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Pacte de stabilité, procédure de déficit excessif, trajectoires de référence, plans budgétaires et structurels… ces termes ne vous disent sans doute pas grande chose, sauf pour les plus avertis d’entre vous (ce qui n’inclut probablement pas la classe politique française) et pourtant, ils vont décider de la politique économique de la France pour les 7 prochaines années, quel que soit le gouvernement formé et quel que soit le prochain président de la République.

Article Politique
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publié le 15/09/2024 Par Camille Adam
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Cette politique, imposée par l’Union européenne, a un nom bien familier : l’austérité. L’arsenal juridique et politique bien rodé déjà en place trouve sa source dans le pacte de stabilité, adopté en 1997 par le duo Chirac-Jospin, et constitue l’une des nombreuses « briques » du bloc de constitutionnalité européen, aux côtés de la liberté de circulation des capitaux, de l’impossibilité de dévaluer et du libre-échange.

Ce pacte avait déjà été renforcé par une série de directives et règlements en 2011 (le fameux « six pack ») et en 2013 (le non moins fameux « two pack »). Mais l’application simultanée de ces règles dans plus d’une dizaine d’États européens à la suite de la crise dite des dettes souveraine avait conduit à un effondrement de la demande intérieure européenne, causant une stagnation en matière de croissance dans une grande partie de la zone euro durant près d’une décennie.

Le 29 avril 2024, un nouveau règlement a été adopté à la demande du gouvernement allemand, qui vient à nouveau réformer le pacte de stabilité et rendre le plus contraignant possible la règle interdisant les déficits publics supérieurs à 3 % du PIB prévu par le traité de Maastricht. Cette réforme 2024 était censée corriger les « erreurs » du passé et rendre le respect du pacte de stabilité moins procyclique en individualisant les trajectoires de réduction des déficits publics (par opposition à une approche unique du type « one size fits all »).

La France dans le viseur de la Commission

Cette réforme intéresse particulièrement la France qui, depuis le 26 juillet 2024, est de nouveau sous tutelle budgétaire de la Commission avec l’ouverture de la 4e procédure pour déficit excessif à son encontre depuis l’entrée en vigueur du traité de Maastricht en 1993. La précédente procédure de déficit excessif contre la France avait été déclenchée en 2009, après la crise des subprimes, et avait duré près de 10 ans (clôturée en 2018).

La France était ensuite passée sous le seuil des 3 % en 2018 et 2019 avant d’en sortir de nouveau dans les grandes largeurs avec la crise du coronavirus et le « quoi qu’il en coûte ». Mais un sursis avait été accordé aux États avec l’activation de la clause de sauvegarde du pacte de stabilité du printemps 2020 au printemps 2024.

Avec la récente ouverture de cette procédure, la France aura donc l’insigne honneur avec huit autres États membres de l'UE d’expérimenter les nouvelles règles issues de la réforme du pacte de stabilité dans sa version 2024.

Mais que prévoient donc ces nouvelles règles ? Le principal apport de ces règles est d’accorder en théorie plus de temps aux États qui ne respecteraient pas les règles en matière de déficit public pour ramener leur déficit dans les clous des 3 % du traité de Maastricht, en suivant une trajectoire de réduction des déficits et dépenses individualisée proposée par la Commission européenne.

Deux documents organisent cette procédure : la trajectoire de référence décidée par la Commission et le Conseil de l’UE, suivie d’un plan budgétaire et structurel national à moyen terme transposant la trajectoire et élaboré par l’État visé.

Un pilote : la Commission

Dans la « trajectoire de référence des dépenses nettes », la Commission indique aux États « dans le rouge » la trajectoire de réduction de leurs dépenses nettes (1) pour permettre à l’État de rétablir son déficit public sous la barre des 3 % en 4 ou 7 ans (pas plus) et garantir une trajectoire descendante de la dette. Ensuite, l’État concerné doit transposer cette trajectoire dans un « plan budgétaire et structurel national à moyen terme » (comprenez « plan d’austérité pluriannuel »), sans pouvoir en dévier. Autrement dit, la Commission et le Conseil dictent aux États leur politique budgétaire, réduisant leur souveraineté en la matière au strict minimum.

C’est un plan de ce type que la France devra déposer au plus tard le 20 septembre 2024 à la Commission européenne, les réformes, les investissements et les économies projetées permettant de passer sous la barre des 3 %.

Les nouvelles règles vont donc un cran plus loin dans l’ingérence dans les affaires publiques d'un État, car jusqu’à présent, les États devaient présenter annuellement un « programme de stabilité » pour leur trajectoire budgétaire sur 3 ans, que la Commission commentait ensuite (2). Désormais, la Commission et le Conseil de l'UE tiennent la plume de Bercy qui doit ensuite « copier-coller » ce qui a été décidé (3).

