Pour combattre efficacement un adversaire politique, il faut commencer par bien nommer les choses. Or, les qualificatifs de « libéral » ou « néolibéral » pour caractériser Macron et son monde sont absolument désastreux d’un point de vue stratégique.
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Le citoyen lambda, c’est-à-dire non politisé (ce qui représente la majorité de la population), n’a aucune idée de la signification de ces notions, et encore moins des différences fondamentales entre « libéralisme » et « néolibéralisme », qui ne sont connues que des universitaires et des militants aguerris. De son point de vue, il faut comprendre qu’arrive simplement à son oreille un terme plutôt positif – « libéral » – qui renvoie intuitivement à la notion de « liberté ».
Dès lors, la question est simple : pourquoi continuer à qualifier dans le débat public un adversaire politique par un mot qui non seulement crée de la confusion, mais qui en outre lui est a priori favorable ? Ce n’est pas parce que cette mauvaise habitude a été prise ces dernières années par les opposants politiques qu’il faut persévérer dans cette voie.
Puisque les classifications traditionnelles ne sont plus du tout signifiantes dans la période pour la plupart des gens – les notions de « droite » et de « gauche » sont aussi concernées –, il apparaît urgent et impératif d’adopter une nouvelle grille de lecture, à la fois claire et efficiente. Et pour être audible dans le débat public, il convient également que la terminologie employée ne soit ni outrancière ni excessive.
C’est pourquoi, il semblerait plus pertinent de situer politiquement les partis et personnalités politiques selon trois axes distincts. Le premier axe est économique et social avec d’un côté les « égalitaires » et de l’autre les « inégalitaires ». Le deuxième axe concerne la liberté politique (respect des libertés publiques) avec d’un côté les « démocrates » et de l’autre les « autoritaires ». Le troisième axe est culturel avec d’un côté les « progressistes » et de l’autre les « conservateurs ».
Et là, la vérité se fait tout de suite beaucoup plus limpide. De Macron à Zemmour, en passant par les Républicains et Le Pen (sans oublier les socialistes hollandistes dont Cazeneuve semble être devenu le nouveau héros…), ce sont tous des inégalitaires autoritaires. Tous défendent des politiques économiques qui visent à préserver voire renforcer les inégalités sociales, puisque tous sont d’accord pour se soumettre aux injonctions de l’Union Européenne. Tous souhaitent appliquer des politiques d’austérité dans les services publics pour « lutter contre la dette », casser les protections des travailleurs pour « soutenir la compétitivité des entreprises », et exonérer de « charges sociales » les (grandes) entreprises qui « créent les emplois ».
Tous prônent désormais la « réindustrialisation » de la France mais seulement comme un vœu pieux, car aucun n’est prêt à s’en donner véritablement les moyens. Aucun n’est prêt à remettre en question notre appartenance à l’euro et au marché unique européen qui nous enferment dans ces politiques économiques à la fois inefficaces – car elles ont détruit l’appareil industriel national – et injustes, car elles ne profitent qu’aux ultra-riches dont les dividendes ne cessent d’augmenter. Tous continueront ainsi à accroître la misère et la baisse du niveau de vie des Français, et échoueront inéluctablement à éradiquer le chômage de masse qui mine notre pays. Fin de la démonstration pour ce qui concerne l’aspect inégalitaire.
Or, dans la période actuelle qui voit le mécontentement progresser au sein du pays, mener une telle politique économique ne peut se faire qu’en portant atteinte aux libertés publiques (liberté de manifester, droit de grève, liberté d’expression, etc.). C’est que les gens ont une fâcheuse tendance à se rebeller lorsque les gouvernants cherchent à leur pourrir la vie… En témoignent la multiplication des luttes ces dernières années, de nuit débout (2016) jusqu’aux grèves contre la réforme des retraites (2019/2020 pour la version n°1 « système par point universel » et 2023 pour la version n°2 plus classique « report de l’âge légal »). Et puisque l'idée d'écouter le peuple ne leur effleure même pas l’esprit, il faut bien tuer les mouvements sociaux par tous les moyens. Les gilets jaunes, mutilés et éborgnés par dizaines par une police aux ordres et largement couverte par le pouvoir, en savent quelque chose.
Et cette dérive liberticide a depuis dévalé la pente : garde à vue illégitime contre des journalistes et atteintes répétées au principe du secret des sources, mesures antiterroristes utilisées contre des militants écologistes, arrestations arbitraires de manifestants (voire de simples passants dans la rue…), surveillance de masse des militants politiques par les écoutes téléphoniques, etc. La liste est longue comme le bras, et cela ne tient pas spécifiquement à Macron. En vérité, le tempérament inégalitaire sur le plan économique et social de toutes ces forces politiques les pousse donc naturellement et inévitablement vers l’autoritarisme et la destruction des libertés. Autrement dit, il ne peut y avoir de liberté sans égalité. Dit encore autrement, un « inégalitaire » est mécaniquement voué à être ou devenir un « autoritaire ».
Ne reste que l’aspect culturel où chacun tente autant qu’il peut de défendre ses « valeurs » (terme creux dont l’usage prétend conférer un vernis philosophique et politique à des petits affects personnels). Mais même sur cet aspect, les bourgeois progressistes d’hier ne sont plus très loin de rejoindre les positions les plus conservatrices. Et nul doute qu’ils franchiront le pas sans hésiter une seule seconde, si d’aventure le choix électoral se pose à eux de choisir entre un courant politique « égalitaire démocratique » ou un parti « inégalitaire autoritaire ». « Plutôt Hitler que le Front populaire »… on connaît l’histoire. C’est qu’entre la morale et les intérêts matériels, la bourgeoisie est assez prévisible : elle privilégiera toujours son portefeuille à ses supposés idéaux. On ne se refait pas.
L’avantage d’utiliser les termes « inégalitaires » et « autoritaires » pour caractériser politiquement ces courants politiques est bien sûr qu’ils sont connotés négativement, mais aussi qu’ils sont aisément compréhensibles par tous. Il est d’ailleurs assez savoureux de constater que lorsque l’on parvient à décrire la réalité avec précision et simplicité, les impostures apparaissent avec une forme d’évidence.
N’est-il pas frappant de constater que la plupart des personnalités politiques visées plus haut sont les mêmes qui ne cessent de se proclamer « républicains » et d’en appeler aux « valeurs de la République » ? Or, la Constitution française a donné un contenu à la République notamment par sa devise : Liberté, Égalité, Fraternité. Dès lors, les inégalitaires autoritaires apparaissent, une fois nommés ainsi, pour ce qu’ils sont réellement : de parfaits antirépublicains.
C’est pourquoi, ils cherchent toujours à embrouiller pour rendre compliqué ce qui est simple. Ils ont fondamentalement besoin de la confusion pour parvenir à tromper leurs électeurs. Que tous ceux qui veulent les combattre pour faire advenir un monde plus juste sachent que la clarté et la vérité sont nos meilleures alliées.
Cessons de dire que Macron est un « (néo)libéral », c’est un inégalitaire autoritaire.
Note : Il n’est nullement question de rejeter l’utilisation des notions de libéralisme et de néolibéralisme dans les recherches académiques ou les discussions militantes. La proposition de l’auteur concerne exclusivement l’expression sur les canaux grand public (radio, TV, internet, etc.) écoutés ou regardés par une majorité de gens souvent peu politisés.
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