L’un comme l’autre s’y préparait depuis des mois : le conflit tant redouté entre Israël et l’Iran a finalement éclaté. Les belligérants échangent quotidiennement frappes aériennes contre missiles dans un va-et-vient dévastateur, auquel s’est récemment jointe l’aviation américaine. Pourquoi cette guerre éclate-t-elle maintenant ? Et vers quelle issue se dirige le conflit ?

publié le 23/06/2025 Par Paul Fernandez-Mateo
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Dans la nuit du 12 au 13 juin 2025, par l’intermédiaire du Mossad, Israël a lancé une opération de sabotage méticuleusement préparée, depuis le territoire iranien lui-même, contre les systèmes antiaériens iraniens, sécurisant l’accès à l’espace aérien de son ennemi pour son aviation. Aussitôt après, plusieurs centaines d’appareils israéliens ont procédé au bombardement de nombreuses cibles liées au programme nucléaire iranien.

On ne peut pas dire que cette attaque ait constitué une surprise. Les tensions entre les deux pays n’avaient cessé d’augmenter ces dernières années, notamment depuis les événements du 7 octobre 2023. Le point de non-retour fut sans doute la relance des négociations entre les États-Unis et l’Iran autour du programme nucléaire iranien. Ces négociations avaient alarmé Israël qui ne pouvait tolérer une normalisation des relations entre son principal allié et son pire ennemi. Avec son dédain habituel pour l’interdiction du recours à la force par le droit international, Israël a préféré parier sur l’écrasement préventif de son adversaire.

Seulement, l’Iran ne s’est pas laissé faire. La réplique ne s’est pas fait attendre, et a pris la forme d’une pluie de missiles sur Tel-Aviv. Depuis lors, les deux belligérants se rendent coup pour coup ; ne partageant aucune frontière terrestre, ils se bornent à utiliser les vecteurs dont ils disposent pour porter le feu sur le territoire adverse. Les Israéliens, bénéficiant toujours de leur destruction préventive des systèmes antiaériens iraniens au début du conflit, utilisent leur aviation en toute impunité pour frapper l’Iran, et disposent depuis la nuit du 21 au 22 juin du soutien militaire des États-Unis ; en parallèle, l’Iran bénéficie d’un immense arsenal de missiles et de drones, difficiles à abattre du fait de leur vitesse et/ou de leur petite taille, qu’il expédie petit à petit sur les agglomérations israéliennes, et de positions fortifiées difficiles à détruire, même pour les armes américaines, telles que le site d’enrichissement d’uranium de Fordo.

Pour le moment, le reste du monde retient son souffle et se contente de mettre ses ressortissants à l’abri ; reste à savoir pour combien de temps encore. La rhétorique américaine, récemment encore favorable à la négociation, s’est durcie jusqu’à se changer en engagement militaire direct, bien que limité. L’incertitude demeure sur la direction que le conflit prendra dans les jours et semaines qui viennent.

Le pari très risqué de Benjamin Netanyahou

Le timing des attaques israéliennes ne relève bien évidemment pas du hasard. Depuis les attaques du 7 octobre 2023 et les révélations médiatiques qui ont promptement établi que le gouvernement israélien avait été averti de l’imminence d’une offensive, le chef du gouvernement israélien, Benjamin Netanyahou, s’est engagé dans une fuite en avant désespérée pour échapper aux conséquences de ses actes – lesquelles se solderont inévitablement par son départ du pouvoir, le jour où elles le rattraperont. Et la solution choisie par le dirigeant israélien semble rester toujours la même : la guerre. La guerre à Gaza, la guerre au Liban, la guerre en Syrie, la guerre en Iran, la guerre partout, pourvu que cela repousse encore un peu plus le terrible retour de bâton politique qui s’apprête à s’abattre sur lui.

Ce n’est ainsi pas un hasard si l’attaque israélienne a débuté le lendemain d’un vote plus serré que prévu à la Knesset visant à obtenir des élections anticipées. La coalition au pouvoir, composée du Likoud et de quelques partis d’extrême-droite, pouvait en théorie compter sur 64 voix, sur les 120 sièges que compte le parlement israélien. Pourtant, seuls 61 députés se sont opposés au texte, contre 53 votes pour. La marge de manœuvre de Netanyahou, qui commence à perdre le soutien de certains de ses alliés ultra-orthodoxes, se réduit ; mais la rhétorique de l’unité autour du chef de guerre semble encore fonctionner.

En effet, les deux partis ultra-orthodoxes de la coalition avaient initialement annoncé qu’ils voteraient en faveur des élections anticipées, avant de se rétracter. L’opposition doit désormais attendre six mois pour retenter de faire chuter le gouvernement, comptant sur l’usure de la coalition. Mais en déclenchant une guerre contre l’Iran, l’ennemi existentiel par excellence, Netanyahou joue son va-tout : si cela ne garantit pas l’unité de sa coalition, alors rien n’y parviendra.

