Lors d’une conférence de presse intitulée « moment de vérité », le Premier ministre François Bayrou a annoncé mardi 15 juillet les grandes lignes de son budget austéritaire pour 2026 : 43 milliards d’économies, déremboursements de certains soins et médicaments, suppressions de jours fériés, gel des aides sociales (et donc baisse en volume à cause de l’inflation), réformes structurelles… Pourtant, de « vérité », il n’en sera pas question.

Article Politique
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publié le 16/07/2025 Par Camille Adam
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La vérité c’est que le déficit, et donc la dette, n’est pas la cause du malheur français mais sa conséquence, et que s’attaquer aux conséquences d’un problème ne le résoudra pas, mais au contraire l’aggravera.

Si François Bayrou était sincère dans sa démarche de réduction (nécessaire et légitime) du déficit français, alors il aurait plutôt dû s’attaquer à sa cause et expliquer aux Français que depuis des décennies, les recettes se sont effondrées à cause de la désindustrialisation (une usine qui ferme, c'est de l'impôt sur les sociétés en moins), de la concurrence fiscale de nos voisins européens qui nivellent par le bas les recettes des États membres (Irlande et Pays-Bas en tête), de l’euro qui nous oblige à baisser les cotisations et divers impôts pour compenser l’impossibilité de dévaluer, ou encore du libre-échange européen qui nous prive de droits de douane.

Il aurait dû préciser que la désindustrialisation résulte des multiples dumpings auxquels « nous » avons exposé nos entreprises. Dumping social avec les dizaines d'accords de libre-échange signés par la Commission européenne en notre nom et l'élargissement aux pays d'Europe de l'Est. Dumping monétaire avec l'euro qui est une monnaie trop forte pour la France et trop faible pour l'Allemagne. Et un dumping fiscal des Pays-Bas et de l'Irlande. Pour être plus complet, il aurait dû ajouter que « l'Europe » nous demande de restaurer la compétitivité de nos entreprises sans dévaluation monétaire, sans déficit, sans préférence nationale pour notre industrie et nos marchés publics, tout en concluant des accords commerciaux et en élargissant l'UE avec des pays ayant des normes et des salaires inférieurs aux nôtres.

Il aurait également dû expliquer que le chômage de masse lié à la désindustrialisation plombe les dépenses publiques depuis des décennies (via les allocations chômage) et que la contribution française au budget de l’Union européenne est en constante augmentation, ce qui aggrave notre dette et donc les intérêts que nous devons payer.

Enfin, un « moment de vérité » aurait aussi dû expliquer aux Français que leur niveau de vie allait baisser significativement au cours des prochaines années, et que leur modèle social allait être profondément altéré, du fait qu’en application d’un ensemble de textes européens formant ce qu’on appelle le Pacte de stabilité, la France est sous procédure de déficit excessif depuis un an et que, comme nous l’annoncions en septembre 2024 dans notre article sur « L'impuissance programmée du gouvernement face aux projets austéritaires de l'UE », une austérité sans fin nous attend.

Mais cette vérité est inavouable. Inavouable, car ce serait reconnaître que la construction européenne est au cœur du malheur français, qu'elle a été construite et soutenue inconditionnellement par nos dirigeants (cela est particulièrement le cas pour François Bayrou) et ce faisant, qu’ils sont les responsables directs de ce malheur. Piégés par leur engagement européen, ils ne peuvent que proposer un contre-récit d’une lâcheté sans nom : les Français ne travailleraient pas assez et vivraient au-dessus de leurs moyens.

Cet article propose donc de présenter comment le Pacte de stabilité a été mis en œuvre depuis près d’un an, en quoi il permet de comprendre les réformes annoncées hier par le Premier ministre, et quelles sont ses implications sur notre vie politique et économique pour les années à venir.

En effet, depuis la parution de notre précédent article, ni le gouvernement français ni la Commission européenne n’ont chômé pour s’assurer que la France se mettait bien sur les rails de l’austérité et des réformes structurelles à perpétuité.

