Pour l'ancienne directrice de l'ENA, les grands partis ont tout fait pour inonder le monde politique d'énarques dans le contexte de l’essor de la mondialisation. Marie-Françoise Bechtel, directrice de l’ENA de 2000 à 2002, député de l’Aisne entre 2012 et 2017 et présidente de la fondation Res Publica explique les raisons de l’abandon de la nation par les élites françaises et les liens qu’elles entretiennent avec le néolibéralisme.

publié le 03/03/2024 Par Laurent Ottavi

Laurent Ottavi (Élucid) : L’essayiste Coralie Delaume s’attachait dans ses ouvrages à mettre entre guillemets le mot « d’élites ». Quelle définition en avez-vous et reprenez-vous cette précaution à votre compte ?

Marie-Françoise Bechtel : Coralie Delaume avait raison de mettre des guillemets, car tout le monde ne parle pas de la même chose. Les élites peuvent être aussi bien politiques, médiatiques ou administratives. Avec ou sans guillemets, les élites sur lesquelles je réfléchis se sont imposées depuis le milieu de la Ve République par une sorte d’interaction entre le pouvoir politique, le pouvoir économique et le pouvoir administratif. Elles correspondent au haut appareil d’État et aux détenteurs du pouvoir économique qui se confondent de plus en plus.

Des frontières sont en effet tombées qui avaient leur vertu. Ainsi, le « pantouflage » des hauts administrateurs de l’État vers le privé n’avait pas, par le passé, les mêmes proportions qu’aujourd’hui. De hauts fonctionnaires (en petit nombre d’ailleurs) partaient gagner des salaires 10 à 100 fois inférieurs à ce qu’ils sont aujourd’hui et revenaient ensuite assez souvent dans le public. Le pantouflage actuel est sans commune mesure désormais, et résulte de l’effet mécanique des privatisations décidées par Édouard Balladur.

Autre aspect des choses : les élites ont désormais acquis une domination intellectuelle dans les débats. L’affaissement du rôle des intellectuels dans notre pays (même si ce rôle n’a pas toujours été positif, pensons aux nouveaux philosophes !) tient beaucoup au fait que, sous le coup du modèle néolibéral, les élites administratives, économiques et politiques ont pris le pouvoir en ce qui concerne la parole publique. De là découle, entre autres, le remplacement du savant par la figure de l’expert. Le problème principal est donc idéologique.

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