Le Premier ministre israélien a également su saisir un instant favorable, au point de vue international. Israël avait été particulièrement agacé par les négociations bilatérales menées entre les États-Unis et l’Iran, négociations auxquelles l’État hébreu ne participait pas et qu’il voyait d’un très mauvais œil. Israël doit sa prospérité, et même sans doute sa survie, au soutien considérable que lui apportent les États-Unis depuis des décennies. Toute tentative de rapprochement, aussi improbable puisse-t-elle paraître, entre leur bienfaiteur et l’un de leurs adversaires régionaux, ne peut donc être perçue que très négativement par Tel-Aviv. Or, dans les jours précédant l’attaque israélienne, le processus de négociation s’est considérablement tendu, l’Iran rejetant les propositions américaines et préparant sa propre contre-proposition. Plutôt que de risquer que ladite contre-proposition soit discutée, Israël a préféré tirer avantage du soudain regain de tension, accompagné d’une déclaration de l’AIEA selon laquelle l’Iran manquait à ses engagements en matière de désarmement nucléaire, pour lancer son offensive.

Concrètement, l’attaque israélienne a mis les États-Unis au pied du mur. L’administration Trump a initialement semblé très réticente à intervenir dans la région, en dépit des hurlements des derniers faucons néoconservateurs, reliques de l’ère Bush qui attendent depuis des décennies d’anéantir la République islamique. Trump n’a pas oublié que sa base de soutien est largement anti-interventionniste et a multiplié les marques d’agacement vis-à-vis d’Israël ces derniers mois, notamment devant l’évidente mauvaise volonté de l’État hébreu de mettre fin aux massacres à Gaza. Mais en portant le premier coup contre l’Iran, Israël a plongé Trump dans l’embarras, car il est évident que celui-ci n’avait aucune intention de remettre en question la politique américaine de soutien quasi illimité à Israël. Et surtout, Israël ne dispose pas de l’armement nécessaire pour espérer détruire les sites d’enrichissement d’uranium iraniens, qui constituent les rouages les plus cruciaux de son programme nucléaire. Bon gré mal gré, l’administration américaine s’est retrouvée forcée d’intervenir.

Netanyahou fait également le pari de la passivité du reste de l’Occident, et pour le coup, au vu du légendaire courage de l’Europe face aux innombrables violations du droit international par Israël ces dernières décennies, c’est un pari qu’il était certain de remporter. Certes, ni la France, ni le Royaume-Uni, ni aucun autre pays européen n’apportent encore directement leur soutien à Israël contre l’Iran. De toute évidence, une certaine gêne plane sur les chancelleries européennes.

Il faut dire qu’après des années passées à dénoncer l’agression russe en Ukraine, se ranger directement aux côtés de l’agression israélienne en Iran serait sans doute un peu trop embarrassant à faire avaler à leurs opinions publiques, sauf peut-être pour les Allemands, les soutiens les plus ouvertement décomplexés d’Israël en Europe. Le chancelier allemand, Friedrich Merz, n’en est ainsi plus à une contradiction près ; après avoir adopté une position extrêmement ferme à l’égard de la Russie, le voilà qui loue les efforts israéliens pour « faire le sale boulot pour nous tous » à l’égard du « terrorisme » du régime iranien. Il y a le mauvais agresseur, et il y a le bon agresseur…

Pour Benjamin Netanyahou, un autre bénéfice de la situation actuelle est que l’embarras dans lequel le conflit plonge l’Europe a relégué au second plan d’autres préoccupations désagréables pour Israël, au premier rang desquels la recherche d’un consensus européen pour la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État. Les positions apparaissent aujourd’hui plus tranchées que jamais.

Ce que révèlent les résultats des frappes menées par les deux belligérants

Le conflit fait rage, par missiles et aéronefs interposés, depuis maintenant dix jours. Les dommages causés à l’Iran sont plus importants, mais l’Iran est également un pays bien plus vaste, plus peuplé et plus riche en ressources, et donc théoriquement plus résilient, la particularité de son régime politique mise à part. Et effectivement, aucun camp ne semble, pour l’instant, avoir pris un ascendant décisif sur l’autre. À vrai dire, que ce soit pour Tel-Aviv ou Téhéran, le bilan semble assez mitigé pour les deux belligérants.