Comme toujours lorsque l’on parle de « Pacte de stabilité », une contextualisation importante paraît de rigueur, car le sujet est peu connu et fait trop souvent l’objet de simplifications trompeuses. Pour mémoire, le Pacte de stabilité est un ensemble de textes européens imposé par l’Allemagne en 1997, visant à renforcer le caractère contraignant des règles de discipline budgétaire prévues par le traité de Maastricht. Le principal apport du Pacte de stabilité par rapport au traité de Maastricht est d’ajouter des sanctions à la fameuse règle des 3 % de déficit et de 60 % de dette publique à ne pas dépasser par un État.

Depuis sa création, ce Pacte de stabilité a fait l’objet de plusieurs réformes, et en particulier en 2011 (avec le « 6 pack ») et 2013 (avec le « 2 pack ») où celui-ci a été profondément renforcé (là encore à la demande de l’Allemagne) et transformé dans sa nature. En effet, les réformes de 2011 et 2013 ont introduit le principe de majorité qualifiée inversée, qui prévoit qu’un État violant le Pacte de stabilité sera sanctionné (avec une amende forte) à moins qu’une majorité qualifiée d’États membres s’y oppose.

Une autre procédure, outre celle de procédure pour déficit excessif, est également créée : la procédure pour déséquilibres macro-économiques excessifs qui sanctionne les États pas assez compétitifs (ex. : salaires « trop élevés »). On peut aussi ajouter que la Commission est dotée du pouvoir de donner son avis sur les projets de budget des États membres avant leur parlement national (avec un pouvoir de véto en cas de déviation grave de leur obligation européenne en matière budgétaire).

Mais enfin et surtout, ces deux réformes introduisent la procédure de semestre européen, dont l’importance dans notre vie politique et économique est inversement proportionnelle à son traitement médiatique. Cette nouvelle procédure donne en pratique à la Commission le pouvoir exorbitant (et non médiatisé) d’imposer des réformes structurelles aux États membres via des recommandations annuelles rendues obligatoires pour les États faisant l’objet d’une procédure de déficit excessif ou d’une procédure de déséquilibres macro-économiques excessifs. Les recommandations (des réformes structurelles) sont donc contraignantes en fonction du fait qu’un État respecte ou non le Pacte de stabilité.

Sous le quinquennat Hollande, la France ayant été simultanément sous le coup de ces deux procédures, elle s'est donc vue imposer tout le long de cette mandature des réformes structurelles (avec obligation de résultats dans l’adoption). Elle a même frôlé l’amende, évitée de justesse à la dernière minute, grâce à « l’intercession » politique de Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission européenne (refusant alors cette humiliation de la France par ses partenaires) et de Pierre Moscovici en sa qualité de commissaire européen.

Avec la fermeture de la procédure pour déficit excessif de la France en 2018, puis la suspension tout entière du Pacte de stabilité en 2020 pendant la crise Covid jusqu’à sa réactivation en juin 2024, les recommandations annuelles de la Commission à l’égard de la France avaient donc cessé d’être contraignantes.

Mais cette époque est révolue : la France est de nouveau sous procédure de déficit excessif (en raison d’un déficit très supérieur à 3 % du PIB, en l’occurrence 5,8 % en 2024), ce qui veut dire que les recommandations de la Commission européenne vont de nouveau être contraignantes.

Au menu de ces nouvelles recommandations publiées le 4 juin 2025 : évidemment l’austérité, mais aussi la dérégulation (appelée « simplification ») dans les services. Experts-comptables, architectes et agents immobiliers sont par exemple expressément nommés (1). Ainsi, la Commission est de retour et elle entend bien faire appliquer et respecter le Pacte de stabilité grâce à la palette de nouveaux outils mis à sa disposition depuis la dernière réforme de celui-ci en avril 2024, et en particulier l’outil de la « conditionnalité » sur lequel nous reviendrons.

Avant de voir ce qui nous attend, il convient au préalable de faire un petit historique de tout ce qu’il s’est passé depuis que cette procédure a été ouverte.

