Deux groupes aéronavals chinois dotés chacun d’un porte-avions s’aventurent au cœur du Pacifique. Ils franchissent la seconde ligne de défense américaine, titillant au passage la zone économique exclusive (ZEE) du Japon, une « mission de routine »… Un tel scénario aurait péché par son manque de crédibilité en 2005. Cette année-là, la Chine remettait en chantier le Varyag (futur Liaoning), un porte-avions russe dont la construction avait été abandonnée après la chute de l’Union soviétique. La Marine de l’Armée populaire de libération (PLAN) d’alors se cantonnait pour l’essentiel à un rôle de marine côtière, ses capacités hauturières étant très limitées. Toutefois, Pékin s’engageait dans une fabuleuse remise à niveau de sa flotte. Deux décennies plus tard, la PLAN s’est métamorphosée ; c’est désormais une marine capable de projeter sa puissance sur les océans. Elle en a administré une preuve éclatante en juin dernier : deux groupes aéronavals ont opéré simultanément au cœur de l’océan Pacifique. Une première et un choc stratégique, puisque Pékin conteste désormais à l’US Navy sa suprématie en haute mer.

La nouvelle ne manque pas de piquant. Le 7 juin dernier, le Liaoning pénètre brièvement dans la ZEE japonaise de Minamitorishima, l’île la plus à l’est du Japon ; le 8 juin, le Shandong (1er porte-avions intégralement construit en Chine) s’aventure dans la ZEE japonaise d’Okinotorishima. La carte ci-dessous résume les déplacements des deux groupes aéronavals. Notons au passage l’intérêt stratégique de ces deux îles très isolées. Chacune est entourée par un immense cercle représentant leurs ZEE respectives, enfin pour autant qu’elles soient légitimes.
Minamitorishima est réelle. L’île s’étend sur une superficie de 1,5 km² et se distingue par sa forme triangulaire. Elle abrite un contingent pérenne de scientifiques, militaires et garde-côte japonais. L’article 55 de la CNUDM (Convention des Nations Unies sur le droit de la mer) définit les droits, juridictions et obligations d’un État côtier sur une ZEE. L’article 56 délimite son extension maximale et l’article 57 énumère les droits de navigation des autres États en ces lieux. Sans contestation possible, Minamitorishima génère une zone économique exclusive légale de 200 miles nautiques (370 km), soit un vaste territoire marin de 431 000 km². La brève incursion du Liaoning et de son escorte, dont deux destroyers de Type 055 à l’intérieur de cette ZEE japonaise dans la soirée du 7 juin, a été suivie d’un exercice naval en haute mer le 8 juin avec une quarantaine de décollages.
Tokyo a réagi à cette intrusion – minime, environ 70 km à l’intérieur de la ZEE — en dépêchant un destroyer pour surveiller les activités chinoises ainsi qu’un avion d’observation. Le Secrétaire général du Cabinet du Japon, Yoshimasa Hayashi, a officiellement « transmis un message approprié à la partie chinoise ». Le ministère de la Défense japonais, lui, ne s’en est pas formalisé outre mesure. « Nous pensons que l’armée chinoise cherche à renforcer ses capacités opérationnelles et sa faculté à mener des opérations dans des zones éloignées », selon un porte-parole. Certainement, mais couplée avec les manœuvres du Shandong, l’incident prend une tout autre dimension. En d'autres termes, Pékin a envoyé un message à Tokyo, Washington et Taipeh : « Nous avons la capacité d’intervenir sur les océans, prenez-en bonne note ».
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