Du côté iranien, la destruction par le Mossad d’une bonne partie des systèmes antiaériens du pays, au tout début du conflit – et ce, semblerait-il, depuis des bases situées sur le territoire iranien lui-même – représente non seulement une humiliation pour la République islamique, mais la rend largement vulnérable aux frappes aériennes israéliennes. De fait, celles-ci se sont multipliées et s’effectuent dans une large impunité jusqu’à présent, Israël allant même jusqu’à revendiquer ouvertement la supériorité aérienne sur le territoire iranien. La stratégie israélienne de décapitation systématique des forces militaires iraniennes constitue également un gros problème, en ce qu’elle sème la pagaille au niveau de l’organisation de la défense du pays. Militairement parlant, l’Iran est donc en fâcheuse posture, et ne peut qu’absorber les frappes israéliennes et compter sur sa résilience. L’engagement américain ne fait qu’aggraver la situation, même s’il demeure pour l’instant limité à une unique nuit de frappes aériennes.

Mais du côté israélien, l’embarras est également au rendez-vous. Le fameux « Dôme de Fer » et autres systèmes antimissiles apparentés se révèlent être de vraies passoires, les missiles iraniens frappant désormais les grandes villes israéliennes avec régularité sans trop s’embarrasser des contremesures prévues pour les abattre. Les opérations Promesse Honnête 1 et 2, qui avaient vu l’envoi vers Israël de quelques centaines de projectiles iraniens en avril et octobre 2024, avaient déjà démontré la vulnérabilité des défenses israéliennes en la matière. En dépit de dénégations répétées du gouvernement israélien, de nombreux impacts de missiles avaient été observés, surtout en octobre ; et cette vulnérabilité semble s’être accrue à l’heure actuelle. D’importants dégâts ont notamment été observés à Haïfa, le plus grand port israélien.

Comme tous les systèmes de ce genre, les défenses antimissiles israéliennes sont rapidement saturées devant un grand nombre de projectiles et perdent fortement en efficacité ; et il est également probable que les systèmes d’interception israéliens soient en train de tomber à court de munitions. Le mythe de l’invulnérabilité du ciel israélien a été anéanti, et Israël doit bien davantage aux très nombreux abris aménagés sur son territoire qu’à ses défenses antimissiles de n’enregistrer pour le moment que des pertes civiles relativement limitées.

Quant à l’objectif initialement affiché par Israël, à savoir la destruction des installations nucléaires iraniennes, là encore, les résultats obtenus ont été médiocres – au point que les États-Unis se sont sentis forcés d’intervenir. Si le site d’enrichissement de Natanz a été gravement endommagé, celui de Fordo, construit sous une montagne, est plus ou moins invulnérable aux attaques aériennes israéliennes – ce qui est logique, étant donné qu’il a été conçu pour cela. Or, là où le site de Natanz disposait de près de 15 000 centrifugeuses permettant l’enrichissement du combustible nucléaire, celui de Fordo a été construit pour en abriter près de 3 000. Si l’on en croit les propos de l’AIEA, étant donné les quelque 400 kilogrammes de combustible enrichi à 60 % dont dispose actuellement l’Iran, s’il était décidé de faire tourner les centrifugeuses du seul site de Fordo à plein régime pour viser les 90 % d’enrichissement fatidiques permettant la fabrication d’armes nucléaires, la République islamique pourrait obtenir pas moins de neuf armes atomiques.

La vulnérabilité du site de Fordo aux armes américaines est quant à elle discutable. Les États-Unis ont bien sûr revendiqué une totale réussite de leurs frappes de la nuit du 21 au 22 juin, mais dans la semaine précédant cette intervention, plusieurs observateurs ont émis de sérieux doutes sur la capacité de l’arsenal américain de parvenir à détruire le site de Fordo, même avec les plus puissantes et les plus pénétrantes de leurs bombes. Le satisfecit américain est peut-être quelque peu prématuré. L’absence de toute fuite de radioactivité, confirmée jusqu’à présent par l’AIEA, l’Iran et l’Arabie Saoudite, laisse notamment supposer soit que les installations sont indemnes, soit que le combustible nucléaire en a été évacué à temps. Il apparaît très probable que le programme nucléaire iranien se poursuivra.

Et maintenant ? Les différents scénarios pour la suite du conflit

Si les belligérants se limitent pour l’instant à procéder à un échange de frappes aériennes, l’avenir du conflit reste plus difficile à déterminer. Tout juste peut-on deviner une intention d’Israël de ne pas limiter ses frappes aux installations nucléaires iraniennes. Ainsi, les frappes israéliennes s’étendent à présent à certaines installations pétrolières ; et Netanyahou ne fait plus mystère de son intention de procéder à l’élimination de tous les dirigeants iraniens, y compris l’ayatollah Khamenei, le « Guide suprême » de la République islamique – et ce en dépit du fait que Donald Trump le lui a expressément interdit. Netanyahou se moque des lignes rouges américaines : il est convaincu – très certainement à raison – qu’il n’ira jamais assez loin pour que les États-Unis lui retirent son soutien dans ce conflit.