En application du Pacte de stabilité (révisé) et comme nous l’écrivions, la France (gouvernement Barnier) a d’abord déposé à la Commission européenne son plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT dans le jargon de Bercy) le 31 octobre 2024. Ce plan – qui est un plan d’austérité – présente les engagements budgétaires de la France pour les 7 prochaines années, jusqu’en 2031 donc, pour revenir sous la barre des 3 % de déficit public de manière durable.

Conformément au Pacte, le plan détaillait pour les années à venir « la trajectoire de ses dépenses primaires nettes », c’est-à-dire (en langue française), le plafond de ses dépenses publiques qu’elle s’engageait à ne pas dépasser pour les années à venir.

À l’époque de notre premier article, le plafond des dépenses publiques pour la France n’avait pas encore été rendu public (sans doute en raison des élections européennes) et nous ne savions pas si la France allait demander l’extension de la procédure de déficit excessif pour 7 ans afin d'« étaler » son austérité dans le temps (2). Aujourd’hui, nous avons la réponse à ses deux questions : non seulement le plafonnement de nos dépenses par la Commission a été publié, mais en plus, en le comparant avec ce à quoi la France s’est engagée dans son PSMT (plan budgétaire et structurel à moyen terme), on s’aperçoit que le gouvernement a adopté un plafond de dépenses encore plus bas que celui voulu par la Commission européenne. Évidemment, celle-ci ne va pas s’opposer à un tel zèle.

En outre, la France a bel et bien demandé l’extension de la procédure et du délai pour repasser sous la barre des 3 % de déficit en échange d’un certain nombre de réformes (notamment réformes des retraites, réforme de l’assurance chômage, etc.). La France a donc jusqu’à 2031 pour redresser ses finances publiques, conformément à ses engagements européens. La sanction en cas de non-respect de ses engagements est que le délai repasse de nouveau à 4 ans au lieu de 7.

Ce plan (le PSMT) a fait l’objet d’une mise à jour par le gouvernement Bayrou en janvier 2025, laquelle a été acceptée par le Conseil de l’UE le 17 janvier dernier. Le même jour, et dans un document séparé et contraignant, le Conseil a demandé à la France d’envoyer à la Commission avant le 30 avril 2025 un document prouvant que la France avait effectivement pris des mesures (concrètes) pour tenir sa feuille de route austéritaire et tenir ses engagements européens.

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Recommandations du Conseil de l'UE, 17 janvier 2025 - source

Ce fut chose faite le 16 avril 2025 avec la publication par Bercy d’un « rapport d’avancement annuel » récapitulant l’ensemble des réformes passées par la France pour justifier l’extension du délai à 7 ans et pour donner des gages quant au fait que la France ne déviera pas de son plafond de dépenses publiques pour l’année 2025. Et le 4 juin dernier, la Commission européenne a répondu à ces deux documents (dans celui de ses recommandations annuelles pour la France et dans le « country report ») et s'est montrée satisfaite, pour le moment, des réformes passées par la France et des gages donnés en matière d’austérité.

Cette importante et nécessaire contextualisation faite, nous allons maintenant pouvoir nous pencher dans le détail des engagements de la France en matière d’austérité pour les années à venir, et des nouvelles recommandations adressées par la Commission européenne au gouvernement Bayrou.

L’austérité à perpétuité

Le plan déposé à la Commission en octobre 2024 et mis à jour en janvier dernier engage donc la France sur la voie de l’austérité pour les 7 prochaines années, avec une division par 3 à 5 de l'augmentation des dépenses publiques (par rapport à celles de 2024) selon les années. Comme nous le rappelions dans notre article sur « l'impuissance programmée du gouvernement face aux programmes austéritaires de l'UE », ce plan engage tous les gouvernements à venir jusqu’à 2031, quels que soient les résultats des élections législatives et présidentielles. Le Pacte est d'ailleurs tout à fait explicite à ce sujet : « La nouvelle trajectoire de référence [du nouveau gouvernement] ne repousse pas l’effort d’ajustement budgétaire en fin de période et, en principe, ne conduit pas à un moindre effort d’ajustement budgétaire ». Jean-Luc Mélenchon, François Ruffin, Marine Le Pen… tous sont pieds et poings liés par la procédure de déficit excessif et par les engagements issus de notre plan budgétaire et structurel à moyen terme.

