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Le second mandat d’Emmanuel Macron ne sera pas un long fleuve tranquille.
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La réélection d’Emmanuel Macron garantit cinq années supplémentaires de tranquillité aux couches sociales les plus aisées. Sauf choc exogène d’ampleur, en 2027, les Français les plus riches devraient l’être un peu plus, quand les plus pauvres devraient avoir vu leurs conditions de vie se dégrader. Dans le conservatisme social qui définit le macronisme, il existe indéniablement une logique punitive.
Cinq ans de plus de mépris social
Depuis 2017, les nombreuses saillies du président contre les Français de condition modeste suffisent à prouver que, dans son esprit, les pauvres sont les premiers responsables de leur situation ; ils sont, d’abord et avant tout, des vaincus de la modernité néolibérale, incapables de s’y adapter du fait de leur imperfection morale ou de leurs carences intellectuelles.
S’ils ont évidemment droit à la solidarité nationale sous la forme d’une protection sociale substantielle, il importe néanmoins de leur rappeler régulièrement qu’elle coûte « un pognon dingue » et qu’elle ne saurait être fournie sans qu’on l’accompagne d’une admonestation engageant ses bénéficiaires à davantage d’efforts. Il ne s’agit donc pas de détruire l’État social – sauf à prendre le risque inconsidéré d’une révolution dont les Gilets jaunes ont montré qu’il n’était en aucune manière théorique – mais d’instaurer un air du temps confortant, aux yeux de tous, le partage de la société en deux mondes distincts, celui des élus – dont l’actuel président est le champion - et celui des réprouvés, victimes de leurs soi-disant "tares personnelles" plutôt que d’un système inique.
Entre les deux, la classe moyenne n’a qu’à bien se tenir, au sens propre du terme : il lui faut accepter stoïquement le délitement qui la gagne et se souvenir tous les cinq ans qu’il n’est pas d’autre alternative à l’ordre en place que le fascisme ou le chaos. L’efficacité de ce qu’il faut bien appeler un chantage électoral a été une nouvelle fois démontrée. L’ampleur du succès est certes bien moindre qu’en 2017 (58 % contre 66 %), mais un président sortant qui a défendu aussi outrancièrement les intérêts des plus riches et des plus puissants peut se déclarer satisfait qu’une nette majorité d’électeurs se soit résignée à voter pour lui.
Une élection présidentielle verrouillée
Le système oligarchique qui triomphe une nouvelle fois avec la réélection d’Emmanuel Macron est vieux d’une quarantaine d’années. Il s’est mis en place au cours des années 1980, lorsque les partis de gouvernement ont livré la France à la mondialisation néolibérale. La dimension socialement et économiquement destructrice de cette orientation a été recouverte du voile pudique de l’ouverture à « l’Europe » qui lui donnait un tour moral, frappant d’ignominie ses opposants.
Elle a eu pour corollaire un recours massif à l’endettement public, endettement triplement nécessaire : pour concourir au financement d’une protection sociale de plus en plus coûteuse, pour pallier l’instabilité chronique du capitalisme financier - l’État en constituant paradoxalement l’ultime garant en temps de crise -, et pour former le point d’ancrage dont ce capitalisme a besoin ordinairement sous la forme du gigantesque marché de la dette publique.
40 ans après sa naissance, ce système est à bout de souffle socialement, économiquement et politiquement. Les partis qui le défendent n’ont recueilli que 35 % au premier tour de la présidentielle, contre 75 % en 2007. Une nette majorité de citoyens souhaitent donc sa remise en cause, sinon sa disparition. Ils ne seront pas entendus dans l’immédiat, puisqu’avec Emmanuel Macron, notre démocratie, dévoyée, conduit au règne paradoxal d’une minorité. La victoire du champion de l’oligarchie fait donc de la reine des élections un non-événement. Le temps fort entre tous de la vie politique française a été réduit à un exercice formel de reconduction automatique du pouvoir en place, validée par un corps électoral auquel aucun autre choix n’est laissé. De la sorte, c’est du cœur de son pouvoir souverain que le peuple se trouve dépossédé.
Le principal intéressé était tellement conscient de cette réalité qu’il ne lui est pas apparu nécessaire de faire réellement campagne ou de concevoir un programme un tant soit peu substantiel. Ici, la situation conjoncturelle s’ajoute à un puissant effet de structure pour déboucher sur le triste constat d’une dépolitisation du sommet : point n’est besoin de substance pour se maintenir au pouvoir, le vide y pourvoit sans effort et ce vide tient autant au verrouillage du système partisan qu’à l’accomplissement programmatique d’un néolibéralisme dont la logique ultime est post-politique : il n’a besoin de rien d’autre, pour assurer son règne, que d’un impotent consentant, heureux de gesticuler en surface quand l’État, dans les faits, a perdu ses principaux leviers d’action économique.
