L’émancipation dispose d'un lien absolument consubstantiel avec la démocratie, mais son sens premier a été dévoyé pour légitimer un projet de marchandisation et de mise en concurrence généralisée de la société. Le sociologue Federico Tarragoni, Professeur à l’Université de Caen et membre de l’Institut Universitaire de France, auteur notamment de Sociologies de l’individu (La Découverte, 2018), de L’esprit démocratique du populisme (La Découverte, 2019) et d’Émancipation (Anamosa, 2021), déplore la déformation du concept d' « émancipation » par le néolibéralisme, et par Emmanuel Macron en particulier. Il appelle à en retrouver le sens face à des dérives autoritaires qui se multiplient autour de nous. Entretien.

publié le 16/02/2025 Par Laurent Ottavi

Laurent Ottavi (Élucid) : Vous avez constaté dans votre livre sur l’émancipation une méfiance contemporaine à son égard. À quels signes l’identifiez-vous et pourquoi êtes-vous allé jusqu’à évoquer des discours anti-émancipation ?

Federico Tarragoni : Nous assistons depuis les années 1980 à un retour en force des discours conservateurs, anti-émancipation, apparus à la suite de la Révolution française chez des auteurs comme Maurras et Barrès en France, ou encore chez un Burke au Royaume-Uni. Nous ne sommes pas du tout face aux mêmes phénomènes ou aux mêmes topos, mais nous retrouvons dans le ressac conservateur la même attaque contre l’élargissement des droits des sans-droits, de la visibilité des invisibles, ou de l’égalité sociale tout court, autant de choses supposées mettre en péril la communauté politique.

Tout ce qui se dit aujourd’hui autour du « wokisme », de la « bordélisation » de nos institutions et de « l’ensauvagement » de la démocratie tourne autour de ça. La conservation de l’ordre social et le primat de la tradition apparaissent comme des remèdes à ces prétendus maux contemporains chez les néoconservateurs. Quand je commençais à réfléchir à ces questions, Pierre-André Taguieff faisait paraître une critique en règle de l’émancipation, mythe – à ses yeux – des sociétés modernes dont il faudrait s’affranchir aujourd’hui. J’avais été également frappé par la présentation faite de l’émancipation par un club très select « d’innovateurs », les Napoléons, qui m’avait invité à présenter mon travail.

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