Disons-le tout de suite, cette austérité sur une durée aussi prolongée n’a aucun précédent dans l’histoire récente de la France. C’est ce que confirme une note flash du Haut-Commissariat au Plan et à la Stratégie qui parle diplomatiquement d’un « ajustement très ambitieux au regard des performances passées ». La note ajoute que si ce redressement des finances publiques ne devait se faire que par la maîtrise de la dépense (sans augmenter les impôts donc) « tout en augmentant nos dépenses de défense vers 3,5 % du PIB et de transition verte, [cela] nous obligerait alors à réduire la croissance des autres dépenses publiques en moyenne entre 2025 et 2030 à 0,9 % par an, soit +15 milliards d’euros courants par an (soit -0,7 % en volume et -12 milliards d’euros constants de 2024 par an). De tels efforts seraient totalement inédits » (3).

La France souhaite en effet réaliser l’impossible : augmenter ses dépenses militaires avec un objectif extrêmement ambitieux pour l’horizon 2030 avec une part représentant 3,5 % du PIB/an, et aussi augmenter ses investissements pour la transition écologique à 1 % environ du PIB/an, tout en menant une politique de redressement des finances publiques, c’est-à-dire une politique d’austérité. Problème, la charge de la dette augmente, tout comme les dépenses de retraites et d’assurance maladie à cause du vieillissement de la population, sans parler de la contribution française au budget de l’UE (elle aussi en augmentation, mais non intégrée au plafond annuel de dépenses publiques imposées par le Pacte de stabilité à la France).

Cela signifie très concrètement que toute augmentation de nos dépenses de défense (augmentation qui n’est pas illégitime) et en faveur de la transition écologique (qui n’est pas non plus illégitime) se fera soit par autant d’impôts supplémentaires (ex. : sur la TVA) ou autant de réductions de dépenses dans d’autres postes. C’est d’ailleurs en ce sens qu’allait l’allocution télévisuelle d’Emmanuel Macron du 5 mars dernier, préparant les esprits à une remise en cause de notre modèle social pour financer les dépenses militaires.

La note flash du Haut-Commissariat au Plan et à la Stratégie précise que dans un tel scénario (si la maîtrise des finances publiques ne se faisait que par la dépense publique), il faudrait que la croissance des dépenses publiques en volume soit négative, pour s'établir à -0,7 % pendant plusieurs années d’affilée. Or, entre 2001 et 2023, même au plus fort de l’austérité sous le quinquennat Hollande, cette dernière n’a jamais été négative. Elle ne l’a été qu’en 2023 en raison d’une inflation supérieure à 5 % (la dépense publique en volume est la dépense publique nominale corrigée de l’inflation).

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Options de financement des dépenses supplémentaires de défense et pour la transition écologique, Haut-Commissariat à la Stratégie et au Plan, 19 mai 2025

Mais tout ce scénario de maîtrise des finances publiques est basé sur des hypothèses extrêmement optimistes : aucune crise (ex. : sanitaire, financière, économique, militaire…) et une croissance annuelle de +1,1 % en moyenne par an. Or, ne serait-ce que pour l’année 2025, cette hypothèse est battue en brèche par la Commission européenne, qui estime que la croissance française ne sera pas de 1,1 %, mais de 0,6 % et avec des recettes inférieures à cette croissance. C’est pourquoi, pour la Commission européenne, le déficit public français, loin de se réduire, devrait réaugmenter dès 2026 à 5,7 %(après avoir baissé à 5,6 % en 2025), très loin des 4,6 % de déficit anticipé par le gouvernement pour cette même année.