L’étendue de ce soutien américain reste encore toutefois peu claire. Le fait que les frappes aériennes de la nuit du 21 au 22 juin se soient immédiatement soldées par une déclaration triomphaliste de Donald Trump laisse entendre que les États-Unis ne souhaitent pas s’engager davantage, au-delà de leur seule aviation. De toute évidence, l’intention américaine initiale était d’en rester à une posture défensive ; mais si le conflit s’était poursuivi dans sa forme actuelle, il est probable qu’Israël, qui ne dispose pas des capacités militaires suffisantes pour menacer sérieusement le site de Fordo, aurait été incapable d’empêcher l’Iran d’acquérir l’arme atomique s’il le souhaite. Et à ce stade, il faut bien l'avouer, pourquoi l’Iran se gênerait-il ? Un test réussi d’une arme nucléaire assurerait évidemment sa sécurité de façon permanente, exactement comme la Corée du Nord ; d’autant qu’il dispose d’ores et déjà de vecteurs capables de frapper le territoire israélien. Le pari israélien était donc évidemment que les États-Unis seraient forcés d’intervenir directement s’ils tiennent à empêcher cela. C’est ce que les récentes frappes américaines ont tenté d’accomplir ; leur degré de réussite reste pour l’instant impossible à déterminer.

Et si même les frappes aériennes américaines ne parviennent pas à mettre hors service le site de Fordo, il ne resterait alors plus aux États-Unis que l’option d’une attaque terrestre véritablement massive, tous azimuts, impliquant plusieurs centaines de milliers d’hommes, de façon analogue à l’invasion de l’Irak en 2003. Or, l’Iran est un pays au terrain à peu près aussi accidenté et inhospitalier que l’Afghanistan, ce qui n’est pas peu dire ; toute velléité d’intervention terrestre se transformerait en un véritable cauchemar opérationnel et logistique. Une perspective extrêmement coûteuse et politiquement difficile à justifier à une population américaine de plus en plus écœurée par les massacres à Gaza et la désinvolture d’Israël face au droit international. Sans compter que toute attaque américaine massive contre l’Iran se solderait probablement par d’autres conséquences dommageables, telles qu’une réactivation de la campagne de frappes des Houthis contre les navires en Mer rouge, ou encore une clôture immédiate par l’Iran du détroit d’Ormuz, par lequel transitent plus de 20 % du pétrole et du gaz naturel liquéfié mondial – ce qui provoquerait instantanément une crise économique mondiale.

Au lieu de cela, l’option sur laquelle Israël, et par extension des États-Unis semblent miser actuellement est d’obtenir la chute du régime des mollahs en poussant sa population à la révolte. Si tel est le cas, il s’agit là d’une posture très optimiste. Certes, la chute rapide et imprévue de Bachar el-Assad, fin 2024, a pu renforcer la foi en un essoufflement du régime iranien et de sa résilience ; mais il convient de rappeler que les frappes aériennes, si elles ont bien des avantages, n’ont jamais à elles seules entraîné la chute d’un gouvernement. Depuis la Luftwaffe à Londres, le Strategic Air Command au-dessus de l’Allemagne nazie, l’USAAF à Tokyo, jusqu’aux frappes russes contre l’Ukraine ces dernières années, les bombardements stratégiques ont constamment démontré leur inefficacité à cet égard.

Alors, quelle fin envisager au conflit actuel ? En toute honnêteté, il vaudrait peut-être mieux que les belligérants retournent à la table des négociations, aussi improbable que cela paraisse. Tant que les frappes continueront, l’Iran fera probablement la course pour obtenir une arme nucléaire, et il demeure incertain que même les États-Unis parviennent à l’en empêcher. Avec ou sans issue diplomatique, toutefois, Israël fera tout ce qui est en son pouvoir pour que le régime théocratique au pouvoir en Iran s’effondre de lui-même – mais rappelons-nous comment a fini un Adolf Hitler qui pronostiquait, en parlant de l’URSS en 1941, qu’il suffirait de « donner un coup de pied dans la porte, et toute cette structure pourrie s’effondrera ».

Enfin, n’oublions pas non plus que c’est d’Israël qu’il est question – à savoir une puissance nucléaire qui ignore le droit international et a maintes fois réitéré qu’elle n’excluait aucune option pour assurer sa sécurité. L’hypothèse de frappes nucléaires sur l’Iran demeure extrêmement improbable, mais il est impossible de l’écarter complètement, surtout si le conflit s’enlise et que le site de Fordo demeure actif.

Photo d'ouverture : Cette photo prise à Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza, montre des traînées de roquettes dans le ciel le 13 juin 2025, après que l'Iran a frappé Israël avec des barrages de missiles suite à un assaut massif visant les installations nucléaires et militaires de la République islamique. (Photo Eyad BABA / AFP)