Il était une fois, une Première ministre imbue de son pouvoir, Sheikh Hasina. Accablé, le peuple endurait moult souffrances. Un jour, cette dirigeante décida d’octroyer à ses fidèles la primauté des emplois publics. Face à cette énième infamie, de nobles et courageux étudiants s’insurgèrent. Las d’un joug toujours plus oppressant, le peuple ne tarda pas à les rejoindre. De jour en jour, la colère populaire enfla et les victimes se comptèrent bientôt en dizaines, puis en centaines. Alors que ce despote s’apprêtait à étouffer une fois pour toutes cette jacquerie, l’armée se défaussa. Instantanément, l’aura maléfique de Sheikh Hasina se dissipa, et c’est en vieille femme aigrie qu’elle prit la fuite... Pour ceux de nos lecteurs qui ne croient pas aux contes de fées, la réalité se révèle évidemment bien plus complexe. Décryptage.
Si ce pseudofabliau retranscrit la trame générale des évènements qui ont mené à la chute de Sheikh Hasina au Bangladesh début juin, force est de constater que personne n’aurait misé sur un scénario aussi invraisemblable. Et pourtant, celui-ci s’est réalisé en seulement deux petits mois, un temps record défiant l’entendement.
Sheikh Hasina, une despote éclairée ?
En janvier dernier, la cinquième réélection de Sheikh Hasina s’était déroulée sans encombre. Nonobstant le boycott des opposants du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), l’arrestation de 20 000 de leurs adhérents et les poursuites judiciaires à l’encontre de plus de 73 000 sympathisants – sans compter l’interdiction faite au Jamaat-e-Islami, le « Parti islamiste », de participer au scrutin – Sheikh Hasina fut réélue haut la main.
Ces détails mis à part, le règne de la « Bégum de fer » ininterrompu depuis 2009 n’est pas synonyme d’une catastrophe économique et sociale. Au contraire, le Bangladesh s’est extirpé de son extrême pauvreté. Aujourd’hui, 99 % des ménages ont accès à l’électricité contre 57 % en 2009, un progrès majeur parmi d’autres. Signe manifeste de ces progrès, en novembre 2021, l’ONU a initié le processus de reclassement du pays de PMA (pays moins avancé) en PVD (pays en voie de développement) pour 2026. Et pourtant, la fronde qui a entraîné la chute de Sheikh Hasina est intrinsèquement liée au malaise social et économique qui frappe le Bangladesh, pays mal remis de la crise du Covid-19.
Le taux de chômage des jeunes dépassait les 15 % en 2023 selon Statista ; 40 % des jeunes âgés de 15 à 29 ans seraient des NEET « pas en emploi, ni étudiant ni en formation » selon cette analyse. Le Bureau des statistiques bangladaises pêche en revanche par son absence de données : on y annonce un taux de chômage de 4,2 % en 2017. L’office gouvernemental serait en cours de remaniement que cela ne serait guère surprenant. Un article du Dhaka Tribune publié le 31 mai dernier évoquait une montée du chômage : 2,59 millions de sans-emploi sur une population de 170 millions d’individus. C’est peu, trop peu, pour être crédible. Aujourd’hui, le nombre de chômeurs est estimé aux alentours de 18 millions.
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