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Rapport 2025 pour la France, SWD(2025) 210 final, 4 juin 2025, p.39

Cela éloigne d’autant la perspective du respect par la France du Pacte de stabilité à l’horizon 2029-2031. La Commission ne s’en émeut pas pour le moment, puisque la France passe les réformes structurelles auxquelles elle s’est engagée et qu'elle respecte la trajectoire de ses dépenses primaires nettes, c’est-à-dire que le budget français 2025 n’excède pas le plafond de dépenses auquel la France s’est aussi engagée.

Le retour aux 3 % : un prétexte pour la mise au pas de la France

Le fait que la Commission européenne ne s’émeuve pas de la déviation par la France de la correction de son déficit révèle la nature profonde du Pacte de stabilité, ou du moins la conception que la Commission s’en fait, laquelle nature préexistait, mais a été clarifiée par la réforme de celui-ci en avril 2024. En effet, la réforme de 2024 faisait passer au second plan le respect de la règle de 3 % de déficit (par rapport au PIB) pour privilégier le contrôle des dépenses publiques (et non des recettes) et le renforcement du caractère contraignant des recommandations pour forcer les États à passer des réformes structurelles.

On comprend donc, et certains l’avaient déjà compris depuis longtemps, que le respect de la règle des 3 % n’est qu’un prétexte pour forcer les États à baisser les dépenses publiques et passer des réformes structurelles. Ce sont les deux véritables boussoles de la Commission. La santé comptable ou économique d’un pays importe finalement peu du moment qu’il fait ce qu’on (la Commission européenne) lui demande. Peu importe aussi que les recettes s’effondrent.

Quant aux dépenses, toutes ne sont pas concernées par le plafonnement ; en particulier sont exclues, évidemment, la contribution française au budget de l’UE et tous les investissements dans des projets européens, ainsi que les dépenses de chômage, les dépenses exceptionnelles (ex. : bouclier énergétique, aides Covid, etc.) et aussi la charge de la dette. Du moment que les autres dépenses sont maîtrisées, ces dépenses peuvent donc filer et les recettes s’effondrer. Cela éloignera d’autant plus un retour sous la barre des 3 %, ce qui permettra de maintenir le pays sous une procédure de déficit excessif à perpétuité et donc d'obtenir de lui tous les sacrifices demandés.

Le gouvernement doit faire très attention à respecter le plafonnement des dépenses, car les textes – et la Commission le rappelle – n’autorisent une déviation dudit plafonnement que de 0,3 % du PIB, soit environ 9 milliards d’euros dans le cas français. Une marge de manœuvre bien mince...

Une procédure pour déficit excessif suspendue ?

Ce satisfecit de la Commission européenne a fait dire au gouvernement français que la procédure de déficit excessif était « suspendue » à l’encontre de la France. Mais comme l’a très justement fait remarquer un article du Figaro, ce terme, bien qu’utilisé au considérant n°18 des recommandations de la Commission européenne à la France (celles du 4 juin dernier) et par le commissaire européen Valdis Dombrovskis (4), est trompeur.

Pourquoi ? Car il pourrait laisser penser, et c’est certainement le but recherché, que le pacte de stabilité ne produit plus d’effet à l’encontre de la France, ce qui est la définition juridique de la « suspension » et la définition généralement acceptée de ce terme dans la langue française.

Pourtant, juridiquement, aucun des textes formant le Pacte de stabilité ne prévoit la « suspension » d’une procédure de déficit excessif. Une telle procédure est soit ouverte, soit fermée. En fait, dans ce contexte, le terme de « suspens » de la procédure (abeyance en anglais) doit se comprendre comme le fait que la France a fait exactement ce que la Commission attendait d’elle avec le doigt sur la couture (les réformes et le respect du plafonnement des dépenses), et donc que cela n’appelait pas à une escalade de sa part en matière de mesures de rétorsion, contrairement à ce qui est en train d’arriver à la Belgique et à la Roumanie.

La procédure pour déficit excessif n’est donc pas suspendue concernant la France : les recommandations restent contraignantes, tout comme l’obligation de repasser sous la barre des 3 % et celle de respecter le plafonnement des dépenses, autant d’obligations qui n’existeraient pas si la procédure était effectivement suspendue.