Les nouvelles règles prévoient même que la Commission fournisse les hypothèses et prévisions macro-économiques, les projections de dette publique à moyen terme sur lesquels l’État devra se baser et travailler pour élaborer son plan. La Commission tiendra donc aussi la calculette en plus du stylo...

Le débat parlementaire en option

Il n’est même pas prévu que la consultation du Parlement soit obligatoire pour l’élaboration de ce « plan », cette consultation restera à la discrétion du gouvernement. Pour avoir une idée de ce qui risque de ne pas arriver, on peut rappeler qu’en 13 ans, le gouvernement n’a consulté le Parlement que deux fois sur son programme de stabilité. Interrogé sur ce point lors d’une audition du Sénat en décembre 2023, Bruno Le Maire était resté très évasif. En tout état de cause, cela dépendra donc du bon vouloir du futur gouvernement.

Si la Commission et le Conseil estiment que le pays concerné ne suit pas suffisamment la trajectoire de réduction des dépenses (nettes) préconisée (exigée), ils peuvent demander une nouvelle copie, c’est-à-dire un plan révisé intégrant mieux la trajectoire demandée. Cette règle vient s’ajouter à celle prévoyant déjà que la Commission puisse retoquer un budget national (comme ce fut le cas à l’égard du budget italien en 2018) si celui-ci s’écarte de manière importante du pacte de stabilité (4).

En revanche, la consultation de la société civile (l’IFRAP ?) et des partenaires sociaux (comprendre le Medef) est prévue dans le texte. Dans le cadre des précédentes règles, la CGT se plaignait chaque année d’être consultée à la dernière minute sans avoir le temps matériel de produire une analyse sérieuse du programme de stabilité français, et donc d’être placé dans une logique du fait accompli. Il faut là encore s'en remettre au bon vouloir des futures pratiques gouvernementales...

« L'heure des réformes »

La période par défaut qui est laissée à chaque État pour repasser sous la barre des 3 % est en principe de 4 ans (ce qui est un progrès par rapport aux précédentes règles), mais les États pourront demander une prolongation de trois années supplémentaires (pas plus), soit un total de 7 années, si l’État s’engage à adopter des réformes structurelles ou à procéder à certains investissements verts.

Concrètement, si un État s’engage à réformer ses retraites, son code du travail ou ses dépenses de santé, ce délai lui sera accordé. Nul doute que nos dirigeants sauteront sur ce prétexte pour justifier une énième destruction de notre modèle social. Bien sûr, il est toutefois bienvenu que les « investissements verts » soient incités.

Si ces réformes ou ces investissements devaient ne pas aboutir, alors le délai de mise en conformité avec le pacte de stabilité serait de nouveau raccourci.

Après le dépôt du 20 septembre prochain (qui devrait donc être la date de trahison du futur gouvernement des attentes des électeurs), la Commission devrait accepter ou rejeter le plan ainsi que le projet de budget français (qui devra être déposé le 15 octobre) d’ici la fin novembre 2024.

Viendra ensuite le temps de la surveillance, chaque année (durant les 4 ou 7 années « d’ajustement »), la France (et chaque État concerné) devra soumettre à la Commission un rapport d’avancement annuel indiquant les progrès réalisés et démontrant la conformité aux engagements pris dans le plan déposé fin septembre. Il est là aussi laissé à la discrétion du gouvernement le fait de consulter son Parlement, sa société civile ou ses partenaires sociaux sur ce rapport annuel.

En somme, à partir du moment où un État viole la règle des 3 % de déficits (parce qu’il y a par exemple eu une crise sanitaire, énergétique et l’impossibilité de dévaluer), alors la politique économique du pays en question passe en pilotage automatique pour les 4 ou 7 années à venir. Le ministre de l’Économie et le Parlement deviennent ispo facto des caisses d’enregistrement de ce qui a été décidé à Bruxelles.

Pour voir le verre à moitié plein, on pourrait se dire qu’au moins, ces nouvelles règles sont plus réalistes dans le délai qu’elles accordent aux États pour repasser sous la barre des 3 %. Mais c'était sans compter sur les Allemands...

Alors que les nouvelles règles cherchaient à éviter la procyclicité, Berlin a imposé et obtenu une réduction minimale annuelle du déficit et de la dette des États : 1 % du PIB en moyenne par an (donc ça peut être 0,8 % une année et 1,2 % l’année d’après) tant que la dette publique dépasse 90 % du PIB (ce qui est le cas de la France) et -0,5 % par an en moyenne si la dette est comprise entre 60 % et 90 %. Et en ce qui concerne le déficit (solde primaire structurel), c'est 0,4 % jusqu’à ce que l’État concerné atteigne un niveau de déficit de 1,5 % en termes structurels.

