigné aux élites, auxquelles on transmet des compétences multiples et un autre type au reste de la population, parqué dans un désert culturel. Autrement dit, le système éducatif élaboré par le Conseil européen provoque la disparition de l’ascenseur social.
XVI. Éloge de l’élitisme
Aujourd’hui, moins de 0,1 % des élèves des grandes écoles appartiennent à un milieu « populaire ». Alors que le chômage augmente et qu’il est de plus en plus difficile de trouver un emploi, la classe sociale de l’individu est devenue un argument d’embauche de premier ordre.
L’école ayant abandonné la tâche de transmettre le savoir, l’ascenseur social a été réduit à néant. Lorsque l’école n’enseigne plus, les inégalités sociales se creusent. « Quelle probabilité qu’un enfant de prolétaire aujourd’hui s’extraie de son milieu ? Même en travaillant dur, que deviendra-t-il, dans son collège de ZEP installé au centre d’une cité pourrissante ? »
Forme de retour à l’Ancien Régime, ce phénomène ne peut conduire qu’à deux situations : l’explosion sociale face à l’injustice insupportable ou la dictature de ces quelques élites qui ont le privilège d’être formées.
L’école doit à tout prix reprendre son rôle formateur pour tous, pas seulement pour l’élite. Il s’agit du seul moyen d’abolir les privilèges.
XVII. Quelle école pour demain ?
« L’école se meurt, l’école est morte… »
Aujourd’hui, il n’est plus question de former un intellect, mais de former un citoyen. En d’autres termes, l’école s’est parfaitement adaptée au néocapitalisme sauvage de nos sociétés, se soumettant à la dictature de mondialisation. L’école est désormais condamnée à ne former que des Crétins.
Depuis le début des années 1980, force est de constater qu’alors que l’éducation était sans cesse réformée pour, prétendument, professionnaliser les formations, le nombre de chômeurs a augmenté. « Sans doute le Système a-t-il besoin des chômeurs pour dire aux quelques élus auxquels il a consenti l’octroi d’un salaire : “Travaillez, et taisez-vous : il y en a trois millions qui attendent à la porte”. » Les travailleurs se soumettent ainsi servilement, et les chômeurs, conditionnés par une école calibrée à cet effet, n’ont plus les moyens de se révolter.
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