Il faut donc toujours se méfier des termes volontairement « rassurants » de la Commission européenne, qui permet, par un langage ambigu, de fournir des éléments de langage aux gouvernements nationaux pour garder la face vis-à-vis de leur population. Ainsi, on parle de « recommandations » quand en réalité il s’agit d’injonctions ou d’obligations, et on parle désormais de « suspension » quand on parle de la « parfaite application du Pacte ».

Un arsenal pour faire respecter le Pacte

À ceux qui pensent que le Pacte de stabilité n’est pas efficace au motif qu’aucun pays n’a jamais été sanctionné : ils se trompent. L’application ou non de sanction n’est pas le bon critère pour déterminer si le Pacte de stabilité est efficace ou non. D’abord, tous les États mis sous procédure de déficit excessif ont fini par repasser par la barre des 3 %. En outre, tous ont passé un grand nombre de réformes que la Commission leur avait demandé. Et enfin, la sanction n’est qu’un outil (parmi beaucoup d’autres) de l’arsenal mis en place pour forcer les États à se conformer au Pacte. Ne pas recourir aux sanctions signifie aussi qu’il n’y en a pas eu besoin pour faire respecter le Pacte.

Comme nous l’expliquions plus en détail dans un article paru chez nos confrères de Off Investigation, les États violant le Pacte de stabilité sont soumis à des pressions immenses : celles des marchés financiers qui ont fétichisé le seuil de 3 % (dont la réaction est d’augmenter les taux d’intérêt auxquels l’État emprunte sur les marchés en cas de déficit excessif) ; celle de la BCE qui conditionne tout soutien en cas d’attaque des marchés (via un rachat sur le marché secondaire des obligations d’États) au respect strict du Pacte ; celle de nos voisins d’Europe du Nord (Allemagne, Pays-Bas, Finlande, etc.) qui pour des raisons historiques, culturelles et de politiques intérieures sont très attachés au respect des règles de discipline budgétaire (et qui accessoirement ne pardonnent pas à la France d’avoir échappé systématiquement à des sanctions) ; et enfin celle de la Commission qui dispose de deux outils : l’amende et la conditionnalité.

Avec la réforme du Pacte en avril 2024, les amendes sont davantage devenues un outil symbolique et politique (visant en quelque sorte à pointer du doigt les États défaillants) plus que dissuasif. Les amendes, si elles sont prononcées, sont de 0,05 % du PIB tous les 6 mois, ce qui représenterait une amende de 1,4 milliard d'euros tous les 6 mois, loin des 15 milliards d’amendes possibles avant la réforme (0,5 % du PIB).

En revanche, la Commission européenne dispose d’un autre moyen de pression, autrement plus dissuasif : la conditionnalité. C’est-à-dire que si un État membre ne passe pas les réformes auxquelles il s’est engagé, s'il ne respecte pas les recommandations faites par la Commission ou que ses dépenses (primaires nettes) excèdent le plafonnement prévu, la Commission peut bloquer les aides européennes auxquelles le pays a droit via les différents programmes de l’UE. Très concrètement, cela voudrait dire que la France, qui est contributrice nette de l’UE et qui perçoit une quote-part de ce qu’elle a versé au budget européen, pourrait voir cette quote-part bloquée (alors qu’il s’agit de son propre argent).

On peut raisonnablement imaginer que n’importe quel gouvernement français préférera poursuivre la fuite en avant de la mise en application du Pacte de stabilité que de devoir assumer politiquement une telle situation, celle où Bruxelles refuse de nous rendre notre argent au motif que nous n’avons pas suivi l’une de ses recommandations ou que nous avons excédé notre plafond de dépenses. Pire encore, il faudrait rendre des comptes aux Français sur le fait même qu’un tel chantage ait pu être rendu possible par des textes européens adoptés et soutenus par la France.