Donc sauf en cas de grave récession économique dans la zone euro ou l’UE (ou circonstances exceptionnelles ayant une incidence majeure sur les finances publiques d’un État et échappant à son contrôle), l’État concerné devra réaliser des économies substantielles chaque année, y compris si cela empêche toute reprise économique. Or, ces seuils numériques réduisent presque à néant l’approche individualisée des nouvelles règles...

Le think tank pro-européen Bruegel estimait le 20 juin dernier que l’effort d’ajustement de la France devait être de 0,94 % de son PIB par an pendant 4 ans (ou 0,54 % par an si prolongation jusqu’à 7 ans), soit 26,4 milliards d’euros par an, ce qui représente quasiment l’ajustement budgétaire demandé par Bruno Le Maire le 10 juillet dernier. Cela démontre bien que la politique budgétaire française est déjà dictée par l’application de ces nouvelles règles...

Quid d’un nouveau gouvernement au milieu de la période d’ajustement

Ce cas est spécifique. Le règlement accorde, dans son immense bonté démocratique, le droit au nouveau gouvernement de déposer un nouveau plan budgétaire, mais qui devra en tout point suivre la nouvelle trajectoire de référence communiquée préalablement par la Commission et le Conseil (et dont on ne voit pas pourquoi elle différerait de la précédente trajectoire). Le texte ne peut pas être plus clair : « la nouvelle trajectoire de référence […] ne repousse pas l’effort d’ajustement budgétaire en fin de période et, en principe, ne conduit pas à un moindre effort d’ajustement budgétaire ».

Au moins c’est dit, le résultat d’une élection ne peut interférer avec la politique économique imposée par la Commission et le Conseil à un État sous procédure de déficit excessif.

L’impuissance de la classe politico-médiatique

L’austérité, voici donc le programme économique de la France pour les 4 ou 7 prochaines années, et ce n’est même pas un secret, ce n’est pas caché, ce n’est pas un complot, c’est l’application de règles votées par la France depuis un peu plus de 30 ans. Pourtant, aucun grand média et presque aucun éditorialiste n’a présenté aux Français les enjeux, ou même l’existence de ces règles, qui rendent toute alternance sur le plan économique illusoire.

Toute la classe politico-médiatique agit, pense et commente comme si nous étions en termes institutionnels sous De Gaulle, Giscard ou Pompidou, sans avoir mesuré le changement de nature de régime de la Ve République depuis l’Acte Unique et le traité de Maastricht.

« Minimisant les enjeux, dissimulant les conséquences » de la question européenne, tous entretiennent l’idée qu’une alternance peut changer le destin des Français sur le plan économique. La compatibilité des programmes des uns et des autres avec les engagements européens n’est même pas évoquée ou alors de manière très accessoire et non centrale. Tout le monde, fait comme si les traités n’existaient pas. Pourtant, la Direction générale des affaires économiques et financières de la Commission est bien déterminée à faire appliquer l’austérité en France comme elle l’a fait sous François Hollande, tout comme la BCE et l’Eurogroupe. Le seul programme qui s’appliquera sera celui de Maastricht, le seul en application depuis 1995.

Bien sûr, il y a des marges de manœuvre sur le plan des recettes, de la taxation des hauts revenus et de la justice fiscale et sociale, mais disons-le et répétons-le, il n’y a pas de bonne politique économique possible dans le cadre de l’euro qui continuera lentement mais sûrement à détruire le tissu économique et social national.

Cette absence d’informations des Français sur la question budgétaire est d’autant plus irresponsable qu’il semblerait que l’une des motivations principales de la dissolution fut l’absence de majorité pour adopter le budget 2025, précisément pour se mettre en conformité avec ces nouvelles règles (et le précédent programme de stabilité).

Le degré d’information sur les enjeux européens est tellement faible que l’on peut même se demander si le prochain gouvernement a conscience de son impuissance programmée.

Sauf à ce qu’il aille croiser le fer avec la Commission, le Conseil (en pratique avec les États du nord de l’Europe), la BCE et les marchés financiers, tout semble réglé comme du papier à musique, et au nom de la souveraineté budgétaire, de la responsabilité et de la crédibilité de la France, la protection sociale et les Français devraient être les grands perdants de ces nouvelles règles et de la purge qui en résultera.

Nul doute que d’ici quelques années, nos dirigeants se retrouveront à la table des négociations pour aller un cran plus loin, arguant de la crise (politique, économique et/ou financière) que l’application de ces règles aura créée...

Photo d'ouverture : Ursula von der Leyen (R) pose à côté de la présidente du Parlement européen Roberta Metsola (R) avec un document après avoir été élue pour un second mandat en tant que présidente de la Commission européenne au Parlement européen à Strasbourg, dans l'est de la France, le 18 juillet 2024 (Photo FREDERICK FLORIN / AFP)

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