Certes, objectera-t-on, le président, en dépit de son dogmatisme en matière économique, s’est converti, face à l’épidémie de Covid, à l’idée que l’État et lui seul constituait l’ultime recours capable d’empêcher, en sa qualité d’emprunteur, l’effondrement complet de l’économie en y injectant des montagnes d’argent public. Mais, étrangement, ce soutien financier massif de l’État n’a pas entraîné une remise en cause franche des canons du néolibéralisme ; cela peut sembler troublant, tant le moment dont nous sortons péniblement les a invalidés en pratique, mais les croyances qui les sous-tendent sont si fortes que rien, visiblement, n’est en mesure de les ébranler.
Il faut dire cependant qu’en fin de parcours, ce système, s’il est parvenu à amoindrir et à dégrader les capacités d’action de l’État dans tous les domaines, lui a offert en contrepartie la possibilité de s’endetter sans limites et à très bas coût pendant quelques années, tout particulièrement au sein de la zone euro. Que, sous la contrainte gigantesque d’une épidémie planétaire, ce pouvoir, utile en premier lieu aux rentiers et aux spéculateurs du monde entier friands des bons du Trésor français, finisse par profiter à l’ensemble de la société n’est que justice.
Course à l’abîme ou législatives surprises ?
Toute la question est de savoir dans quelle mesure la fin de cette parenthèse signera le retour plein et entier à la situation antérieure, c’est-à-dire à la soumission de principe au « pacte de stupidité » (R. Prodi) qui a tant nui à notre pays depuis trente ans.
Si les autorités françaises ont déjà manifesté leur velléité de s’opposer à l’inflexibilité de l’Allemagne sur ces questions, il est évident que l’européisme échevelé du président risque fort de conduire le pays à une soumission destructrice dont François Hollande en 2012 a déjà donné un exemple piteux. D’autant que la dégradation rapide de la conjoncture économique – fortes tensions inflationnistes liées aux soubresauts économiques post-Covid et à la guerre en Ukraine – a toute chance d’alimenter l’intransigeance allemande à propos de la « rigueur » budgétaire et du resserrement monétaire de la BCE.
Ainsi, le président français sera rapidement confronté à un choix cornélien : ou bien se soumettre à l’Allemagne pour sauver une fois de plus « l’Europe » et plus précisément la monnaie unique, au prix d’une austérité socialement dévastatrice pour la France ; ou bien choisir l’intérêt national et la protection des plus modestes dans le cadre d’une politique économique autonome qui romprait avec les principes du capitalisme dérégulé, autant dire avec l’UE.
Tout, dans les prises de position passées, les choix politiques effectués depuis 2017, indique qu’Emmanuel Macron choisira l’UE plutôt que la France, le capitalisme financier plutôt que les plus humbles. Le semblant de programme qu’il a consenti à exposer aux Français pendant la campagne électorale le confirme : la retraite à 65 ans et le travail obligatoire pour les bénéficiaires du RSA ne sont rien d’autre que des mesures d’inspiration allemande, la première niant le dynamisme démographique de la population française relativement à l’allemande, la seconde instaurant en France le principe des « mini-jobs » sous-payés né outre-Rhin dans les années 2000 (financés, dans cette version française, par l’argent public).
Les artifices communicationnels suffiront-ils à donner une fois de plus au peuple le sentiment inhibant qu’il n’y a pas d’alternative ? Cela semble moins évident que par le passé. La crise des Gilets jaunes, en 2018-2019, a montré l’épuisement de cette veine rhétorique et la capacité de révolte des Français face à une politique aussi injuste qu’évitable.
Cette situation périlleuse se complique en outre de deux éléments non négligeables : l’élection d’Emmanuel Macron est une élection par défaut, à l’image de toutes celles qui l’ont précédée depuis 2002 (sauf en 2007) ; elle voit de surcroît le sortant l’emporter, et ce fait, rapporté comme un exploit par une presse complaisante, constitue concrètement un handicap de taille : usé au premier jour de son second mandat, le président ne bénéficiera d’aucun état de grâce ; bien au contraire, il lui faudra composer d’emblée avec la colère et le ressentiment de citoyens floués, et pressés d'arriver aux élections législatives, considérées pour beaucoup comme un troisième tour de l'élection présidentielle.
Dans le petit monde tranquille du néolibéralisme triomphant, le président Macron aurait tout intérêt à se muer en roi fainéant dans le cadre de son second mandat. Il pourrait se contenter d’expédier les affaires courantes dans le seul but d’attendre 2027 sans avoir eu à affronter la colère de la majorité hostile de ses concitoyens. Il lui suffirait pour cela de renoncer aux sempiternelles « réformes » infligées au pays depuis quarante et dont il se veut officiellement le promoteur, ou d’en proposer une version édulcorée pour ne pas trop exaspérer Bruxelles. Mais le néolibéralisme ne triomphe plus, il vacille, victime de ses contradictions internes et de l’opposition populaire qu’il suscite.
Loin d’être un facteur de stabilité, la continuité d’un pouvoir macronien enfermé dans une impasse idéologique peut objectivement alimenter des troubles sociaux et politiques de grande ampleur.
Photo d'ouverture : Emmanuel Macron célèbre sa réélection à la présidence française sur les Champs de Mars, Paris, 24 avril 2022 - Thomas Coex - @AFP
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