Ce serait très probablement la fin du consentement à l’Union européenne pour les Français. Priver un bénéficiaire net des aides européennes peut en théorie s’entendre, priver un contributeur net est une tout autre question.

La Commission européenne : un FMI régional

On le voit donc, la perspective d’une mise sous tutelle de la France par le FMI, comme l’a laissé entendre le gouvernement, est globalement illusoire et trompeuse, puisque depuis la crise grecque des années 2010, l’Union européenne (Commission et BCE) s’est dotée d’un ensemble d’outils rendant inutile le recours à cette institution internationale. La Grèce a été mise sous tutelle partielle du FMI précisément car ces outils n’existaient pas alors ou qu'ils étaient en cours d’adoption (5). La France n’a pas à craindre une tutelle du Fonds Monétaire International puisqu’elle est déjà en pratique sous tutelle de la Commission européenne.

Brandir une menace inexistante (la tutelle du FMI) est bien commode pour le gouvernement, car elle permet de susciter la peur pour justifier l’austérité tout en invisibilisant une réalité actuelle bien plus difficile à assumer politiquement : la mise sous tutelle de la France par la Commission européenne.

La soumission finale ou la « lutte finale »

Mais finalement, que le Pacte de stabilité soit respecté ou non, la question de l’Union européenne sera posée et nous sommes peut-être à la croisée des chemins. Pourquoi ? Parce que si le Pacte de stabilité est respecté et l’austérité appliquée, il y a très peu de chances que le corps social français reste passif devant les remises en cause de son modèle social.

Il faut s'attendre à ce que, désormais, on n'ait plus affaire à des rognages progressifs de notre modèle social, mais plutôt à des privatisations par pans entiers (comme le transfert au privé d’une partie de l’assurance des affections longue durée) avec des conséquences beaucoup plus spectaculaires, où des acquis de notre quotidien cessent de l’être du jour au lendemain. Et ce scénario de révoltes pourrait tout aussi bien avoir lieu dans l’hypothèse où la Commission européenne ne nous rendrait pas notre argent, car nous refuserions certaines réformes structurelles.

Le gouvernement sera alors face à un dilemme : se soumettre à la BCE, aux marchés, à la Commission et à l’Eurogroupe, ce qui transformera la France en Grèce, ou bien se soumettre à la volonté populaire. Par lâcheté et incompétence, le second scénario paraît peu probable, car se soumettre à la volonté populaire et ne pas appliquer le Pacte implique nécessairement une attaque des marchés financiers. Or, la seule façon d’y faire face (sans se soumettre) est de reprendre le contrôle des capitaux et des changes, ce qui implique une sortie de l’euro et l’Union européenne.

Gageons que nos dirigeants préfèreront toujours une solution (la soumission) dont ils sont familiers avec la mise en application (le LBD) plutôt qu’un saut dans l’inconnu (la souveraineté).

Notes

(1) Voir page 59 du Country Report pour la France du 4 juin 2025 fait par la Commission européenne.

(2) La durée de la procédure est en principe de 4 ans, mais peut être étendue à 7 ans si l’État s’engage, en accord avec la Commission et le Conseil de l’UE à passer un certain nombre de réformes structurelles et d’investissements verts.

(3) Depuis le 25 juin 2025, les États membres de l’OTAN se sont même engagés à porter leurs dépenses de défense à 5 %, un montant totalement illusoire pour la France compte tenu des analyses du Haut-Commissariat au Plan et à la Stratégie.

(4) Commissaire européenne à l’économie et à la productivité, mise en œuvre et simplification.

(5) L’Allemagne avait d’ailleurs à l’époque insisté pour que le FMI intervienne en Europe, entre autres, pour partager son savoir-faire en matière de mise sous-tutelle d’un État (via les plans d’ajustements structurels). On peut légitimement penser aujourd’hui que l’élève a dépassé le maître.

Photo d'ouverture : Le Premier ministre français François Bayrou prononce un discours pour dévoiler les grandes orientations du budget 2026 de la France, Paris le 15 juillet 2025. (Photo Thomas SAMSON / AFP)

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